Ce compte rendu de lecture est le troisième que j’effectue sur les travaux récents de Yannick Brun-Picard. Chronologiquement celui-ci aurait dû être diffusé plus tôt puisque sa lecture a été réalisée au mois d’août 2019 lors de sa parution. Dans ce contexte de parutions rapprochées d’un auteur relativement prolifique, je produis une recension de l’ouvrage : « Tourisme : objet d’une rare complexité ».
Admettre la complexité d’un objet en structurant une démarche explicite autour d’interfaces produites par des territorialités spécifiques présente quelques difficultés. Pourtant, c’est ce qu’entreprend Yannick Brun-Picard dans cet ouvrage relativement court.
Cet ouvrage synthétique a pour objectif de rendre plus accessibles les interfaces aux territorialités multidimensionnelles des formes existantes des tourismes dans leur mondialisation. L’auteur aborde cet objet de recherche conçu apparemment pour des candidats à des concours (CAPES et agrégation) ainsi que pour des étudiants par le prisme de figures conceptuelles (deux douzaines) et de la notion d’interface. Cette option donne l’impression de suivre une cession de cours à l’université où l’intervenant projetterait des diapositives tout en explicitant leur contenu.
La structure en six chapitres renforce cette perception. Il expose à raison de quatre figures par partie sa construction progressive aux marges des pratiques courantes. L’auteur dessine un univers conceptuel qu’il complète par une structuration conceptuelle afin d’aborder les tourismes en mouvements. Il présente ce que sont pour lui des interfaces touristiques complexes ainsi que les dimensions touristiques mouvantes. Enfin, un regard projectif sur les tourismes conduit le lecteur en direction des perspectives de durabilité propres à toute activité touristique.
L’auteur invite le lecteur à accepter un prisme de lecture faisant de lui ou d’elle un actant conscient de ses responsabilités. Une maxime image cette aspiration (p.11) : « Seules sont indestructibles les chaînes invisibles dont notre Être s’habille. » Cette prise de position marquée est soutenue par l’emploi de concepts tels que la géographicité, la convivance, le néo-socioconstructivisme, la zone proximale d’activité courante (ZPAC) en s’appuyant sur une méthodologie fortement influencée par l’analyse systémique de durabilité et les méthodes collaboratives. Ce positionnement se trouvera mis en porte-à-faux en faisant naître le tourisme bien avant que la terminologie apparaisse, mais cela semble consubstantiel à son argumentation. Cette dernière découpe finement l’expansion des pratiques, les implantations touristiques, les déplacements avec un large panel d’éléments constituants ses faits affichant des territorialités et des territorialisations spécifiques. Par ailleurs, Yannick Brun-Picard expose que le tourisme dans ses pratiques commerciales est un vecteur communicationnel universel. La mise en relief des enjeux fonctionnels, des affirmations identitaires, des antagonismes et des défis prépare de manière orientée une rapide présentation de certaines facettes des pratiques touristiques. Celles-ci montrent des traits des tourismes de masses avec leurs côtés obscurs, les pratiques individualisées liées aux formes évolutives du tourisme. Elles sont renforcées par des activités pratiquées hors des sentiers battus comme celle de reproduire de manière allégée la formation du centre de formation en forêt équatoriale en Guyane, sans omettre l’exemple particulier de la Provence, territoire pour lequel l’auteur semble avoir un attrait particulier. La dernière partie est utilisée pour mettre en évidence les impacts positifs et négatifs, les dangers des pratiques touristiques et surtout les perspectives de durabilité pour les tourismes au tour du monde. Ce dernier aspect par l’insistance perçue est vraisemblablement pour l’auteur d’une importance majeure en phase avec les préoccupations sociétales contemporaines et les images de bateaux de croisières gigantesques vus à Venise en opposition à sa photo de couverture du golfe de Saint Tropez vide de touristes.
À titre personnel, je regrette l’absence de carte dans un ouvrage de nature géographique qui s’attache à un objet tel que le tourisme. L’absence de données quantitatives est à relever bien que l’auteur annonce sa seule volonté de conceptualisation. Par ailleurs, la méthodologie et la conceptualisation bien qu’explicitées dans le détail de leur mise en œuvre n’en demeure pas moins aux marges des pratiques contemporaines des normes universitaires ce qui peut engendrer des incompréhensions, voire des rejets et des fixations en faisant du tourisme et des tourismes des objets vivants. Il aurait peut-être été souhaitable que l’auteur développe les aspects historiques afin de soutenir plus efficacement l’existence de faits que l’on peut qualifier de touristiques bien avant que ce terme apparaisse. La bibliographie est essentiellement géographique et n’a que de rares références purement touristiques ce qui donne l’impression que le tourisme est un objet géographique étudié par le filtre de méthodes à même d’étudier toute dynamique productrice d’interfaces.
Néanmoins, les pages proposées par Yannick Brun-Picard apportent un éclairage réaliste au sujet des tourismes comme phénomène mondialisé producteur par induction d’interfaces spécifiques. Il met en exergue pratiquement sans détour la déresponsabilisation générale face aux décisions à prendre et aux orientations à mettre en œuvre tout en reconnaissant qu’un nombre croissant d’acteurs des tourismes déploient des efforts conséquents pour que leurs activités professionnelles soient pérennes et qu’elles s’inscrivent dans la durabilité des pratiques espérées. La nature d’outil alternatif annoncée dans l’intérêt de cet ouvrage pour les étudiants et d’éventuels candidats à des concours en sciences humaines, voire des enseignants est entièrement respectée. Les concepts mis en œuvre au cœur de l’argumentaire proposé méritent une attention soutenue afin que leur utilisation devienne courante, même si cela exigera certainement une maturation dans les milieux géographiques et universitaires. Au final, cet ouvrage est à prendre dans une fonction d’outil pédagogique pour rendre plus explicites les réalités vivantes et évolutives des tourismes dans les approches et les études de nature géographique.