Les Clionautes, « obsédés textuels » ? Voilà la question que soulève, entre autres, le dossier de Sciences Humaines consacré aux addictions. Pour illustrer la question, la couverture est occupée par le visage d’un enfant au regard fixe, barbouillé de chocolat. Car le sujet de l’addiction ne se limite pas à celles provoquées par des produits reconnus comme tels (alcool, tabac, drogue).

La question de la dépendance y tient une place centrale et fait que celle-ci existe aussi avec des addictions sans produits : shopping, jeux vidéos, sport, sexe… Achille Weinberg se demande même si la lecture n’est pas aussi une addiction. Pour cela, il se base sur les propos d’un de ses amis qui se qualifie d’ « obsédé textuel », obligé qu’il est chaque jour de prendre du temps pour s’isoler et lire. Pierre Fouquet, père de l’alcoologie française, définit, dans les années 1960, la dépendance comme « la perte de la liberté de s’abstenir » de faire quelque chose. Alors, il n’est pas encore question d’addiction. C’est seulement dans les années 1980 que l’alcoolisme, tabagisme et autres toxicomanies sont regroupées sous le terme d’addiction. Avec cet élargissement, l’analyse des mécanismes de dépendance est renouvelée. Voici donc un dossier qui donne beaucoup à réfléchir, notamment, sur les limites entre passion et dépendance. Les rédacteurs de la Cliothèque : des passionnés ? OUI ! des « texicomanes » ? NON !

Au-delà de ce dossier, le rédacteur de la Cliothèque comme le lecteur lambda de Sciences Humaines trouvera de quoi alimenter sa « saine » curiosité ! Mon dévolu s’est jeté sur deux articles. Celui intitulé Population mondiale : le siècle des records reprend le dernier numéro de Populations et Sociétés (juillet – août 2011). Les chiffres clés sont rappelés et un gros plan est fait sur les féminicides. La sélection du sexe de l’enfant à naître ou la mise à mort de bébés filles à la suite des défauts de soins ne sont pas propres à la Chine et à l’Inde. Le Pakistan et le Bangladesh ont eux aussi éliminé, pour des raisons culturelles, comme certains pays d’Afrique des bébés filles. L’article Mondialisation ou asiatisation ? mérite aussi qu’on s’y arrête. Publié dans le cadre du réseau Asie et Pacifique, Nayan Chanda, son auteur, se demande s’il n’est pas judicieux de parler d’asiatisation au lieu de mondialisation. Cet article est à rapprocher du Grand Dossier des Sciences Humaines (N°24) consacré à L’Histoire des autres mondes. Dans l’article du numéro du mois de novembre, l’auteur revient sur l’histoire de la conquête du monde. Il rappelle qu’avant que les Européens, puis les Américains, dominent le monde, c’est en Asie que tout se jouait. A Xi’an (Chang’an à l’époque de Marco Polo), les commerçants européens « avaient l’impression d’être des enfants dans une boutique de bonbons sans un sou en poche. » Leurs babioles et leurs fourrures n’intéressaient pas les commerçants asiatiques. C’est seulement après la conquête du nouveau monde que les Européens vont pouvoir échanger les stocks d’argent et d’or des Incas contre les produits de luxe asiatiques. La Révolution industrielle met un terme à la suprématie asiatique. Dans les années 1980, avec les réformes de Deng Xiaoping et celles de Manmohan Sing en Inde, l’Asie s’ouvre aux capitaux étrangers et devient l’usine du monde. Il est encore nécessaire d’ajouter un ? à asiatisation du monde car « troubles politiques internes, tensions économiques, corruption rendent la croissance des géants asiatiques fragile ».

Mis à part ces deux articles, aux résonances géographiques, la richesse et la variété des contributions ne fait pas défaut dans ce numéro. Psychanalyse de l’enfant, Histoire de la virilité, la place de l’humour en sociologie… De quoi sortir du workaholism (l’addiction au travail) !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes