Jean Tulard reprend la recette de son premier ouvrage Le Pouvoir du Mal : des méchants dont il dresse le portrait dans une introduction historique et qu’il met en scène à travers des dialogues entrecoupés de précisions. Ces discussions peuvent être des propos tirés de chroniques, mémoires, procès-verbaux… volontairement « arrangés » pour plus de fluidité. Le premier chapitre dresse le double portrait de Bajazet (1347-1403), empereur ottoman et Tamerlan (1336-1405), chef Mongol qui s’opposent à la bataille d’Angora en 1402. Les deux hommes font preuve d’une grande cruauté. Bajazet n’hésite pas à faire tuer son frère pour s’assurer le pouvoir. Quant à Tamerlan, lorsqu’il pénètre en territoire ottoman et prend la ville de Divas, il massacre femmes et enfants et fait enterrer vivants les prisonniers. Bajazet qui vient à sa rencontre paie cher sa tyrannie car une partie de ses troupes fait défection et se retourne contre lui. Il est fait prisonnier et là, les sources proposent des scénarios différents : enfermé dans une cage ou installé dans une tente avec respect par Tamerlan. Quoi qu’il en soit, il meurt huit mois après sa défaite. La bataille aurait fait plus de 100000 morts. Tamerlan lui succède dans la tombe en 1405 atteint par la fièvre.
Nous partons ensuite en Angleterre pour découvrir Richard III plus sensible que ne l’a d’écrit l’Histoire. En pleine guerre des Deux Roses, il demande la main d’Anne dont le mari, le prince de Galles a été tué sous ses ordres. La relation entre les deux nouveaux époux datait de l’enfance et Anne n’était pas aussi indifférente que l’a laissé penser Shakespeare. Richard pousse ensuite son frère, le roi Édouard IV à faire arrêter leur frère pour avoir comploter. Quelques temps plus tard, le 9 avril 1483 le monarque décède. Son aîné n’a que 12 ans, son dernier 8. On connaît la suite, Richard parvient à les écarter et les enfermer dans la tour de Londres sous prétexte de bâtardise. Édouard IV aurait eu une première épouse devant Dieu, le mariage avec la mère des enfants n’est donc pas légal. Richard III est couronné le 6 juillet 1483. Les petits disparaissent. Aucune source ne permet de faire le lien avec le roi ; James Tyrell, accusé par Thomas More n’a jamais avoué. Quoi qu’il en soit la couronne lui échappe puisqu’il meurt sur le champ de bataille le 22 août 1485 contre Henri Tudor à Bosworth. En l’absence de fils, décédé un an plus tôt, la couronne change de rose… Jean Tulard nous apprend que sa dépouille a été retrouvée sous un parking il y a peu de temps.
L’auteur dresse des portraits en parallèle. Ainsi le tournage d’Ivan le Terrible par Eisenstein permet d’évoquer les traits du tyran éponyme et du dictateur Staline. Le tournage débute en 1942 et prend fin en 1944. En janvier de l’année suivante Staline accepte le film. Ce n’est cependant pas le cas de la deuxième partie qui dresse un portrait trop sombre et torturé à son goût. Le film est rejeté en 1947, le troisième volet ne verra pas le jour. Un an plus tard le réalisateur meurt. Il faut attendre l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir pour que la bobine soit enfin diffusée. En 1958 il rencontre un succès lors des séances proposées par la Cinémathèque de Paris.
Après les portraits connus, celui de Catherine de Médicis, se glisse celui de Salvator Rosa (1615-1673). Ce peintre s’est retrouvé mêlé à la révolte contre les Espagnols à Naples. Le portrait dressé par Tulard est celui du conspirateur contre un tyran. Le peuple de Naples, exhorté par son groupe, se soulève contre l’occupation espagnole et proteste contre l’augmentation des taxes. Le vice-roi, un temps en faiblesse, parvient à redresser la situation. Salvator Rosa s’enfuit à Rome. Il y fonde l’Académie théâtrale des Percossi. Désormais ce sont ses talents de peintre qui sont admirés.
L’auteur poursuit son voyage chronologique par plusieurs portraits sous la Révolution et l’Empire. La corruption de Fabre d’Eglantine sert à souligner le caractère de Robespierre. Le sculpteur Joseph Ceracchi endosse la figure de celui qui complote pour assassiner Bonaparte, tout en y étant poussé par quelques manipulations de Fouché. Il est arrêté le 10 octobre 1800 alors que le consul est à l’opéra. Cela n’empêche pas l’attentat de la rue Nicaise. Nous retrouvons ensuite Fouché mêlé à l’enlèvement du sénateur Clément de Ris, une tentative de complot entre les deux hommes et Talleyrand alors que l’on croyait Napoléon défait à Marengo. Le dialogue entre la duchesse d’Abrantès et Balzac essaie de dénouer l’affaire.
Puis nous suivons Sade, enfermé pour ses sulfureux écrits. Nous arrivons au personnage de Vidocq, dont les archives de la Préfecture de Police, par ailleurs brûlées en 1871, donnent peu d’information. Né en 1775, ce voleur parvient en 1809 à intégrer la police en tant qu’espion. Il se joint aux malfrats, quitte à provoquer leurs méfaits, pour mieux les arrêter. Éloigné, en 1828 il publie ses mémoires de chef de la police de sûreté. Le succès est au rendez-vous et il monte une entreprise privée. Il rencontre Balzac à Passy et lui inspire le personnage de Vautrin dans le Père Goriot.
Autre personnage idéal pour la littérature, Lacenaire, que l’on vient visiter dans sa cellule et qui déclame des vers pendant son procès, jusqu’aux détails de sa décapitation donnés par Jean Tulard. Puis ce sont les anarchistes du XIXe siècle qui ont inspiré Arsène Lupin, Fantômas et les Pieds Nickelés : Marius Jacob, né en 1879, Émile Henry, poseur d’une bombe café Terminus en 1894, guillotiné la même année, Jules Bonnot et sa bande. L’ouvrage se clôture sur le portrait de Pierre Loutrel dit Pierrot le Fou (1916-1946), un temps collabo, passé ensuite à la Résistance, qui continue ses méfaits après la guerre.
La recette de Jean Tulard est efficace. On se prend à imaginer ces personnages sur une scène de théâtre ou replacés dans leur contexte historique. On découvre également des hommes (principalement) peu connus. Il est également intéressant de noter que certains conspirateurs choisis mènent des combats justes. Ainsi l’auteur nous rappelle que les personnalités sont plus complexes qu’une simple lecture manichéenne de l’Histoire.