« Décembre 1961. Le Club Méditerranée, créé en 1950, rentre sa deuxième décennie. Pour fêter ses dix premières années de tâtonnements, d’innovations et de croissance exceptionnelle ‘’Paris n’est plus à l’échelle du Club’’. C’est Gérard Blitz, son fondateur, qui a l’idée d’organiser une grande fête à Orly. […] L’internationalisation du Club et le tourisme sont désormais intimement liés au transport aérien. Ce dernier est une des technologies de la mobilité qui ont fait du voyage un loisir. »

Jean-Christophe Gay, Véronique Mondou,

Tourisme et transport. Deux siècles d’interactions,

Éditions Bréal, 2017, p. 7.

Je tiens à remercier Jean-Christophe Gay et Véronique Mondou, personnellement et au nom des Clionautes, pour l’envoi et la découverte de cet ouvrage dont la lecture fut fort plaisante.

Depuis sa naissance, au XVIIIe siècle, le tourisme est en croissance continue. Il entretient des liens étroits avec les transports, dans une relation de dépendance réciproque. Même si de nombreux auteurs s’accordent à reconnaître la place centrale du transport dans le développement du tourisme, les études et publications synthétiques sur ces liens sont rares et essentiellement en langue anglaise. Ce livre écrit par deux spécialistes et géographes français[1] tombe donc à pic !

L’objectif des auteurs dans ce livre est d’appréhender les multiples interactions entre ces deux activités majeures dans le monde globalisé. L’ouvrage s’appuie sur de multiples exemples pris sur tous les continents et sur une démarche multiscalaire puisque toutes les échelles d’analyse ont été mobilisées : locale, régionale, nationale et mondiale. D’un point de vue structurel, cinq démarches sont ainsi mobilisées et correspondent aux cinq chapitres qui composent l’ouvrage.

Ce livre débute par une approche historique et modale (pp. 9 à 55). Dans ce premier chapitre, les auteurs reviennent sur l’émergence et l’influence de nouvelles formes de transport sur le développement du tourisme. S’il demeure incontestable que ; « l’’’élargissement progressif de l’horizon des touristes’’ (Capot-Rey, 1946, p. 130) est […] dû à l’évolution des moyens de transport rendant possible la fréquentation de certains lieux dans le temps de vacances » (p. 9), attention à ne pas surévaluer le rôle des moyens de transport.  Sont ainsi analysés les différentes technologies de la mobilité qui ont favorisé le tourisme depuis deux siècles : les progrès techniques dans les moyens de transport (bateau, train, automobile et avion) qui ont favorisé la diffusion spatiale du tourisme et l’élargissement de l’écoumène touristique, mais aussi la multiplication de la mobilité et la réduction des temps de transport. Parallèlement, les « aides à la mobilité » (guide touristique, facilitation des passeports et visas, création et développement des agences de voyage, la valise à roulettes et enfin la révolution numérique) facilitent le voyage et le démocratisent.

La suite s’attache à analyser l’intervention des opérateurs de transport dans le système touristique (pp. 57-109). Ces derniers ont un rôle essentiel dans la construction du phénomène touristique en assurant des offres touristiques spécifiques (par exemple le fabricant de pneumatiques Michelin) et en s’impliquant dans les problématiques d’hébergement (l’hôtellerie et les grands groupes comme Accor par exemple). Ils façonnent et structurent ainsi l’organisation de l’espace touristique à toutes les échelles et influent également sur les pratiques touristiques (notamment les temporalités).

Dans le troisième chapitre (pp. 111-151), les auteurs abordent la question du coût du déplacement et des stratégies tarifaires, avec notamment l’émergence récente du low cost. Cette pratique introduit des changements structurels majeurs notamment la réduction de la « distance-coût », question centrale dans la diffusion du tourisme. Le coût et l’autonomie deviennent ainsi des sujets déterminants pour le(s) touriste(s) et dans les choix des acteurs du tourisme, notamment les transporteurs, influencés par les pratiques des touristes et qui adaptent leurs offres en fonction. Le low cost, bien qu’accélérateur de la fréquentation touristique, pose des questions centrales puisque le phénomène ouvre tous les modes de transport à la concurrence libérale et a des coûts sociaux, économiques et environnementaux importants (pour les employés, les collectivités locales, volatilité des compagnies qui n’hésitent pas à fermer certaines plateformes…).

