La Turquie en 100 questions est un ouvrage publié en 2017, par Dorothée Schmid, spécialiste des politiques européennes en Méditerranée et au Moyen-Orient. L’autrice dirige le programme Turquie contemporaine de l’Ifri depuis 2008. Ces recherches portent sur la situation interne en Turquie et également sur sa politique externe.
Cet ouvrage de synthèse s’inscrit dans la collection «en 100 questions ». Cette forme attractive explique, dans cet ouvrage, les enjeux de la Turquie actuelle. Il est composé de sept grands thèmes : histoire, politique, culture et société, religion, économie, géopolitique, France et l’Union européenne. Comme chaque question séparée amène une réponse précise en quelques pages, une lecture ponctuelle est possible. Mais une lecture linéaire et continue permet d’acquérir une vue d’ensemble. Le lecteur fait alors des liens entre les différentes parties pour approfondir et compléter sa vision générale de la Turquie.

Dès l’introduction, Dorothée Schmid pose les enjeux actuels de la Turquie. Cet Etat nation a été fondé par Mustafa Atatürk sur les ruines de l’Empire ottoman. La Turquie est devenue progressivement ce qu’on appelle une puissance émergente. L’ouverture récente avec Erdogan en 2002 lui permet de s’imposer progressivement comme un modèle au Moyen Orient et de devenir un partenaire privilégié avec les Européens. Ses alliances avec les grands de ce monde (Etats-Unis, Russie) révèlent sa force stratégique. La Turquie est une puissance émergente qui attire et intrigue. Son passé et son présent en font un bouillon de culture, qui favorise le dynamisme économique. Mais ce dynamisme économique et ces ambitions politiques sont à nuancer… La Turquie est façonnée par des paradoxes : entre ouverture et crispation, modernisme et traditionalisme. Les enjeux turcs oscillent ente adaptations et blocages.

Tout d’abord, le premier thème abordé est l’histoire pour revenir aux origines de la Turquie. « La Turquie se situe-t-elle en Europe ou en Asie ? » est une question épineuse, qui révèle la situation ambiguë de la Turquie. Dorothée Schmid tente d’y répondre et approfondit le sujet avec les questions suivantes sur l’identité des Turcs, des Ottomans… Son propos porte également sur la chute de l’Empire ottoman, inscrite dans le contexte international (l’après Première Guerre mondiale). Dans les années 1920 se construit l’identité turque : création de la République d’Atatürk en 1923, nomination de la capitale d’Ankara… Cette nouvelle identité tourne le dos à son passé multiculturel et pluriethnique ottoman. Elle refuse également de reconnaître le génocide arménien. Il s’agit d’une opération de légitime défense pour le gouvernement turc. Ce dernier prône la pureté raciale pour renforcer l’unité du pays. La volonté de la Turquie de paraître unie est une des conséquences du syndrome de Sèvres. Il s’agit d’une phobie collective en Turquie liée à son histoire : la dislocation du territoire ottoman.

Le thème suivant porte sur le politique qui révèle aussi cette volonté d’unité nationale. En fondant la République en 1923, Mustafa Kemal Atatürk insiste sur le nationalisme pour renforcer l’intégrité du territoire qui serait menacé par les minorités. Malgré la représentation au Parlement du parti pro-kurde du HDP, les actions séparatistes du PKK renforce les tensions contre les Kurdes. De nombreuses questions portent également sur l’AKP et Erdogan des acteurs incontournables de la politique turque. A son arrivée en 2002 au pouvoir, l’AKP se définit comme républicain, laïc et libéral sur le plan économique. Mais vers les années 2013 apparaît le tournant autoritaire nationaliste, religieux avec trois piliers : famille, religion, nation. La démocratie est maintenue sur le seul critère des élections. Ces dernières légitiment Erdogan, qui utilise la propagande pour rester populaire. Mais en raison du non-respect de la liberté d’expression se pose la question d’élections libres, équitables et démocratique en Turquie. De plus, Erdogan souhaite avant tout construire une société turque homogène basée sur l’Islam. Il cherche également à renforcer la puissance turque sur la scène internationale, notamment comment leader du Moyen orient. Face à l’AKP, l’opposition tente de s’exprimer mais très souvent est étouffée comme le mouvement de Gezi en 2013. La démocratie turque oscille entre des périodes libérales et des périodes autoritaires comme celle d’aujourd’hui. La non séparation des pouvoirs, la présidentialisation du régime et l’opposition étouffée montre ses limites. Dorothée Schmid parle de « démocraties illibérales ».

