«En culture comme en politique, l’échelle européenne est un effort autant qu’un accomplissement. C’est pourtant bien à cette échelle que cette «brève histoire» entend se situer – avec un récit fait d’éveils nationaux, d’industrialisations, d’urbanisations, d’assemblées délibérantes, de journalistes, d’artistes et d’intellectuels, de culture de masse, de systèmes éducatifs et de droits de la personne. En treize chapitres vigoureux, Emmanuelle Loyer fait tourner le kaléidoscope européen, du milieu du XIXe siècle à nos jours, saisissant pratiques et représentations dans leurs différentes inscriptions spatiales et sociales, dans leur hybridation entre l’ancien et le nouveau.
En filigrane, une réflexion sur la fragilité de la culture européenne : il n’y a pas une culture européenne qui viendrait justifier un destin commun, mais des cultures qui se croisent et se nourrissent, engendrant la sédimentation que nous connaissons aujourd’hui.
Retracé avec une grande liberté, cet itinéraire permet d’imaginer, pour nous autres, Modernes tardifs du XXIe siècle, un rapport peut-être plus heureux à notre présent.» 1

Emmanuelle Loyer est professeure d’histoire contemporaine à Sciences-Po Paris. En 1996, elle soutient une thèse sur l’aventure du Théâtre National Populaire (1951-1972) et l’histoire culturelle du théâtre, sous la direction de Jean-François Sirinelli. Spécialiste d’histoire culturelle, son livre éponyme et biographique concernant Lévi-Strauss a connu un succès de librairie, elle a aussi travaillé sur Mai 1968 (Mai 68 dans le texte). Bref, dans ce petit livre jaune, elle propose une synthèse d’histoire culturelle à l’échelle européenne. Cet ouvrage inspiré directement d’un cycle de cours dispensée par E. Loyer est divisé en 13 chapitres, proposant chacun l’explication, la chronologie et l’épistémologie d’un concept ou d’une notion d’importance dans l’Europe d’aujourd’hui.

Comment naissent les nations

Ce premier chapitre s’ouvre sur une analyse précise de la fabrique des nations mais aussi celle des peuples. A travers des exemples européens nombreux le patrimoine et le roman national, d’un certain nombre de pays sont commentés laissant la dernière partie à la littérature s’interrogeant sur une possible « forme littéraire de l’Etat-Nation? »

Flâner en ville

L’urbanisation, processus-phare qui débute au milieu du XIXe siècle en Europe est marqué par l’apparition d’une « culture urbaine. » Avec cette culture émerge la presse puis «le spectacle de la ville» marqué par des lieux emblématiques (cafés, boulevards, gares…) Pour conclure ce chapitre, E. Loyer s’attache à un sujet d’étude particulier : «Les expositions universelles, vitrines de la modernité européenne.»

Société du spectacle et avant-gardes

Faisant lien, pour une spécialiste de l’histoire culturelle du théâtre, elle s’attache à une lecture de cet Art au sein des grandes villes européennes via un livre «L’important ouvrage de Christophe Charle, Théâtre en capitales (qui) nous servira de fil d’Ariane pour montrer la centralité du théâtre dans toute l’Europe de la deuxième moitié du XIXe siècle.» Les Arts en Europe permettent les rayonnement culturel du Vieux continent. Une attention toute particulière est prodiguée à la ville de Vienne et notamment son fameux boulevard de la Ringstrasse ainsi que le mouvement qui va émerger dans la capitale autrichienne : le Jung-Wien.

Au front comme à l’arrière

La guerre est un élément prégnant de l’histoire européenne des 200 dernières années. D’ailleurs les programmes du secondaire font mention de ces cultures : «les cultures de guerre» en classe de 3e et de 1ère. Loyer en fait aussi mention dans ce chapitre et notamment l’expérience de la guerre, la brutalisation, les différentes formes du souvenir…

Européens, Européennes

La question du genre est emblématique dans ce chapitre. En effet, dans cette partie du livre E. Loyer s’interroge sur les rapports «genre et politique dans la France républicaine.» Elle démarre sa réflexion à la Révolution Française pour aller jusqu’à l’écriture de l’homosexualité : «Cette subculture (qui ne signifie pas sous-culture) homosexuelle est donc solidaire de l’urbanisation, de l’industrialisation et de l’épanouissement d’une culture de masse tout en organisant une fluidité entre cultures populaires et cultures d’avant-garde grâce aux capacités de transgression sociale que permet la rencontre homosexuelle. A Paris, à Berlin ou Londres, naît un monde homosexuel à la visibilité intermittente, également présent dans les sphères sociales supérieures et les mondes populaires (…)»

Le temps des colonies

Pour Loyer, les cultures coloniales et impériales sont liées à la culture européenne. Après avoir évoqué E. Saïd et son engagement dans les Postcolonial studies, elle poursuit en expliquant les facteurs et les origines de ces nouvelles cultures : «La nouvelle culture scolaire en partie universalisée (en tous cas en France et en Grande-Bretagne) est également un grand pourvoyeur de culture coloniale avec ses cartes de géographie dessinant les frontières de l’Empire et inculquant un regard intimement européocentré, mais aussi avec ses manuels qui font du bon citoyen un colonial convaincu.» Enfin, avec l’évolution des sociétés et des mentalités européennes E.Loyer conclue avec un questionnement particulièrement pertinent : «Comment devenir postcolonial?»

