Philippe Chalmin est historien et économiste, professeur à Paris-Dauphine spécialiste des marchés mondiaux et auteur depuis plus de trente ans du « Cyclope », rapport annuel de référence sur les marchés mondiaux. Il entreprend dans cet ouvrage, issu de ses cours, de revisiter un siècle d’économie en vingt chapitres.
Une synthèse qui n’exclut pas les touches personnelles
L’auteur précise d’abord que ce panorama n’exclut pas d’y apporter une touche personnelle. Philippe Chalmin a aussi choisi de ne pas faire apparaitre de notes de bas de pages et, si on trouve bien évidemment des chiffres, ils ne sont jamais envahissants dans l’ouvrage. Il affirme au cours de son texte quelques-unes de ses convictions et glisse quelques anecdotes. Ainsi, on apprendra peut-être que, lors de la marche des Vétérans sur Washington en 1932, au moment de la crise économique, c’est le général MacArthur et le colonel Eisenhower qui se chargent de la réprimer. Après un chapitre de « survol du XX ème siècle », commence un parcours chronologique.
Le monde jusqu’à la Seconde Guerre mondiale
Philippe Chalmin consacre six chapitres à cette période. Il dresse d’abord un état du monde en 1913 en l’articulant à la notion de mondialisation. Quelques chiffres permettent de mesurer les changements alors récents : de 356 000 kilomètres de voies ferrées en 1880, on passe à 75O 000 kilomètres en 1900 et à un million en 1920. Londres domine alors encore le monde et un tiers de la richesse britannique est investi à l’étranger. L’auteur consacre ensuite un chapitre à la Première Guerre mondiale et ses conséquences dans un chapitre très clair et très synthétique. Les années 20 voient ensuite l’affirmation de la puissance des Etats-Unis et le secteur automobile en est un bon exemple. Philippe Chalmin présente ensuite la Grande Dépression en rappelant que de « boursière, la crise devint bancaire dès le début de 1930 et tout l’édifice du crédit s’en trouva ébranlé ». L’ampleur de la crise peut se mesurer à travers le PIB. Aux Etats-Unis, celui de 1933 ne représentait plus que 69 % de celui de 1929. Il cite Eric Hobsbawn qui disait : « La grande dépression détruisit le libéralisme économique pour un demi-siècle ». Les réponses à la crise sont abordées dans le chapitre suivant et Philippe Chalmin insiste pour dire que le New Deal fut avant tout « une attitude plus qu’une politique cohérente ». Malgré les améliorations, il y avait encore 9,4 millions de chômeurs à la veille du second conflit mondial. Du côté français, on sait que la crise fut plus douce et plus longue. Le monde communiste n’est pas oublié et l’auteur rappelle qu’en 1913, la Russie présentait tous les signes d’un pays « émergent ». Il présente la NEP, en donne le bilan positif puis pointe les échecs de l’URSS qui se voulait être un modèle.
De la Seconde Guerre mondiale à la naissance du Tiers-Monde
Philippe Chalmin évoque les économies de guerre et, comme un pas de côté, cite le roman de Jonathan Littell « Les Bienveillantes » pour évoquer les rouages d’un système qui fonctionnait sur la main-d’oeuvre concentrationnaire. Les conséquences économiques de la guerre peuvent là encore se lire au travers du PIB : celui de la France est divisé par deux en 1944 par rapport à 1938. Les lendemains de la guerre furent décisifs avec la mise en place de nombreuses institutions et principes sur lesquels nous vivons toujours. C’est l’époque de l’Etat-providence et du renforcement de l’Etat de façon plus générale. « Les Trente Glorieuses » sont abordées en rappelant, en plus de quelques chiffres de référence, quelques inventions de cette époque comme le conteneur, inventé en 1954, et expérimenté avec succès pour la première fois deux ans plus tard. La production agricole croît à une vitesse impressionnante. Philippe Chalmin s’arrête sur le modèle français avec une formule qui fait mouche : « La France fut le seul modèle « soviétique » qui ait réussi ! ». Le chapitre 11 s’intéresse à la construction européenne et on apprendra peut-être au passage que la signature du traité de Rome n’eut droit qu’à une brève en page 7 du Financial Times ! L’auteur retrace aussi la PAC avec ses principes, ses réussites et aussi les questions que pose un tel modèle. Il n’en conclut pas moins qu’avec 28 % du PIB mondial en 1995, l’Union Européenne était alors la première économie du monde devant les Etats-Unis. Après l’utopie communiste pour la période avant 1945, c’est le terme d’illusion que choisit l’auteur pour la période jusqu’aux années 70. Le budget militaire alla jusqu’à représenter 20 % du PIB de l’URSS. L’auteur aborde également l’Europe de l’Est en insistant sur le fait qu’après 1958 « les cheminements se firent plus variés ». Dans « La naissance du Tiers-Monde », Philippe Chalmin pointe l’importance du choc démographique qui entrava l’émergence de ces pays. Après avoir cherché des modèles, les pays suivirent finalement des parcours assez parallèles.
