Dans cette histoire des jardins potagers du Moyen Age à nos jours, Yves-Marie Allain, qui est ingénieur horticole et paysagiste formé au Potager du roi à Versaillesa préface est signée Alain Baraton, jardinier en chef du domaine national de Trianon et du parc du château de Versailles et chroniqueur sur France-Inter, analyse la place des potagers européens dans l’organisation spatiale et sociale des jardins.
Un beau livre qui permet de vagabonder dans le temps et l’espace.
L’universalisme du jardin
L’auteur rappelle que, de tout temps et sur tous les continents, le potager est un lieu spécifique destiné à produire une nourriture de qualité. Depuis la Renaissance, des traités savants ont parlé des jardins potagers, même si la pratique d’une culture alimentaire proche de la maison est très ancienne.
Un jardin dédié aux plantes nourricières
Le mot légume s’est installé lentement dans le vocabulaire français, vers la fin du XVIIIe siècle. Les termes utilisés pour désigner le jardin potager sont très divers : fruitier-potager, ortus en latin, courtil dans le Midi ou hortillon en Picardie… L’expression de jardin potager date de 1564 dans l’ouvrage de Charles Estienne L’agriculture et maison rustique.
L’auteur évoque le nom incontournable du jardinier de Louis XIV Emmanuel de La Quintinie pour la rotation des cultures. Le jardin, contrairement à la culture de plein champ, se caractérise par la grande variété des plantes cultivées : légumes, petits fruits, herbes aromatiques et médicinales. Ces plantes, issues de variétés sauvages, ont été choisie pour leur intérêt. Elles ont souvent voyagé d’un continent à l’autreLe commerce des plantes dans le monde: entre histoire des savoirs et histoire des empires (XVIe-XXe siècles), conférence à l’École du Paysage par Philippe Minard, Samir Boumediene, Hélène Blais, Claire Fredj, Rahul Markovits – Le voyage des plantes et les Grandes Découvertes, José E. Mendes Ferrão, Chandeigne, 2018. Elles ont été introduite, dès l’Antiquité, dans une Europe où la diversité naturelle était réduite. Au Moyen Age, arrive,t de nouvelles espèces venues de lieux très divers : l’angélique officinale de Scandinavie, l’aubergine ou l’épinard introduits par les Maures. Les monastères jouent alors un grand rôle. Les agrumes asiatiques gagnent la Méditerranée. Enfin venus d’Amérique ce sont des légumes présents dans tous les jardins potagers du XXE siècle : pommes de terre, tomates, maïs, courges.
L’adaptation de ces nouveautés suppose des essais plus ou moins longs selon les conditions climatiques. Le chemin du jardin à l’assiette a, parfois, été long : le melon a mis deux siècles pour atteindre la table parisienne. L’histoire de la pomme de terre est plus connue, du jardin du moine Pierre Sornas à St Alban d’Ay à Parmentier.
Le nombre de plantes potagères est difficile à établir, d’autant que le classement (légume-feuille, légume-racine…) varie d’un continent à l’autre. La tomate, est-elle un fruit ou un légume ? Question en débat aux États-Unis au XIXe siècle, car la taxation est différente.
Depuis très longtemps, un travail de sélection empirique a modifié les légumes, en fonction des terroirs. Le commerce des semences est, lui aussi, une pratique ancienne, évoquée par Ibn al-Awwâm dès le XIe siècle. Petit à petit, les variétés ont été produites par des entreprises spécialisées.
L’auteur aborde ensuite le jardin avec ses métiers et l’outillage. Depuis le XIXe siècle, Le bon jardinier permet d’en connaître l’évolution.
Le potager : une création culturale et culturelle
La signification symbolique et religieuse des potagers du monde reste à étudier. Le jardin créole, jardin lakou, incarne une relation au végétal différente du jardin européen. Son organisation spatiale est en lien avec l’utilité des éléments présentsDescription p. 50 à 52. Les études montrent l’efficacité des associations de plantes en termes de rendement.
L’auteur présente ainsi le potager gréco-romain, les jardins religieux ou laïque du Moyen Age, connus notamment grâce au capitulaire de Charlemagne. Les études montrent la place des jardins urbains au bas-Moyen Age. Pour la Renaissance, on s’appuiera sur les écrits de Charles Estienne ou Olivier de Serres. Plusieurs sites ont remis à l’honneur ces anciens jardins aussi esthétiques qu’alimentaires. C’est au siècle suivant que le potager est relégué, remplacé par le jardin d’ornement : deux conceptions s’opposent sous Louis XIV, celle de Le Nôtre et celle de La Quintinie. Au XVIIIe siècle, avec le mouvement physiocratique, le jardin potager redevient un sujet d’intérêt, tandis que le jardin d’ornement s’ouvre à l’influence anglaise. L’évolution au XIXe siècle va vers une disparition du potager au profit du commerce de produits maraîcher.
Un paragraphe est consacré aux potagers alimentaires et thérapeutiques des abbayes bénédictines.
Les modes passent, mais les principes perdurent. L’ auteur constate la longévité, depuis l’Antiquité, de quelques principes concernant la fertilité du sol, l’exposition et la disponibilité en eau. Il compare les propos de La Quintinie à quelques autres auteurs sur l’emplacement idéal, la proximité de l’eau, la disponibilité des récoltes au long de l’année et les besoins en main-d’œuvre ou la surface optimum pour une famille. La question des allées et la cohabitation fruits/légumes sont analysées. Le jardin du Roi à Versailles en est le modèle.
Au cours du XIXe siècle, l’almanach du bon jardinier est incontournable au moment où se développent les sociétés d’horticulture et les marchands grainiers. La Société Vilmorin naît en 1774, Texier en 1785. Ce commerce se développe grâce aux catalogues illustrés, vers 1880.
En face des nouveautés, on voit apparaître des jardins de collection, mais aussi les « jardins-ouvriers »En France avec le Familistère de Guise qui voient leur rôle croître lors des deux guerres mondiales. Le désintérêt est progressif après 1945.
Aujourd’hui, peut-on parler de retour du potager ? Il est souvent interdit dans les règlements des lotissements. Il faut attendre 1980, à Orléans, pour voir revenir en ville fruitiers en espalier et fraisiers couvre-sol, non sans polémique.
En ce début de XXIe siècle, le potager renaît. En 2021, le jardin potager du château d’Ecaussinnes, en Belgique, a été labellisé jardin remarquable. Dans l’environnement des châteaux, on voit se développer un mouvement de reconstitution des jardins historiques (Villandry, La Chatonnière, Miromesnil).
Un paragraphe est consacré aux nouveaux jardins urbains, au pied des immeubles, sur les toits, jardins collectifs, jardins partagés qui disent de nouveaux rapports au potager : retour à la nature ou technologie futuriste.
Un beau livre pour les amoureux du jardin.
Il faut souligner la qualité de la documentation, notamment iconographique de cet ouvrage qui vient faire écho à celui de Florent Quellier, Histoire du jardin potager, paru en 2012 chez Armand Colin