La revue Parlement(s)
Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
La revue Parlement(s) n° 23 a pour thème : Transgresser en politique. Ce vingtième-troisième dossier est coordonné sous la direction de Marie Aynié et de Frédéric Fogacci. Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche (avec la contribution de 7 chercheurs, jeunes ou confirmées) et la seconde à des sources commentées par Marie Aynié, Jean-Félix de Bujadoux et Claire Charlot. De plus, dans ce numéro, nous trouvons à nouveau une partie consacrée à des varia (au nombre de 2) et à 5 lectures (critiquées par 4 historiens).
Une fois n’est pas coutume, ce numéro s’ouvre avec un avant-propos en direction des lecteurs de la revue (afin d’expliquer le passage des éditions Classique Garnier aux PUR) écrit par le directeur de la rédaction : Jean Garrigues. Puis vient, en introduction, un article consacré à la question de la transgression en politique en France à travers le XIXe et le XXe siècle par Marie Aynié (Docteur en histoire et secrétaire générale du Comité d’histoire de la ville de Paris) et de Frédéric Fogacci (Directeur du service des études et de la recherche de la Fondation Charles de Gaulle de l’Université Paris-Sorbonne). L’histoire des transgressions dans la vie politique française est peut-être l’existence avant tout de « moments » transgressifs, des moments d’usure du système politique et du fonctionnement des institutions, de crise du pouvoir, mais aussi des moments perçus comme cruciaux pour certains acteurs de la vie politique française.
Des normes officielles ou implicites régulent l’exercice de l’activité politique en France, qu’il s’agisse du respect du cadre républicain, des règles du jeu politique et de l’affiliation partisane, ou de l’autocontrôle de son discours et d’une modération de ton propres au débat public. C’est pourquoi les transgresseurs, ceux qui bousculent ou ignorent ces normes, volontairement ou non, marquent leur époque. À travers l’étude de quelques parcours, ce dossier s’interroge sur la portée réelle de ces transgressions, sur leur propension à faire bouger les lignes, mais aussi sur leur mise en scène et leur instrumentalisation dans des stratégies de communication politique.
Recherche : Transgresser en politique :
Ollivier, transgresseur par essence (1871-1933) :
Éric Anceau (Maître de conférences HDR à l’Université Paris-Sorbonne, Centre de recherches en histoire du XIXe siècle – LabEx EHNE)
Émile Ollivier a été perçu comme l’un des plus grands transgresseurs de l’histoire de France. Rallié à l’Empire, il est devenu l’incarnation de sa transformation avant de chuter définitivement avec lui. De ses jeunes années à sa mort, il est ici suivi pas à pas. Se dégage le portrait d’un homme transgressif par essence, un atypique de la politique qui s’est beaucoup trompé mais qui, comme d’autres, a montré une voie originale à ses contemporains et a même eu une forme de génie prophétique.
La rose et le souffre : Michel Rocard et le PS, entre subversion et banalisation (1974-2014) :
Pierre-Emmanuel Guigo (Agrégé, doctorant en histoire au Centre d’histoire de Sciences Po)
Michel Rocard a toujours eu un rapport complexe avec le Parti socialiste. Scissionniste avec le PSU (1960), il s’est trouvé marginalisé au sein du PS après l’avoir rejoint. L’essentiel de sa carrière s’est joué autour de la tension entre la volonté de conquérir l’appareil partisan et la distinction qui lui permit d’asseoir un succès sondagier sans égal. Son cas permet d’étudier la subversion en tant que ressource indispensable dans un champ où sondages et médias occupent une place croissante.
Jean-Jacques Servan-Schreiber et le Parti radical : la transgression comme méthode de conquête (et ses limites) :
Frédéric Fogacci (Directeur du service des études et de la recherche de la Fondation Charles de Gaulle de l’Université Paris-Sorbonne)
La notion même de transgression est attachée au nom et à la carrière de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Sa prise de contrôle du parti radical (1969-1971), marqué par des traditions bien ancrées, provoque une sidération politique qui lui permet un temps de bousculer les habitudes et les conservatismes et de rénover un corps politique sclérosé. Mais l’usage systématique de la transgression crée un climat d’instabilité à terme destructeur pour le parti et contre-productif pour JJSS et son équipe.