Les intellectuels en Europe

Dans ce septième chapitre est commenté l’émergence du mouvement intellectuel européen. L’histoire et les faits d’actualité expliquent en partie cette naissance et notamment en France : l’affaire Dreyfus. Très vite ce mouvement s’internationalise, et c’est notamment dans une période «d’une guerre à l’autre» que la chercheuse situe la politisation des intellectuels. Enfin la dimension intellectuelle européenne est relue depuis 1945 et avec pour toile de fond la guerre froide.

Les Ondes et les écrans

La culture de masse est directement liée aux technologies (notamment radio, télévision…) mais aussi à l’industrie :  «La culture de masse fut renommée par ses deux principaux théoriciens critiques, Theodor Adorno et Max Horkheimer, « industries culturelles », afin de souligner l’application de méthodes industrielles de production et de diffusion qui définit à proprement parler, selon eux, la culture de masse.» Enfin est mis en exergue l’histoire culturelle du 7e Art, associant plaisir et lieux, mais aussi industrie.

Politiques de la culture

Dans cette partie de l’ouvrage, il s’agit de s’intéresser à la gestion de la culture. Dans une première partie E.Loyer se lance dans une analyse de la démocratisation de la culture: «Les politiques culturelles de nombreux pays européens démocratiques ont maintenant un demi-siècle d’histoire derrière elles.» Pour revenir tout particulièrement sur les communismes et leurs cultures. Enfin, elle s’intéresse à la notion de mémoire, pilier incontestable de notre histoire culturelle.

1968, une révolte partagée

Impossible d’écrire un livre sur l’histoire culturelle européenne sans mentionner l’impact que l’année 1968 a eu sur les sociétés européennes. Encore une fois, E. Loyer propose un certain nombre de raisons pour expliquer ce « phénomène transnational »et que les frontières ne suffisent pas à enrayer le processus. «La dynamique transnationale militante se perçoit dans le transfert de culture contestataire à travers le passage clandestin de la Pologne vers la France de la Lettre ouverte au Parti ouvrier polonais de Jacek Kuron et Karol Modzelewski, écrite en 1965 (…) Que découvre-t-on ? Tout d’abord que les militants ont des lectures communes, des références communes et des itinéraires en partie convergents (…) » Cette contestation va permettre l’apparition de « nouveaux dispositifs artistiques.»

Cultures numériques

Emmanuelle Loyer discute tout d’abord les transformations des l’espace, du temps et de la hiérarchie des sens, prenant comme exemple représentatif, les écrans. «Aux appareils d’autrefois, fixes et dédiés à une fonction précise (écouter des disques, regarder la télévision…) se sont substitués des appareils multifonctions et nomades qui permettent insensiblement de faire vaciller les frontières entre les univers de divertissement et de culture savante (…)» Elle discute aussi de l’adaptation des bibliothèques passants de livres imprimés aux livres (ou documents) numériques. Cela change la façon de lire, de réfléchir, mais aussi l’espace public, bref le rapport culturel devient plus direct et (presque) illimité.

Vers une «civilisation des loisirs»

La notion de «temps libre» qui apparaît (notamment en 1936, en France) entraîne une culture des loisirs et du divertissement. Le tourisme émerge débutant par le «Grand Tour» britannique, pour finalement aboutir à une tourisme de masse. Le loisir est perçu aujourd’hui comme un élément structurant de la vie des européens. Les vacances doivent êtres organisées, et l’on en vient à des phénomènes très particuliers. «Il s’agit du club de vacances, c’est-à-dire un village de vacances proposant un produit fini composé de toutes les prestations attendues (…) en forfait unique, le tout composant « les vacances »…» Les loisirs sont donc aujourd’hui fondateurs de certains imaginaires.

Vie Privée, Vie intime

Pour conclure ce livre, Emmanuelle Loyer nous invite à faire un état des lieux de l’intimité. Elle décrit ce concept comme récent puisque pour elle c’est «la bourgeoisie, (qui) sacralise l’espace domestique, lieu de l’intimité familiale, comme constitutif de son identité profonde.» L’intime se propage alors en littérature, en cinéma et bien sur devient concept-clé de la psychanalyse.

Cette synthèse, particulièrement bien écrite, devrait devenir un grand basique des étudiants d’histoire. En effet, les exemples sont ciblés et pertinents. Il y a aussi des documents visuels très complets. Même sur des études très connues on apprends toujours un petit détail qui permet de créer des liens entre les connaissances théoriques et concrètes. Un ouvrage qui me semble être une excellente introduction à la question CULTURE, MÉDIAS, POUVOIRS AUX ÉTATS-UNIS ET EN EUROPE OCCIDENTALE 1945-1991 aux concours d’enseignements. Très fourni en exemples, il permettra de bien illustrer certaines problématiques des programmes du secondaire (tout particulièrement en 3é et 1ère) et je pense aussi aux élèves intéressés par les formations en sciences-politiques. Bref à mettre entre de nombreuses mains !!

 

1Présentation de l’éditeur