Le quatrième chapitre (pp. 153-214) explore l’apparition depuis quelques décennies de nouvelles pratiques touristiques issues du détournement de certains modes de transport (croisières, nautisme…). Ainsi, « la notion de déplacement d’un lieu à un autre peut parfois s’effacer et les différents modes de transport deviennent alors une pratique touristique. Ce processus peut être lié à la déshérence de certains modes (le bateau de passagers au long cours, les péniches) ou de certaines technologies (le train à vapeur) ou plus simplement d’un ‘’détournement’’ à des fins touristiques (randonnées à motos…). » (p. 153). Les modalités peuvent être différentes mais les principes communs à ces pratiques sont l’itinérance et le retour à la lenteur (« slow ») dans une « période d’instantanéité et d’accélération » (p. 178). Les exemples étudiés ici sont variés et parfois originaux (le tourisme de croisière en Chine, croisières ferroviaires en Inde, en Australie, « Blue Train » en Afrique du Sud, tourisme fluvial…).

Le livre se termine en abordant le rôle des transports dans la structuration des lieux touristiques (pp. 261-251). Les questions d’accessibilité au lieu tiennent une place centrale dans les politiques d’aménagements touristiques et aboutissent à une diversité de situations étudiées par le prisme de la typologie des lieux touristiques élaborée collectivement par l’Équipe MIT en 2003.

En définitive, cet ouvrage est solide. Bien écrit, très pédagogique, riche en exemples, photographies, cartes, graphiques, encarts et bibliographies complémentaires, il permet d’éclairer le thème Les espaces du tourisme et des loisirs, l’une des questions de géographie du CAPES externe d’Histoire-Géographie et des Agrégations externes et interne d’Histoire et de Géographie. Par ailleurs, l’enseignant ou l’enseignante déjà en exercice y trouvera de quoi actualiser ses connaissances sur ce sujet, alors même que les nouveaux programmes de lycée viennent de paraître et que les questions de mobilités touristiques et de transports y font notamment l’objet d’une thématique à aborder en classe de Seconde  dans le thème 3 de Géographie : « Des mobilités généralisées», sous-thème « Les mobilités touristiques internationales » et la question spécifique à la France : « La France : mobilités, transports et enjeux d’aménagement ». Enfin, il devrait rapidement devenir un ouvrage de référence pour les étudiants en tourisme et en aménagement. À posséder donc !

 

 

 


[1] Jean-Christophe Gay, agrégé de géographie, est professeur des universités à l’IAE de Nice (université Nice Sophia Antipolis). Il est rattaché à l’IUMR Espace-Dév (IRD 228). Spécialiste du tourisme et des loisirs, il travaille également sur l’outre-mer français (par exemple : Gay J.-C., Les cocotiers de la France. Tourisme en outre-mer, Belin Sup, 136 p, 2009) et les questions d’insularité, de limites et de discontinuités spatiales. Il a codirigé le programme de l’Atlas de la Nouvelle-Calédonie au sein de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) Il est récemment intervenu au Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges (novembre 2018) sur la question des Outre-mers européens en lien avec la parution du numéro de la Documentation Photographique sur ce thème. Enfin, il a récemment publié un ouvrage intitulé L’Homme et les limites chez Economica-Anthropos.

Véronique Mondou est maître de conférences en géographie à l’université d’Angers, à l’UFR ESTHUA – Tourisme et Culture, et rattachée à l’Unité Mixte de Recherche CNRS 6590 ESO-Angers. Ses recherches portent sur les relations entre le tourisme et le transport. Elle traite notamment des questions d’accessibilité et de développement touristique mais aussi de la transformation des modes de transport en produits touristiques (croisières maritimes, notamment en Chine). Parmi ses publications, citons par exemple :

  • Pébarthe-Désiré H., Mondou V., « LGV et affirmation des destinations : quelles stratégies pour le tourisme et les rencontres d’affaires ? Le cas de la LGV Bretagne – Pays de la Loire », Norois, 2018. Vol. 248 p. 53-66.
  • Mondou V., « Déplacer les touristes : transport, accessibilité et destination », In Coëffé V., Le tourisme. De nouvelles manières d’habiter le Monde, Paris, Ellipse, 2017, p. 334-346.
  • Mondou V., « Développement des croisières maritimes en Chine : quelle adaptation de l’offre au marché chinois ? », In, Sacareau I, Taunay B, Peyvel E., La mondialisation du tourisme. Les nouvelles frontières d’une pratique, Rennes, PUR, 2015. p.

 

©Rémi Burlot, pour Les Clionautes