De la crise de 1974 à l’importance de la Chine
Six chapitres permettent de balayer les quarante dernières années. L’auteur insiste sur le grand tournant des années 70 en pointant l’importance de la guerre du Kippour : avec le contrôle du pétrole, « le pouvoir avait changé de camp » affirme Philippe Chalmin. Le Tiers-Monde reste lui dans l’impasse avec un endettement qui ne fit qu’augmenter. Commence alors un « grand virage des politiques économiques » souvent symbolisé par les « Chicago boys ». L’auteur insiste sur la réussite économique du Chili, au prix d’une thérapie de choc. Le chapitre se conclut sur l’éclatement et l’inutilité de la notion de Tiers Monde car, pour l’auteur, il y a d’un côté des pays avec des matières premières souvent mal gérées, des anciens pays en développement qui n’ont pas bougé et des émergents. Les pays occidentaux, eux, doutent et si l’on doit retenir trois idées fortes, c’est le renouveau du libéralisme économique, la crise des économies mixtes et la disparition de l’alternative communiste. Il y eut ensuite un rebond que l’on présente souvent autour de l’idée d’une troisième révolution industrielle. Si le terme ne semble pas le plus approprié à l’auteur, il souligne néanmoins quelques faits saillants qui montrent le basculement vers une nouvelle époque marquée par l’ordinateur. Alors qu’il y avait 13 millions de machines dans le monde en 1983, on en compte plus de 60 millions douze ans plus tard. Le tour d’horizon se déplace ensuite vers la Chine et les pays émergents et Philippe Chalmin, prenant un peu de recul, choisit de parler de « retour de la Chine » si l’on pense au poids qu’elle occupait il y a trois siècles environ. Il pointe aussi la quadrature du cercle que doit résoudre le modèle chinois. Il doit, par exemple, maintenir la croissance à un niveau suffisant pour offrir le nombre d’emplois nécessaire à l’accueil des vingt millions de migrants des campagnes qui arrivent en ville chaque année. Philippe Chalmin se montre sceptique sur le fait d’avoir agrégé l’Afrique du Sud au BRIC initial. L’avant-dernier chapitre se focalise sur la crise de 2008. Le recul du PIB fut sévère dans plusieurs pays mais l’auteur choisit plutôt d’insister sur le fait que son souvenir s’effacera « peu à peu comme cela a été le cas de la dizaine de crises qui ont émaillé la fin du XIX ème siècle ». Le dernier chapitre essaye de tracer quelques perspectives, exercice toujours délicat : l’extrême pauvreté a reculé mais les inégalités n’en demeurent pas moins frappantes. Il pointe également le fait que « le partage capital/travail est clairement du côté du capital même si l’essentiel des grandes fortunes est moins celle d’héritiers que de pionniers de la nouvelle économie. » Il ajoute à la toute fin le défi climatique de façon très rapide.
Cet ouvrage se lit avec facilité et plaisir et offre une approche panoramique tout à fait réussie. Sans didactisme, Philippe Chalmin donne plusieurs clés pour comprendre notre monde économique en l’envisageant dans la durée.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes