Loin d’être anecdotique, la nature démocratique de la construction européenne est sujette à de vives controverses.

Auteur de l’Aufklärung, i.e. le mouvement des Lumières d’outre-Rhin, Karl von Moser affirmait jadis que le Saint Empire romain-germanique constituait « une véritable énigme du droit constitutionnel, la proie de ses voisins et un sujet de moquerie » (L’Esprit national en Allemagne, 1765). A certains égards, le constat serait tout à fait valable pour l’actuelle Union européenne, ainsi que l’affirme Nicolas Levrat au cours de son dernier ouvrage La construction européenne est-elle démocratique ?, paru à La Documentation française.

Professeur de droit international et européen à l’Institut européen de l’Université de Genève, Nicolas Levrat est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Union européenne, dont L’Europe et ses collectivités locales (2005) et Europe : de l’intégration à la Fédération (2010) qu’il a co-écrit avec Frédéric Esposito. Dans le présent ouvrage, l’universitaire suisse s’interroge sur la nature quelque peu trouble de l’Union européenne. La question que se pose Nicolas Levrat est de savoir si « l’objet politique non identifié » (J. Delors) qu’est l’Europe est démocratique ou pas.

Loin d’être anecdotique, la nature démocratique de la construction européenne est sujette à de vives controverses. Si depuis une trentaine d’années les innovations en la matière se sont succédé, la défiance des citoyens et peuples européens à l’égard des institutions communautaires n’a cessé de grandir. Pourtant, les députés européens sont élus au suffrage universel direct depuis 1979. Le Traité de Maastricht a notamment instauré une citoyenneté européenne ainsi qu’un médiateur. Des efforts de la part des institutions communautaires en matière de transparence sont faits depuis 1999. Grâce au Traité de Lisbonne, les parlements nationaux peuvent désormais contrôler le processus décisionnel européen. Une place est, par ailleurs, faite aux initiatives des citoyens européens.

Mais rien n’y fait. Le scepticisme des Européens ne décroit pas. Pis, il parait très régulièrement se renforcer sensiblement en raison du passage d’une intégration dite négative à une intégration positive. Il faut rappeler que la construction européenne continue de souffrir du déficit démocratique de ses origines, puisque selon la « méthode Monnet » celle-ci a longtemps été beaucoup trop technocratique pour susciter l’adhésion des citoyens et peuples européens. D’aucuns déplorent en outre l’inexistence d’un « peuple européen » à proprement parler. En définitive, la démocratie ne pourrait s’extirper du cadre de l’Etat-nation dans lequel elle est née lors du XIXe siècle, si bien que la transposition de la démocratie au niveau supranational serait tout à fait illusoire.

Revenant au fil des pages sur les critiques faites à l’Union européenne, prenant acte de l’extrême variabilité des conceptions nationales de la démocratie, l’universitaire suisse invite finalement à dépasser le cadre de l’Etat-nation. Pour construire un espace démocratique européen, il serait nécessaire de se fonder sur deux principes – la légitimité populaire et la limitation du pouvoir souverain – en vue de concilier démocratie et liberté. Une meilleure articulation des nombreux niveaux de représentation est souhaitable. Nicolas Levrat insiste sur la singularité du projet européen, dont il serait absurde de mesurer la légitimité à l’aune de critères d’une démocratie nationale.

Jean-Paul Fourmont