Voici un ouvrage peu commun commis par Yannick Brun-Picard. La transdisciplinarité est mise en pratique dans les réalités éducatives essentiellement par le prisme d’activités aux orientations géographiques. Le positionnement projectif d’une telle démarche est conçu pour que la transdisciplinarité se voit accorder une large place dans les pratiques scientifiques ainsi que dans les structures universitaires. L’auteur affirme que ses propositions sont transposables et que chaque destinataire y trouvera son intérêt.

Il construit son développement autour de six parties agrémentées de 24 figures, le tout complété par une bibliographie dense. Cette technique semble être sa structure démonstrative récurrente puisque déjà constatée dans ses ouvrages antérieurs. Il met en place la transdisciplinarité avec le néo-socioconstructivisme, une forme de scientificité et la praxéologie. Sa structuration s’articule autour d’une conceptualisation particulière, de la géographicité, d’une trame d’analyse et d’axes structurants. Un socle transdisciplinaire constitué de la médiance, de la trajection, d’interfaces et de l’apprenance dessine les contours d’une certaine complexité. Des exemples au sujet des violences scolaires, des tourismes, de l’emprise médiatique et de la durabilité viennent soutenir ses propos. Le positionnement transdisciplinaire expose une orientation sociétale, personnelle, intellectuelle et fonctionnelle. Yannick Brun-Picard dans son dernier chapitre met en relief des enseignements qui sont des freins, des obligations, des pertinences et sont projectifs tout en invitant les lecteurs à aller un peu plus loin que ses seules propositions.

Une longue définition de la transdisciplinarité (p.11) positionne sa conceptualisation d’une méthodologie évolutive pour l’intégrer dans les pratiques d’enseignement. Les niveaux théoriques et méthodologiques apparaissent densément alimentés avec une défense acharnée du néo-socioconstructivisme qu’il reste à intégrer dans les mouvances contemporaines. L’insistance avec laquelle l’auteur met en perspective son souci de scientificité et la mise en œuvre de la praxéologie au sein de la géographie atteste d’une attente de légitimité pour ces options. Une épistémologie humaniste de la géographie se perçoit, voire se constate par la place donnée à la géographicité ainsi qu’à la subjectivité objectivée fréquemment employée. Les concepts exposés donnent l’impression d’une géographie vivante alimentée en permanence par les mouvances du moment ainsi que par les orientations les plus efficaces afin de mieux comprendre les phénomènes. Il faut reconnaître que ceux et celles qui connaissent les productions de cet auteur vont penser à de la redondance, car les exemples sont des domaines qu’il a déjà abordés. Néanmoins, l’éclairage transdisciplinaire apporte des axes de lectures des faits suffisamment pertinents pour entrevoir une mise en application dans des pratiques de recherche. Les enseignements montrent le pire et le meilleur de cette trame méthodologique avec laquelle il est possible d’étudier des réalités sociétales accompagnées ce qu’il appelle : « la distanciation empathique » (p.75). En reconnaissant les difficultés d’intégration dans les cursus universitaires ainsi que dans les pratiques courantes de la transdisciplinarité, laquelle gomme les frontières entre les disciplines à l’inverse de l’interdisciplinarité qui les conserve, l’auteur tempère son effervescence pour placer cette démarche dans un rôle d’outil fonctionnel et projectif.

À titre personnel, il est aisé de comprendre que la surabondance de concepts sera probablement nuisible à la réception de cet ouvrage, en particulier l’apprenance dont la présence peut se discuter. L’écriture est exigeante et analytique. Un constat déjà effectué sur les travaux antérieurs de cet auteur est repris : « on a l’impression qu’il déroule un cours avec un support visuel ». Les figures seront certainement décontextualisées par ceux et celles qui feront la démarche de rendre plus accessibles les propositions démontrées. Parfois, il s’enflamme et laisse transparaître un caractère combatif pour ne pas dire agressif contre ceux qu’il nomme les institutionnels, qui selon lui se contentent de satisfaire à la norme et d’agir pour préserver leur statut. Les exemples orientés en direction de ses problématiques rebuteront certaines sensibilités tout en offrant un éclairage sur des faits souvent ignorés. En produisant aux marges des pratiques courantes de la géographie et des normes universitaires cet ouvrage irritera ceux et celles qui se sentent visés par des assauts à peine déguisés. Ce n’est pas un manuel et dans le cadre d’un essai de tels coups de butoir sont « admissibles » puisqu’ils soutiennent une volonté de faire progresser les pratiques au service des apprenants. La dureté de l’argumentaire montre quelques traits du côté obscur des pratiques scientifiques et universitaires (pp. 122-127). Par ailleurs, en dénonçant ce qu’il qualifie d’errances intellectuelles les jugements à son encontre seront certainement tout aussi sévères que les siens pour ce qu’il estime être anormal. En outre, la mise en pratique dans les réalités éducatives, qui est le sous-titre de cet ouvrage, s’effectuera que si les éduquant, les intervenants, les enseignants et les universitaires abondent dans de telles orientations. Ces constatations créent une ambivalence avec ce que peuvent permettre les propositions de cet auteur.
En effet, il n’en demeure pas moins que cet ouvrage est une évasion hors des canons contemporains des pratiques universitaires, pour que la transdisciplinarité soit pratiquée couramment avec efficacité et discernement tout en proposant un cheminement reproductible et transposable. Il apporte un éclairage satisfaisant au sujet des potentialités pouvant prendre forme. Cet éclairage est une progression. Chacun peut l’entreprendre, avec les faits qu’il retient, ceux qu’il ignore et ceux superficiellement ancrés. Le monde universitaire de la géographie et plus largement celui des sciences humaines ainsi que celui de l’éducation et de l’enseignement ont besoin d’un ouvrage de ce genre qui invite à s’extraire des pratiques courantes pour traverser les sciences par l’intermédiaire d’une trajection et d’une médiance salvatrice entre les domaines scientifiques, terminologie prise à l’auteur. L’intérêt de cette dernière production de Yannick Brun-Picard est bien là. Il invite les chercheurs, les étudiants, les enseignants et les éduquants à entrer en transdisciplinarité, en faisant preuve de convivance (p. 142), pour la géographie et pour les sciences humaines dans leur diversité, afin d’enrichir les pratiques tout en diffusant des savoirs porteurs de scientificité. Les lecteurs en agissant avec l’entendement nécessaire pourront mettre à profit, dans des contextes diversifiés, les axes méthodologiques explicités pour que la transdisciplinarité devienne une pratique partagée au service de l’amélioration des savoirs à destination des apprenants. Pour que cela advienne il faudra un changement de paradigme ou tout au moins un sursaut collectif, ce à quoi encourage cette publication.