Ce dernier ouvrage d’Olivier Lazzarotti se situe dans la parfaite continuité de ses travaux sur l’habiter et sur le tourisme. Rappelons-le, Olivier Lazzarotti est géographe, professeur à l’Université Picardie-Jules-Verne. Sa thèse, soutenue en 1993, portait déjà sur le tourisme et les loisirs : Du loisir sans tourisme ? Contribution à l’étude des loisirs périurbains. Ses travaux l’ont conduit à s’intéresser à l’habiter et aux pratiques spatiales. Son livre, paru chez Belin en 2006, Habiter. La Condition géographique, fait autorité dans le domaine.

L’objet de l’étude présente est encore une fois originale et appartient pleinement aux objets de la géographie culturelle. Après avoir questionné la condition habitante de Schubert et de Johnny Hallyday, Olivier Lazzarotti s’intéresse ici aux chansons dites populaires. Que les chansons populaires peuvent-elles apporter d’autre à la saisie du tourisme que ce qui en a déjà été dit ? Le tourisme est-il une pratique ou bien, plus largement, un rapport au Monde ?

Son corpus, tout d’abord : 200 chansons choisies arbitrairement (l’auteur l’assume pleinement) entre 1895 et 2020 abordant la question touristique. Il s’agit, à partir de ce corpus, d’interroger ce que font les touristes, comment ils le font et où ils le font. Dans ce panel, près de la moitié des chansons concernent la période 1960-1970, période de la Seconde Révolution touristique, période de diffusion et de diversification de cette activité.

Une première étude statistique est menée sur le corpus. Lazzarotti y analyse les textes en utilisant le site www.nuagesdemots.fr. Ainsi décompte-t-il 1791 mots pour l’ensemble des 200 chansons et 13967 occurrences. Les cinq premiers mots qui reviennent le plus souvent dans les textes sont : vacances, plages, soleil, mers et dimanche. De la même manière, il cartographie les noms des lieux cités dans les chansons. Saint-Tropez et Paris arrivent en tête. Derrière, on trouve des villes de la Côte d’Azur. Cette longue analyse quantitative occupe largement l’introduction.

Les six chapitres qui suivent et qui composent le développement sont entièrement consacrés à une approche qualitative et phénoménologique. Ils permettent à l’auteur, d’une manière assez convaincante, d’interroger autrement le tourisme et plus particulièrement pour ce qui concerne la période des années 1960-1970, correspondant aux années « yéyé » et au développement de la société de consommation, le sort de l’industrie du disque se trouvant mêlé à celui du tourisme et du loisir.

Dans le premier chapitre, il est question de voir un geste politique dans le fait de faire du tourisme. La génération des touristes de masse est celle des baby-boomers, c’est aussi celle des chanteurs de la génération « Salut les copains ». Cette jeunesse chante la plage, la fin de l’école, le refus du travail. Cependant les auteurs des chansons et du mouvement ne sont pas des jeunes. L’habiter qui s’impose peu à peu est celui américain et le tourisme en fait partie. Olivier Lazzarotti écrit : « Chanter le tourisme, c’est le restituer comme forge d’une contestation globale des fondements dont la société française de cette période hérite d’une lointaine Révolution industrielle, celle dont il est le produit direct : le travail, l’école et la famille certes, mais aussi la sédentarité et toutes ses valeurs associées » (p.59).

Être touriste est un manifeste existentiel (chapitre 2). Il s’agit de choisir sa mobilité : sa destination, son moyen de locomotion, son hébergement. Là encore, des moyens de transport et des manières d’habiter un espace habité s’imposent avec les baby-boomers : c’est le train, la voiture, l’avion ; c’est le camping. Le littoral est la première destination touristique française et mondiale. C’est également le lieu le plus fréquent dans les chansons des années 1960-1970. Le train, quant à lui, est le moyen de transport prédominant pour les départs en vacances. C’est un moyen de transport que l’on trouve également abondamment dans les textes des chansons des années 1960-1970, tout comme l’automobile et l’avions, symboles de cette génération des années 1950-1960.

L’étude menée par Olivier Lazzarotti est intéressante car elle permet de rendre compte de ce que le tourisme apporte à la compréhension du phénomène social qu’est la chanson, et réciproquement, de ce que la chanson apporte à l’étude de cet autre phénomène social qu’est le tourisme. Les chansons, le reconnaît aisément l’auteur, donnent une image forcément biaisée du monde social en privilégiant certains aspects de la vie sociale et en en négligeant d’autres. Les chansons ont en revanche un caractère performatif. « En décrivant des utopies sociales, déclare l’auteur (p.190), ne dessinent-elles pas les traits d’une société idéale, ou simplement meilleure ? » Le tourisme, comme pédagogie expérimentale du monde, et  la chanson comme pédagogie discursive, se rencontrent et se dynamisent, conclue Lazzarotti (p.195).