Ce livre-jeunesse est augmenté d’une postface écrite par l’auteure en mars 2017. Il a été salué par la critique américaine dès sa sortie, ce qui lui a valu de nombreux prix dont le Boston Globe Horn Book Awards, une distinction très honorifique dans la littérature jeunesse.
C’est un roman inspiré d’une histoire vraie puisque l’auteure s’inspire de sa propre vie pour raconter son parcours d’enfant juive hongroise pendant la seconde guerre mondiale. Elle a toutefois changé les prénoms dans le roman, ce ne sont pas ceux des membres de la famille de l’auteure.
Le livre débute au printemps 1939 et se termine au printemps 1944. Il existe une suite dans un second ouvrage, La Grâce du désert, comme l’explique l’auteure dans sa postface.
On suit la vie de Piri qui vit en Ruthénie subcarpatique. Une carte en annexe du livre permet de situer la région en Europe centrale ; cependant, le cas particulier de cette région demanderait de fortes explications en cours d’histoire (province de l’empire austro-hongrois, puis tchécoslovaque de 1919 à 1939, annexée par la Hongrie en 1939, occupée par les Allemands à partir de 1944 puis annexée par l’URSS en 1945, aujourd’hui région ukrainienne).
Piri étant la narratrice, son jeune âge confère au livre un regard enfantin, parfois naïf et permet de ne pas sombrer dans le larmoyant – vu le sujet-. Les difficultés de la vie quotidienne (rationnement, marché noir), l’embrigadement de la jeunesse (exercices militaires à l’école), puis l’exclusion des enfants juifs des écoles, le port de l’étoile de David, le couvre-feu instauré à partir de 1943, sont évoqués dans ce livre jusqu’à la privation totale de liberté avec l’arrestation des juifs de Ruthénie qui sont envoyés dans des ghettos.
Presque une centaine de pages est consacrée à la vie dans le ghetto. En effet, Piri et sa famille sont arrêtées et envoyées dans un ghetto (une ancienne briqueterie). Pendant ces quelques jours au ghetto, Piri et sa famille tentent de s’organiser. La destination finale de Piri est inconnue pour les protagonistes et n’est dévoilée qu’à la dernière page : « l’un d’eux a mentionné un mot que je ne connais pas : Auschwitz. Vous parlez mieux allemand que moi : est-ce que vous savez ce ça veut dire ? ».
Ce qui rend ce livre intéressant, c’est toute la galerie de personnages secondaires qui tournent autour de Piri, restituant la complexité de la période. Ainsi, à travers son beau-frère, est évoqué le cas des juifs polonais apatrides ; à travers sa sœur, sont soulevés les débuts du sionisme; à travers la vie au ghetto, est décrit le rôle assigné au Juden Bureau. Si ce livre venait à être traité en classe, il conviendrait ici de préciser le rôle de ce conseil juif mis en place par Eichmann à l’échelle de toute la Hongrie et d’analyser la rapidité de mise en place du recensement puis de la déportation des juifs de cette région à partir de 1944.
Le titre du livre est expliqué, d’une part, de manière indirecte à la fin du roman lors d’une discussion entre trois personnages et d’autre part, dans une annexe de l’éditeur à la fin du livre. Dans le roman, l’auteure fait dialoguer Piri, son amie Judi et M. Shuster du Judenrat. Ce dernier tente d’expliquer aux deux jeunes filles que « c’est très mauvais d’être juif pendant les périodes de dépression. Nous sommes de parfaits boucs-émissaires » et qu’ « être le peuple élu implique une lourde responsabilité ». Il explique ensuite le passage de la Bible qui mentionne l’envoi dans le désert d’une chèvre –sacrifiée- sur laquelle reposent tous les péchés des juifs. Il explique que les Allemands envoient à leur place les juifs dans le désert. Judi, l’amie de Piri répond au membre du Judenrat en dénonçant cette vision « du judaïsme archaïque », en ajoutant : « pour nous consoler, nous avons accepté ou inventé l’idée que nous sommes un peuple élu. C’est un prétexte, un honteux prétexte ».
Ce passage mériterait ici une explication bien délicate avec des élèves (méconnaissance biblique), ainsi qu’une clarification des mots de vocabulaire. En effet, ce roman ne nomme jamais les mots suivants : génocide, Endlösung (solution finale), ou en hébreu Shoah mais parle –en note de page- d’holocauste en référence à ce passage dans la Bible (passage réexpliqué par l’éditeur en fin de roman). Seule la note historique mentionne l’expression « solution finale », mais il est peu probable que l’ensemble des lecteurs aille plus loin que le roman et lise même les annexes, dont cette note historique.
Présenté comme pouvant être lu dès 11 ans, cet ouvrage reste quelque peu difficile. En effet, des mots de vocabulaire risquent de désarçonner certains lecteurs comme les mots en yiddish (par exemple : seder, matzos, chometz -mot d’ailleurs non expliqué dans le glossaire !-). Il est regrettable que le glossaire ne soit pas complet et non mentionné en note de bas de page ou au début du livre, ce qui pourrait décourager de jeunes lecteurs.
Autre élément difficile pour de jeunes lecteurs : la famille de la narratrice est une famille recomposée et cela n’est pas expliqué clairement tout au long de la première partie du livre. De fait, le nombre de sœurs peut « perdre » des jeunes lecteurs qui n’arriveraient pas à s’y retrouver. Un arbre généalogique serait un premier exercice à réaliser en classe s’il y a lecture en entier du livre.
Finalement, vu les difficultés de lecture, il me semble que ce livre pourrait être abordé par de bons lecteurs niveau 3è, mais, de toute évidence, il correspondrait plutôt à un public lycéen.