Présentation de l’éditeur. « L’identité peut être une fierté… ou un crime. Mulhouse, de nos jours. Un jeune cadre dynamique accro aux substances pour tenir le rythme, décide de passer une semaine en cure dans une clinique de repos. Un soir, il fait la rencontre de son voisin de chambrée, M. Engel, fils d’un important vigneron de la région de Colmar. Après lui avoir fait goûter un délicieux riesling, celui-ci lui raconte l’histoire de sa famille, dans l’Alsace de 1940… La région intégrait alors le IIIe Reich après la victoire éclair des nazis, et après avoir été successivement allemande puis française. Entre les arrestations, les interdictions, l’assimilation aux coutumes nazies et le début de la chasse aux Juifs par la Gestapo, les tensions identitaires refaisaient surface dans une région déjà constamment tiraillée entre les deux cultures. L’histoire des Engel était celle, tragique, d’une famille comme les autres dans une région pas tout à fait comme les autres. D’une famille en guerre. Contre l’histoire, contre elle-même.

Après L’Île des Justes, Stéphane Piatzszek et Espé nous racontent une nouvelle fois l’héroïsme ordinaire des Françaises et des Français pris dans la tourmente de la guerre sous l’Occupation. Une saga familiale au souffle romanesque et salutaire ».

La situation de l’Alsace qui a connu deux périodes d’occupation pendant le XXe siècle n’est pas forcément connue du grand public, en dehors de l’audience régionale. Cette série qui commence avec le premier tome « Le pays perdu » nous replace au cœur d’un récit dans lequel une famille, les Engel, vignerons dans la région de Colmar, se retrouve aspirée par l’histoire.
On connaît grosso modo le destin de l’Alsace, terre d’Empire conquise par Turenne sous le règne de Louis XIV, pomme de discorde entre la France et la Prusse, annexée à l’empire en 1870 et restituées à la France en 1918. Mais lors de la revanche de 1940, Hitler n’avait rien oublié, le sort de l’Alsace a été celui de l’annexion au troisième Reich. Celle-ci a lieu dès le 1er juillet 1940, l’armistice ayant été signé le 22 juin, la politique de germanisation et de nazification est conduite avec zèle par le Gauleiter Robert Wagner.
Un camp de rééducation est destiné aux Alsaciens récalcitrants, dès juillet 1940, et le camp du Struthof ouvre ses portes en mai 1941.
Le récit de Stéphane Piatzszek plonge le lecteur au cœur des contradictions de cette population alsacienne que les nazis considéraient globalement comme aryenne. Sous réserve bien entendu de débarrasser la nouvelle province du Reich de ses éléments indésirables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’un des personnages, fait prisonnier dans l’armée française, est comme la plupart des Alsaciens capturés, autorisé à retourner chez lui. C’est le cas de Antoine, le fils de la maison qui se prend d’une passion charnelle pour le vignoble familial, à l’exception de toute autre considération.
Au lycée Bartholdi de Colmar le professeur Bleicher se fait l’ambassadeur de la germanisation, et même de la nazification avec enthousiasme auprès de ses élèves. Institutrice, la fille Engel se voit, comme tous ses collègues, contrainte de signer un certificat d’allégeance au Führer. On assiste d’ailleurs à des formes de résistance passive, lorsque les élèves répondent au très timide mais obligatoire « Heil Hitler » de l’institutrice, par un tonitruant « God save the Queen ! ».
Le décor est donc planté et l’on voit toutes les contradictions qui affectent les personnages de cette saga où les partisans de l’intégration au Reich tiennent le haut du pavé, tandis que les autonomistes Alsaciens se débattent dans leurs contradictions. Seuls ceux qui se considèrent comme français cherchent à s’affranchir de la pesante tutelle de l’administration allemande. Celle-ci d’ailleurs ne réserve pas de traitement de faveur particulière à la population alsacienne qui doit participer à l’effort de guerre. Les réquisitions n’épargnent d’ailleurs pas le père Engel qui a tout de même dissimulé ses stocks de vin derrière un mur dans sa cave. Ce dernier doit d’ailleurs se séparer de ses personnels juifs qui sont expulsés vers la France.
La jeune institutrice organise un réseau de passage à travers les Vosges pour les prisonniers français, tandis que son petit frère se retrouve incorporé dans les jeunesses hitlériennes à seize ans. Les pressions sur les familles sont fortes et les jeunes évidemment sont les premières victimes de cette propagande. La majorité des Alsaciens a été contrainte d’adhérer à diverses associations nazies même si ces structures armées n’ont pas remporté un franc succès. Les biens des Alsaciens qui ont fui leur région pour aller en France sont saisis tandis que la conversion du franc en Reichsmark avec un taux surévalué ruine les industriels alsaciens qui doivent se soumettre au système bancaire du Reich.
Au niveau graphique, nous connaissons déjà Espé comme dessinateur, qui s’inscrit dans une approche très réaliste dans la présentation des visages de ses personnages, ainsi que dans leurs postures. La mise en couleur des planches et de Aretha Battistutta qui restitue très bien l’atmosphère de cette époque, notamment sur les paysages de coteaux en terrasse qui portent ses anciens cépages sur lesquels Antoine font beaucoup d’espoir.
On s’intéressera également la situation particulière des autonomistes alsaciens comme le docteur Charles Roos qui à partir de 1933 prend fait et cause pour le national-socialisme. Condamné à mort pour espionnage au profit de l’ennemi le 26 octobre 1939 à Nancy, il est exécuté en février 1940, pendant la drôle de guerre. Certaines rancœurs qui ont conduit des alsaciens aux formes extrêmes de la collaboration peuvent s’expliquer également par le zèle avec lequel les autorités françaises ont réincorporé l’Alsace et la Moselle à la République après 1918.
On trouve donc ici tous les ingrédients d’une saga qui est dans la même veine que la série « un village français », qui présente évidemment l’intérêt de montrer une région avec une situation particulière. Le premier tome représente une forme de place de l’histoire, et on attend évidemment la suite avec le plus vif intérêt.

Pour avoir une approche directement utilisable de cette saga on pourra se référer avec profit à cette remarquable présentation du CRDP de l’académie de Strasbourg.