Effectuer le compte rendu de lecture de plusieurs ouvrages du même auteur lorsque l’on a eu l’opportunité de les lire lors de leur parution s’avère délicat. Récemment, j’ai effectué cette action pour le dernier ouvrage de Yannick Brun-Picard « Éduquer à la durabilité ». Pour la production actuelle, je fixe mon attention sur un ouvrage qui devrait être tant soit peu polémique : « Quand l’objet induit la méthode ». Il est vrai que les travaux, de cet auteur m’intéressent au regard des implications sociétales et des orientations humanistes qu’il propose. Cela n’empêche en aucune manière de demeurer lucide quant au contenu de ses pages.

Défendre la position selon laquelle l’objet peut et doit induire la méthode d’analyse, d’investigation, de compréhension et d’explication est délicat à effectuer. Pourtant, c’est ce qu’entreprend Yannick Brun-Picard dans cet ouvrage relativement court. Il construit sa démonstration autour de six chapitres agrémentés au total de deux douzaines de figures conceptuelles, ce qui apparait être sa méthode d’argumentation pour ses ouvrages récents.

Il pose l’hypothèse selon laquelle : « les observateurs des phénomènes sociétaux ont besoin d’outils adaptatifs pour parvenir à rendre le monde des faits plus accessible et plus compréhensible pour les destinataires » (p.12). La vérification attendue débute par l’exposé de fondements méthodiques. Dans cette première partie est présentée une conceptualisation de la réflexion entreprise sur l’induction d’une méthode. Les liens avec les méthodes collaboratives et l’analyse systémique de durabilité sont présentés afin d’insister sur les influences qui ont façonné ses conceptions. Son positionnement anachronique est développé pour rendre visible les structures employées. Le tout devant répondre à des attendus de scientificité, là aussi présentés dans une figure conceptuelle. La seconde partie porte sur les activités d’enseignement en insistant sur les pratiques pédagogiques, notamment la pédagogie socioconstructive. Cette thématique est imagée par trois exemples d’objets ayant induit une méthode contextuelle. L’auteur présente une situation d’acquisition de la graphie, l’amélioration de la motivation des apprenants et l’emploi de cartes conceptuelles en cours par la mise en application l’exercice de synthèse heuristique. La troisième partie fait la part belle à la géographicité afin de préparer la présentation de faits territorialisés que sont les pratiques touristiques mondialisées, les tourismes de niches et les tourismes destructeurs. La nature du rapport au monde met en perspective l’objet que va construire tout observateur et le contexte du tourisme propose une analyse parfois acerbe des réalités relevées. Les pratiques géographiques sont des plus prégnantes avec la quatrième partie où est exposée une démarche géographique conceptualisée pertinente pour analyser des phénomènes universels inscrits sur l’épiderme terrestre. Les précipitations, le sentiment de toute-puissance et l’anthropisation sans conscience image à souhait ces objets ayant induit une méthode adaptée à leur appropriation. Le cinquième thème s’attache aux mouvances sociétales pour lesquelles l’auteur aspire à rendre préhensiles les phénomènes. Il met en évidence l’emprise médiatique, l’outil sublimé qu’est devenu l’informatique et il porte un regard glaçant sur les violences scolaires qui furent l’objet d’un de ses premiers ouvrages (2014). Pour la dernière partie sont proposés des enseignements projectifs en prenant conscience de la surabondance formatée, en reconnaissant qu’une méthodologie est une entité vivante, qu’il demeure une part d’incomplétude et qu’il est nécessaire de produire des connaissances vérifiables et reproductibles pour rendre le monde des faits plus explicite à tout un chacun.

L’intérêt pour les travaux de ce géographe a déjà été exposé, cela n’enlève rien à l’analyse critique impérative tout en demeurant impartial quant au contenu proposé. Sa prise de position des plus fermes pour la pratique de la transdisciplinarité et celle du néo-socioconstructivisme va certainement irriter nombre de géographes et d’acteurs des sciences humaines. Il en est de même pour sa prise de position des plus réductrices de la réflexivité incluse dans la praxéologie ainsi que de la didactique donnée pour outil de la pédagogie. Bien qu’il se prétende ouvert à la diversité, on perçoit sa volonté pour que sa conception soit reprise aussi largement que cela est possible. Il formate la pensée et les perspectives de perception des phénomènes sociétaux pour qu’ils se fondent dans ses cadres méthodologiques. La démarche est compréhensive, mais quelque part elle corsète d’éventuelles options alternatives. Les rares fautes de frappe n’enlèvent rien à la production globale. Elles montrent que l’auteur aspire à compresser sa pensée qui parfois a une expression ardue et réclame une lecture approfondie. Une ambivalence et une tension sont présentes dans ses développements où il veut limiter l’emprise des méthodes tout en proposant une forme de guide méthodologique et où il met en relief des oppositions sociétales sans en expliciter les causes, mais en suggérant des solutions. Il est probable que les lecteurs n’abondent pas dans l’exercice de ce grand écart entre une méthodologie, la pédagogie, l’étude des faits touristiques et les violences scolaires.

Il n’en demeure pas moins que l’incomplétude reconnue par Yannick Brun-Picard s’inscrit comme une porte ouverte sur les possibilités apportées par une telle conception de la production d’une scientificité acceptable et validable pour laquelle : « Le conformisme est le couvercle du cercueil qu’est la soumission » (p.148). Par ailleurs, les étudiants en géographie et les candidats au CAPES et à l’agrégation trouveront dans les exemples, probablement trop synthétiques, des facettes des pratiques touristiques pouvant être utiles à la diversification de leurs acquis. En outre, l’insistance avec laquelle l’auteur assène des injonctions éducatives devrait permettre à des actants des sciences de l’éducation de concevoir des pratiques probablement plus adaptées aux domaines d’intervention ainsi qu’aux actions pédagogiques. Il revient avec conviction sur les commandements en éducation et sur les invariants à l’œuvre pédagogique pour lesquels l’influence de Freinet est perceptible. Enfin, les dix constituants d’une démarche pour que l’objet induise la méthode (p.151) donnent un cadre reproductible, évaluable, comparable, diffusable et critiquable, traits attendus dans toute démarche productrice de savoir notamment en géographie. Les étudiants, les enseignants et les candidats auront en main un « remue-méninges » propice à l’initialisation de pratiques projectives de la géographie et de la pédagogie en situation d’enseignement.