Des limites du dicible : Le cas d’Énoch Powell au sein du Parti conservateur britannique : d’un discours de rupture à une transgression de l’affiliation (1968-1974)
Stéphane Porion (Maître de conférences en civilisation britannique à l’Université François-Rabelais de Tours, ICD-EA6297)
Après son discours « des Fleuves de sang » de 1968, Énoch Powell fut progressivement marginalisé au sein du Parti conservateur et s’éleva comme une voix dissidente importante contre la politique d’Edward Heath. Nous explorons ici les différentes formes de transgression qu’exerça Énoch Powell au sein de son parti et les raisons qui le poussèrent à la transgression, autour de sujets comme la politique d’immigration, les revirements de la politique économique après 1972 et l’entrée dans la CEE.
Quelle tenue en séance ? Les transgressions du député en blouse, Christophe Thivrier :
Marie Aynié (Docteur en histoire et secrétaire générale du Comité d’histoire de la ville de Paris)
Élu député en 1889, Christophe Thivrier fait son entrée à la Chambre en blouse d’ouvrier. Cette transgression vestimentaire est plutôt bien accueillie mais le « parler ouvrier » du nouveau député suscite des moqueries et son cri, dans l’hémicycle : « Vive la Commune ! », en 1895, soulève une large indignation. Cet article examine ces réactions, et plus généralement, la manière dont acteurs et observateurs politiques envisagent, en matière d’apparence, la représentation de leurs concitoyens.
Le spectacle de la transgression : les duels de parlementaires en France après 1945 :
Anne-Laure Ollivier (Docteur en Histoire-ENS Cachan, professeur en classes préparatoires littéraires)
Cet article examine la survie du duel comme pratique transgressive dans le milieu parlementaire après 1945. Pratique ritualisée inscrite dans la culture parlementaire, le duel a alors perdu sa substance transgressive. Suranné et déplacé dans un contexte de moindre tolérance de l’opinion à l’égard de la violence politique, il survit comme spectacle et mise en scène de la transgression, constituant plus que jamais une arme de communication dont l’issue se joue moins sur le pré que dans les médias.
La trahison : une perspective sociohistorique sur la transgression en politique :
Sébastien Schehr (Professeur de sociologie à l’Université de Savoie/Mont-Blanc, Laboratoire LLS ETI)
La trahison est une forme de transgression ; elle partage avec d’autres phénomènes de ce type un certain nombre de points communs. Nous verrons en quoi elle constitue depuis toujours un « outil » redoutable dans les luttes politiques. Enfin, nous nous pencherons sur les réactions et les représentations qu’elle suscite : celles-ci témoignent de la prégnance dans toute organisation sociale ou communauté politique de normes et d’attentes relatives à la confiance et à la loyauté.
Sources :
« Ernest Psichari, mort au champ d’honneur ». Article de Maurice Barrès dans L’Echo de Paris
(13 novembre 1914) : présenté par Marie Aynié (Docteur en histoire et secrétaire générale du Comité d’histoire de la ville de Paris)
Maurice Barrès publie dans L’Écho de Paris une nécrologie d’Ernest Psichari, mort au combat le 22 août 1914. Il rappelle alors la manière dont celui-ci a transgressé l’héritage intellectuel de sa famille, de son père Jean, un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme, et de son grand-père, Renan.
Jacques Chirac ou la transgression en mouvement, photo en couverture (9 décembre 1980) :
présenté par Jean-Félix de Bujadoux (Doctorant en droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas)
La célèbre photo (du photographe de l’AFP Jean-Claude Delmas) montrant Jacques Chirac sautant par-dessus les portillons de la station de RER Auber en 1980 apparaît à l’époque comme le symbole d’un homme politique jeune et ambitieux, prêt à briser tous les tabous pour conquérir le pouvoir. Cette photo a également une postérité, et elle contribuera paradoxalement à identifier Jacques Chirac à un certain inconscient collectif du peuple français.
