Le succès du manga japonais auprès de la jeunesse (en France la vente de mangas dépasse désormais la vente d’albums de bande dessinée) en fait nécessairement un objet qui doit être pris en compte dans le monde pédagogique. Comme la BD son équivalent européen, le manga s’est diversifié, s’est ouvert à tous les publics, à tous les thèmes et tous les genres. Par le manga les Japonais revisitent notamment notre histoire, notre géographie et notre littérature. Citons par exemple la série à succès Les gouttes de Dieu qui explore le monde du vin entre le Japon et la France. Thermae Romae appartient au même registre, celui de la fiction bien documentée et réaliste, destinée non seulement à divertir mais aussi à faire connaître un univers. Ce manga explore en effet l’univers du bain dans deux civilisations : la Rome antique et le Japon du XXIe siècle. Pour faire le lien entre ces deux civilisations très éloignées l’auteure utilise un motif très classique de la science-fiction, celui du voyage dans le temps. Mais ce motif est utilisé ici d’une manière plutôt originale.

Les deux civilisations se retrouvent dès la couverture dans un dessin plutôt surprenant. Sur le deuxième tome figure par exemple un titre en latin et une statue antique (la Vénus de Capoue) se séchant à l’aide d’une serviette et d’un sèche-cheveux électrique. Le dessin comme le scénario trahissent la double culture de son auteure. Mari Yamazaki est japonaise mais s’est imprégnée de culture européenne et classique par ses études des Beaux-Arts à Florence et son mariage avec un italien. Le dessin en particulier trahit des influences européennes par son style classique et des influences japonaises quand il s’agit d’accentuer les expressions de certains personnages (exagération de la taille de la bouche et des yeux…). Le scénario, plutôt original, mêle aussi ces diverses influences :

Le héros, Lucius Modestus est un romain vivant sous le règne de l’empereur Hadrien. C’est un jeune architecte sans travail, spécialisé dans la construction de bains. Un jour qu’il s’immerge dans l’eau des thermes, il se retrouve à son insu et pour un court moment projeté dans le Japon du XXIe siècle. Le phénomène se répète à chaque fois qu’il s’immerge. À chacun de ses voyages temporels le héros découvre des usages et technologies inconnues qu’il s’efforce d’adapter à son retour dans le monde romain. Grâce à ses innovations Lucius acquiert la célébrité et devient un familier de l’empereur. Telle est l’idée directrice de la série.

Pour l’auteure, l’irruption du soudaine du héros dans un monde étranger est l’occasion de dessiner quelques scènes assez cocasses, qui contribuent au succès de la série. Ainsi, quand Lucius surgit tout nu au milieu d’une source thermale japonaise, des adeptes du culte du phallus le prennent pour l’incarnation d’un dieu de la fécondité. Ces scènes de confrontation de deux cultures sont aussi pour l’auteur l’occasion de faire des rapprochements entre la civilisation romaine et la civilisation japonaise : l’amour des bains, des ingrédients culinaires ou des pratiques religieuses y sont comparables. C’est aussi l’occasion de mettre en évidence les différences dont le scénario tire tout le profit. Le scénario est donc plaisant et les reconstitutions, particulièrement documentées, donnent une image crédible de la société romaine. Le lecteur occidental découvre aussi certains aspects méconnus de la civilisation japonaise. Cependant le parti pris de faire du Japon traditionnel et moderne un modèle est un peu trop systématique à mon goût. Les civilisations européennes (antique et contemporaine) apparaissent donc comme inférieures à la civilisation japonaise. Mari Yamazaki aurait pu aussi développer l’acculturation dans l’autre sens, c’est-à-dire de la civilisation romaine vers le Japon contemporain. Ce qui aurait été plus conforme à l’Histoire et même à l’histoire personnelle de l’auteure. Ce même parti prit conduit l’auteure à faire apparaître la baignoire individuelle sous le règne d’Hadrien. Alors que la baignoire est connue dans l’Antiquité plusieurs siècles avant notre ère. On peut observer par exemple des baignoires-sabot sur des sites archéologiques puniques ou grecs de Sicile ou Tunisie. Des baignoires dont l’usage est attesté aussi par l’anecdote rapportée à propos d’Archimède. Yamazaki aurait pu signaler ce point dans les commentaires qui concluent avec intérêt chaque chapitre. Commentaires dans lesquels elle donne ses sources d’inspiration et ses réflexions.

En conclusion ce manga est dans l’ensemble agréable à lire et peut contribuer à enrichir culturellement ses lecteurs.

19 juin 2011