Pourquoi ce nouvel ouvrage sur les mythes de l’histoire de France ?

Débusquer les idées reçues sur le passé, déconstruire les représentations et expliquer leurs origines et leurs mutations en passant les sources au tamis de la raison, au moyen de la critique interne et externe : telle est l’une des missions du professeur d’histoire et l’un des moteurs de la recherche historique, dans le cadre du travail collectif entrepris par la communauté des chercheurs qui permet de dégager des consensus et d’innover, comme dans n’importe quel autre domaine scientifique.

C’est dans ce projet que s’inscrit le présent ouvrage, réédition d’un livre publié pour la première fois en 2013 aux Éditions La Boétie, et qui vise à passer au crible des derniers travaux d’historiens « 2000 ans d’histoire et cent mythes qui ont fait la France, en en décortiquant les raisons et les origines » (4ème de couverture). Il s’agit de revisiter les lieux communs et les erreurs véhiculées par le roman national afin d’apporter des « réponses claires, simples et précises » à des problématiques parfois complexes et souvent polémiques.

Cependant, à l’heure d’un profond renouvellement des perspectives quant à l’histoire de France et alors que d’autres travaux stimulants ont déjà été recensés dans la Cliothèque comme Une histoire nationale est-elle encore possible ? de Michelle Zancarini-Fournel (2018), quels peuvent être les apports de cette nouvelle publication ?

 Le projet de l’auteur

Chartiste, historien moderniste et professeur en classes préparatoires où il enseigne l’histoire médiévale et l’histoire moderne, Laurent Avezou a consacré ses recherches au devenir historiographique des figures de l’Ancien Régime, notamment Sully et Richelieu, et s’est donc intéressé à la notion de mythe, essentiellement dans le domaine politique, qu’il définit comme une « représentation symbolique qui laisse transparaître les principes et les valeurs d’une société » (p. 7). Cet ouvrage en a retenu cent qui passent en revue l’ensemble de l’histoire de France dans son approche classique, depuis les Gaulois, nos prétendus ancêtres, jusqu’à la complexe figure de François Mitterrand, premier président de la Vème République étiqueté socialiste.

Ce livre projette de « disséquer » ces mythes en leur appliquant le « questionnaire préétabli » avec lequel l’historien, véritable « enquêteur » (p. 7) outillé du doute méthodique, interroge tout objet : quelles sont leurs origines et leurs évolutions ? Quels en sont les auteurs et les destinataires ? Quel est leur degré de conformité aux faits ? Même si l’auteur précise tout de suite que cette dernière question peut être un peu vaine car « le mythe historique se place par-delà la frontière entre le vrai et le faux. Il digère, déforme, reconfigure, mais ne ment pas forcément » (p. 8), en nous renseignant souvent moins sur le passé lui-même que sur les méandres de l’esprit humain ou des sociétés qui le réinterprètent au cours du temps.

Présentation de l’ouvrage

 L’ouvrage est divisé en cent courts articles de deux à trois pages en moyenne, rangés par ordre chronologique et rassemblés en douze grandes parties : LA GAULE (10 p.), LE HAUT MOYEN ÂGE (19 p.), LA FRANCE CAPÉTIENNE (32 p.), LA GUERRE DE CENT ANS (15 p.), RENAISSANCE ET GUERRES DE RELIGION (19 p.), LA MONARCHIE ABSOLUE (28 p.), LA RÉVOLUTION (22 p.), L’ÈRE NAPOLÉONIENNE (12 p.), LE XIXe SIÈCLE (23 p.), D’UNE GUERRE MONDIALE À L’AUTRE (28 p.), LA SECONDE GUERRE MONDIALE (25 p.), APRÈS 1945 (24 p.). Ainsi, même si l’ouvrage est principalement consacré à l’histoire contemporaine (134 p.), il réserve une place substantielle aux périodes moderne (47 p.) et plus encore médiévale (66 p.).

Il se présente comme une succession de réponses synthétiques à des questions volontairement ramassées et sans nuances (« 32. Louis XI était-il un fourbe ? » ou « 56. Louis XVI était-il un benêt ? »), parfois polémiques, se frottant à totems et tabous (« 1. Les Gaulois sont-ils nos ancêtres ? », « 9. Charles Martel a-t-il arrêté l’islam à Poitiers ? », « 31. Jeanne d’Arc a-t-elle sauvé la France ? », « 50. La France fut-elle un pays esclavagiste ? », « 57. Y a-t-il eu un génocide vendéen ? », « 65. La conquête de l’Algérie a-t-elle été un bain de sang ? » ou bien « 82. Le Front populaire est-il responsable de la défaite de 1940 ? »). Leur formulation est souvent provocatrice et simplificatrice telle qu’elle peut émerger dans le débat public (« 38. Henri IV a-t-il été le meilleur roi de France ? », « 58. Robespierre était-il un monstre ? » ou « 98. De Gaulle fut-il contre l’Europe ? »). Ce choix éditorial n’exclut pas une réelle volonté de problématisation (« 14. La France est-elle née au traité de Verdun de 843 », « 23. Louis IX était-il un saint ? », « 42. La monarchie absolue date-t-elle de Louis XIV ? », « 61. Napoléon était-il un dictateur ? », « 78. Le traité de Versailles est-il responsable de la Seconde Guerre mondiale ? » ou « 94. De Gaulle est-il revenu au pouvoir par un coup d’État ? » ou bien encore « 100. Mitterrand était-il socialiste ? ») ou un effort pour proposer des mises au point historiographiques solides, même si parfois anciennes, dans certains chapitres (« 4. Les grandes invasions ont-elles eu lieu ? », « 17. Les terreurs de l’an Mil ont-elles existé » ou « 35. La Saint-Barthélemy était-elle préméditée ? » ou bien encore « 80. Le 6 février 1934 fut-il une tentative fasciste pour abattre la république ? »).