Discours de Monsieur Tony Blair, Premier ministre du Royaume-Uni, dans l’Hémicycle, le 24 mars 1998 : présenté par Claire Charlot (Professeur à l’Université Paris-Sorbonne, Laboratoire « Monde anglophone : Politiques et Sociétés » – MAPS/HDEA, EA 4086).
Le 24 mars 1998, Tony Blair prononce à l’Assemblée nationale un discours qui présente à la fois les thèses du nouveau travaillisme pour la vie politique britannique et sa vision de l’Europe. Ce discours peut apparaître transgressif à deux égards : par rapport aux valeurs traditionnelles du travaillisme et par rapport à la vision thatchérienne de l’Europe – même si cette rupture n’est pas apparue moins évidente concrètement.
Varia :
L’émergence du nationalisme catalan sous la Restauration bourbonienne en Espagne (1874-1931) :
Alicia Fernandez Garcia (Professeure certifiée d’espagnol et chercheuse associée au Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines, université Paris Ouest Nanterre La Défense) et Mathieu Petithomme (Maître de conférences en science politique à l’IUT de Besançon, Centre de recherches juridiques de Franche-Comté)
Cet article étudie le rôle du mouvement culturel de la Renaixença dans l’émergence du premier catalanisme politique. La trajectoire de la Lliga Regionalista illustre la pénétration du nationalisme catalan au sein des institutions, le renforcement de son pluralisme à partir de 1906 et la formation d’un courant catalaniste républicain. Une analyse sociohistorique des trajectoires des partis nationalistes catalans montre enfin leur rôle dans la modernisation du système politique espagnol.
Une valeur qui (dés)unit ? Le PS et la laïcité, du Congrès d’Épinay à la Commission Stasi :
Ismaïl Ferhat (Maître de conférences à l’université de Picardie Jules Verne – CAREF)
Le Parti socialiste a traditionnellement accordé une grande importance à la laïcité, présentée comme un pilier identitaire. Si cet attachement ne s’est pas démenti, il a été confronté à une période complexe, allant du congrès d’Épinay de 1971 à la commission Stasi de 2003 (liée à la question du foulard islamique à l’école). Cette période, traversée par de multiples facteurs et changements, a interrogé de manière intense l’identité laïque de ce parti.
Lectures :
Jean EL GAMMAL, Être parlementaire de la Révolution à nos jours, Paris, Armand Colin, 2013, 221 p., par Éric Anceau
Troisième ouvrage de la collection « Vies d’autrefois », Être parlementaire de la Révolution à nos jours nous propose de parcourir 225 ans de vie parlementaire au travers de celles et ceux qui Font animée. L’auteur, professeur à l’université de Lorraine, est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire politique et culturelle de la France contemporaine, notamment sous la IIIe République, doublé d’un fin connaisseur des mœurs parlementaires, jusques et y compris dans le temps présent. En treize chapitres courts et nerveux, il adopte une perspective à la fois chronologique et thématique qui lui permet, d’une part, de dégager les grandes lignes d’évolution et, de l’autre, d’explorer les parcours individuels, les milieux, les pratiques et les modes d’expression ¬des parlementaires en intégrant les apports de l’anthropologie, de la sociologie et de la science politique. Au fil des pages, on se rend également compte de nombreuses continuités : le poids des réseaux, les étapes du cursus parlementaire, l’importance de certaines professions comme celle d’avocat. On soulignera enfin des qualités rares sous ce format : l’abondance de l’iconographie, la présence de onze textes illustratifs en annexe, l’excellente bibliographie et le très utile glossaire.