Puis, le troisième thème porte sur la culture et la société. Avec un retour aux origines, l’auteur présente le caractère multiculturel et pluriethnique de la société turque. La langue turque quant à elle est un symbole de l’identité et de l’unité turque. Ce thème illustre les contradictions de la Turquie qui oscille entre modernisme et traditionalisme. Ce paradoxe est visible notamment dans les films, les séries, le football qui montrent une occidentalisation de la Turquie mais également un attachement profond pour ses valeurs traditionnelles. Ces dernières sont mises en avant avec le retour du voile qui s’inscrit dans le cadre du traditionnel modernisme porté par l’AKP. A travers ces propos l’auteur montre une évolution de la société qui a connu une certaine libéralisation dans les années 1970-1980. La condition de la femme, des droits des LGBT sont évoqués et révèle la crispation de la société aujourd’hui avec un retour du traditionalisme. La liberté d’expression est questionnée à travers la situation des médias. Erdogan montra au début un semblant de libéralisation mais il occupa rapidement le devant de la scène pour contrôler les médias. Aujourd’hui, règne l’autocensure (peur des journalistes des représailles, des menaces…). De plus, les nouvelles technologies ont certes permis l’apparition d’espaces de libertés mais favorisent aussi un meilleur contrôle de la communication par l’Etat.

Ensuite, le quatrième thème porte sur la religion. La laïcité mise en place par Atatürk n’est pas synonyme de séparation mais du contrôle de l’Etat sur la religion. Dorothée Schmid présente les situations des différentes minorités religieuses, notamment islamiques comme les alévies (chiites, qui ne sont pas reconnus officiellement) ou les réseaux gülenistes. Les minorités chrétiennes et juives sont aussi évoquées. Les épurations et conversions ont entraîné une baisse importante de ces communautés au fil du temps. Aujourd’hui malgré l’image d’ouverture que montre l’AKP, ce dernier prône un sunnisme identitaire. Les discriminations persistent et la situation des minorités (reconnues ou pas) reste complexe.

La partie suivante porte sur l’économie. Depuis douze ans, la Turquie connaît une forte croissance, ce qui est favorable à Erdogan. Elle profite de sa position stratégique en tant que « carrefour énergétique » pour défendre ses intérêts (économiques et politiques). Pourtant, cette croissance se révèle fragile et volatile. L’économie parallèle s’accroît avec l’arrivée en masse des Syriens et le coup d’état de 2016 a renforcé la crise de confiance.

Le sixième thème sur la géopolitique commence par le rôle important de la diaspora et des diplomates turcs dans le monde. Puis les tensions autour du détroit du Bosphore entre la Russie et la Turquie sont évoquées. Malgré la politique de Dovutoglu « zéro problème avec les voisins », la situation crispée à Chypre est un des obstacles pour permettre à la Turquie d’entrer dans l’Union européenne. De plus, la frontière fermée avec l’Arménie, la situation avec l’Irak ou encore l’Iran révèlent les tensions et les pressions qui pèsent sur cette partie du monde. La Turquie, membre de l’OTAN, apparaît comme un moyen de médiation entre le Moyen Orient et l’Occident. Mais la Turquie est dans une position aujourd’hui ambiguë avec la guerre en Syrie, en tant qu’alliée de la Russie et soutenant Bacher al Assad.

Enfin, le dernier thème porte sur la France et l’Union européenne. Les relations entre la Turquie et la France sont assez tendues aujourd’hui dû à la reconnaissance du génocide arménien mais également au retournement de la Turquie dans la guerre syrienne. De même, la pression est aussi élevée avec l’Union européenne. Ceci est dû au blocage d’adhésion de la Turquie à l’Union mais aussi à cause de la question des réfugiés syriens.

Pour conclure, Dorothée Schmid à travers ces 100 questions (complétées d’une bibliographie) nous brosse un portrait d’une Turquie paradoxale à la fois forte, pays émergent… Mais pétrit de contractions avec des faiblesses internes et externes, une économie fragile, des libertés de plus en plus malmenées… Les alliances mais aussi les tensions sur la scène internationale traduisent sa volonté de s’imposer parmi les grandes puissances. En partant des origines, de l’Empire ottoman, de la République kémaliste jusqu’à l’AKP avec Erdogan, l’auteur nous donne les clés pour comprendre les enjeux de la Turquie actuelle.