Professeur de Lettres en Loire – Atlantique, auteur de romans pour la jeunesse, Marie-Paule Dessaivre consacre cet ouvrage à son grand-père Edmond Châtaigner(1887-1931), soldat dans l’armée d’Orient et décédé précocement des suites d’une tuberculose liée aux dures conditions de vie des soldats. L’ouvrage s’appuie sur un solide travail historique : consultation des archives, étude du journal de marche et
d’opérations du régiment dans lequel son grand-père avait été enrôlé, utilisation de témoignages qui viennent suppléer parfois le manque
de données précises concernant son grand-père, et lecture d’ouvrages d’historiens. C’est aussi un ouvrage d’historiens.C’est aussi un ouvrage mémoriel. L’auteur souhaite rendre justice à son grand-père (« le poids des morts sur les vivants « comme le
dit l’historienne Annette Becker), et au delà, évoquer la situation difficile et méconnue des soldats de l’armée d‘Orient qui ont représenté 380 000 combattants, soit 5% des troupes françaises mobilisées. Elle s’est elle même rendue en Grèce et en Macédoine sur les lieux des combats.
L’ouvrage, qui est aussi une dénonciation de la brutalité et de l’absurdité de la guerre, ainsi que de l’impéritie de la hiérarchie militaire, peut être lu comme un témoignage sur l’expérience combattante dans l’armée d’ Orient.

Un soldat de l’armée d’Orient

Edmond Châtaigner est né en 1887 dans une famille paysanne, près de Bressuire dans les Deux-Sèvres. Les quatre frères reçoivent une bonne instruction primaire, mais il faut souligner que le poids du catholicisme demeure important. Par ailleurs, trois des quatre frères ont combattu pendant la Première guerre mondiale et l’un des frères d’Edmond a été tué en Belgique lors des très durs combats de l’ Yser en 1917. Edmond est d’abord réformé pour maladie, puis finalement incorporé en décembre 1917 et envoyé dans les Balkans en janvier 1918. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les soldats n’embarquent pas à Marseille. A cause de la menace que constituent les sous-marins allemands, ils effectuent un long périple en chemin de fer en Italie, embarquent ensuite pour le sud de la Grèce, puis effectuent un nouveau trajet en chemin de fer pour rejoindre Salonique avant d’être envoyés plus au nord sur la ligne de front situé sur les premiers contreforts des Balkans. Les débuts de l’engagement paraissent assez « classiques » : guerre de position dans les montagnes , bombardements par l’armée bulgare, emploi peut être parfois d’obus à gaz, « coups de main » contre les occupants des tranchées adverses, pertes qui finissent par être nombreuses.On note toutefois une spécificité de l’armée d’ Orient soulignée à la fois par les soldats et par la hiérarchie militaire : le sous-équipement qui rend très difficile la vie des soldats ( ils souffrent du froid de manière dramatique), la pénurie de personnel médical et le manque de nourriture. La situation change à la fin du mois de mai 1918, lorsque les troupesgrecques et françaises s’emparent des premières lignes bulgares, et surtout le 15 septembre 1918 , lorsque les troupes de l’ Entente lancent une grande offensive dans les Balkans. Préparée par d’intenses bombardements, l’offensive conduit à la signature de l’armistice par la Bulgarie. La victoire a peut être hâtée la demande d’armistice allemande en novembre. Par la suite le régiment entre en Bulgarie, puis en Roumanie et parvient en Bessarabie à Iassi et à Kichinev Chisinau en Moldavie actuellement. Mais, au début de 1919, il s’agit aussi d‘empêcher les bolcheviks d’entrer en Roumanie et decontrôler Odessa qui est malgré tout évacuée par les troupes françaises en avril 1919. Tout le monde est conscient du reste que les soldats ne peuvent plus mener une guerre qui leur paraît inutile. Edmond Châtaigner a sans doute embarqué à Odessa pour la France au début du mois d’avril 1919.Des conditions sanitaires déplorables.

Edmond Châtaigner a été victime de maladies, le paludisme, la dysenterie, et surtout la tuberculose qui l’a emporté précocement. Le typhus et la « grippe espagnole » font également des ravages. L’auteur accorde une grande attention aux conditions sanitaires des soldats, mais aussi des populations civiles , elles aussi atteintes par la maladie. Sans être inexistant l’encadrement médical est insuffisant pour suivre les soldats lors de l’offensive de septembre 1918, et de nombreux malades sont soignés dans les « ambulances » ( il s’ agit dans ce cas du premier échelon de soin ,une sorte d’hôpital de campagne), puis dans les hôpitaux militaires. La tuberculose d’ Edmond Châtaigner est reconnue comme une maladie survenue pendant la guerre. La maladie était connue ,mais peu évoquée sans doute pour ne pas inquiéter le malade et sa famille et pour éviter une certaine stigmatisation.L’auteur rend ainsi hommage aux 40 000 soldats morts de la tuberculose, sur 150 000 atteints par la maladie.