Maxime TANDONNET, Histoire des présidents de la République. Vingt-quatre hommes et la France, Paris, Perrin, 2013, 544 p., par Éric Anceau
Haut fonctionnaire et principal conseiller de Nicolas Sarkozy durant sa présidence pour les questions d’immigration et de sécurité, l’auteur avait déjà publié une histoire du 11 novembre 1940, en 2009. Au travers d’un plan chronologique en vingt-quatre chapitres – un par président de la République du premier, Louis Napoléon Bonaparte, au dernier en date, François Hollande – ce nouveau livre ne nous propose pas des biographies exhaustives des présidents, mais des portraits d’eux pendant leur passage aux affaires. L’idée force de Maxime Tandonnet est de nuancer l’opposi¬tion classique d’un « roi fainéant » sous les troisième et quatrième Républiques et d’un « monarque républicain » sous la cinquième.
Frédéric MONIER, Olivier DARD et Jens Ivo ENGELS, Patronage et corruptions politiques dans l’Europe contemporaine, 2. Les coulisses du politique à l’époque contemporaine. XIXe-XXe siècles, Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2014, 281 p., par Pierre Allorant
Issu d’un colloque sur « Faveurs et corruption » tenu à Metz en 2012, ce volume constitue le second volet d’une étude qui se propose de dévoiler les coulisses du politique contemporain, période où jeux d’influences et corruptions participent du processus de modernisa¬tion d’une vie politique marquée par le poids croissant des médias. En portant l’accent sur des phénomènes longtemps considérés comme marginaux, ces travaux, au carrefour des sciences sociales, mais impulsés par l’histoire comparée, souhaitent mettre en lumière les relations de pouvoir entre les citoyens d’en bas et les gouvernants.
Sylvie GUILLAUME, Gilles LE BEGUEC, Christine MANIGAND, Jérôme POZZI, Jean-Paul THOMAS et Sabrina TRICAUD (dir.), « Le moment PRL ». Le Parti républicain de la liberté 1946-1951, Rennes, PUR, 2013, 200 p., par David Bellamy
Les actes de la journée d’étude organisée par le Centre d’histoire de sciences Po en octobre 2011 et consacrée au Parti républicain de la liberté paraissent sous la direction des historiens qui en ont été les maîtres d’œuvre aux PUR. Né en décembre 1945, le PRL ne connut ni printemps, ni été, mais tout de suite une lente agonie avant d’expirer dans les bras du Centre National des Indépendants et Paysans en juin 1951. Pourtant, le PRL fut un maillon important, et même décisif à certains égards, dans l’histoire chahutée des droites et du centre au milieu du XXe siècle. En plus de présenter les principaux caractéristique¬s du PRL, tout l’intérêt de cet ouvrage consiste dans le fait de replacer ce moment court dans le temps plus long de l’histoire poli¬tique française.
Claire de GALEMBERT, Olivier ROZENBERG et Cécile VIGOUR (dir.), Faire parler le Parlement. Méthodes et enjeux de l’analyse des débats parlementaires pour les sciences sociales, Paris, LGDJ, 2013, 371 p., par Nicolas Rousselier
Issu d’un colloque organisé en décembre 2010 à l’Assemblée nationale et au Conseil régional d’Ile-de-France, cet ouvrage collectif (composé d’une vingtaine de contributions) se présente à la fois comme un ouvrage savant mais aussi comme un manifeste appelant au renouveau et au développement des études consacrés au Parlement. Dans leur introduction générale, les directeurs de l’ouvrage partent de deux constats simples. La réhabilitation du Parlement en termes d’histoire intellectuelle et conceptuel peut être considérée comme un acquis incontestable. Il reste – et c’est le second constat avancé par les auteurs – que les études consacrées au Parlement demeurent plutôt rares aussi bien en science politique qu’en histoire. L’histoire sociale et l’histoire politique de la vie et du travail des assemblées, de l’Ancien Régime à nos jours, appellent un grand nombre de recherches qui pourront se multiplier dans l’avenir.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)