Analyse critique de l’ouvrage : forces et faiblesses

On apprécie, d’un point de vue pratique, la grande maniabilité de l’ouvrage : son format poche rend sa consultation très aisée et agréable. De plus, son écriture pleine d’esprit (« en dépit du fait que [Louis XV] détienne le second record de longévité d’un roi de France (cinquante-neuf ans), ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’être mort trop tôt », p. 145 ; « [Robespierre] n’a pas instauré la Terreur, mais il en est devenu le symbole. Pour abolir celle-ci, on coupa la tête au symbole », p. 174 ; « Deschanel se résout à présenter sa démission, au terme d’un septennat… de sept mois », p. 240), percutante, imagée et son style direct, enlevé et vivant en rendent la lecture très plaisante, malgré quelques facilités langagières (« l’intox », p. 53 ; « [Philippe Auguste] a marché sur trop de plates-bandes », p. 60 ; « coup de com’ », p. 102 ; « [Louis XVI] file à l’anglaise », p. 163).

L’auteur livre par ailleurs un jugement clair et tranché le plus souvent, quand il est possible (« il n’y a pas d’énigme Alésia », p.17 ; « La bataille de Poitiers n’a été décisive ni pour la chrétienté ni pour l’islam », p. 32 ; « si les philosophes [des Lumières] ont perçu certains aspects de la Révolution à venir, ils ne l’ont pas préparée », p. 159 ; « il n’y a pas de mystère Jean Moulin », p. 277 ; « Les responsabilités majeures dans le sort tragique des harkis incombent à l’Algérie. Mais […] dans [le] cas [de la France], on peut parler sans équivoque d’abandon », p. 296). Il assure néanmoins une pédagogie de la nuance propre à la discipline historique en apportant des réponses qui ressortissent davantage à une palette de gris plutôt qu’à une opposition naïve de noir au blanc (ainsi par exemple des chapitres « 86. Les Français ont-ils été des « collabos » ? » ou « 89. Le rôle de la Résistance a-t-il été exagéré ? », ou bien encore en se demandant par qui « 95. Les pieds-noirs ont-ils été trahis ? ») et qui échappent aux lectures déterministes a posteriori (« 75. L’Allemagne est-elle responsable de la Première Guerre mondiale ? »). Parfois même l’absence de preuve avérée interdit toute position univoque et définitive (« Faute de sources écrites, il est impossible de trancher [entre les différentes hypothèses relatives à la Saint-Barthélemy].», p. 109 ; « si la thèse de l’assassinat de Zola est tout à fait plausible, le protocole de la preuve en histoire interdit de la transformer en certitude », p. 220).

Par ailleurs, la source et le cheminement d’une idée reçue sont décrits de manière concise et précise (« 83. La cinquième colonne a-t-elle existé ? »), en expliquant les différentes étapes de ses transformations (« 29. Les bourgeois de Calais se sont-ils sacrifiés pour la France ? ») et en déconstruisant sa cristallisation souvent sous la IIIème République dans un contexte revanchard (« 2. Vercingétorix a-t-il soulevé la Gaule contre César ? »), tout en opérant de fréquents aller-retours avec le présent (« En réalité, comme en 1940, les défaites de la guerre de Cent Ans ne sont pas morales, mais bien militaires », p. 86) ou la transposition cinématographique (« Y avait-il une consistance derrière la poupée de porcelaine à laquelle Kirsten Dunst a prêté en 2006 son doux minois dans le film [Marie-Antoinette] de Sofia Coppola », p. 165 ; « [La guerre d’Algérie avait été racontée dans des] films comme Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier (1972) ou R.A.S. d’Yves Boisset (1973) », p. 298). Cependant, la densité d’informations peut parfois gêner la bonne compréhension des faits et des enjeux entre les différents acteurs (« 33. La victoire de Marignan mérite-t-elle sa renommée ? »).

Enfin, il convient de souligner la grande attention de l’auteur à brosser, voire rétablir, un portrait équilibré des figures évoquées (« 40. Pourquoi Richelieu a-t-il si mauvaise réputation ? », « 48. Louis XV fut-il un si mauvais roi ? », « 70. Thiers ne fut-il que le boucher de la Commune ? » ou même « 100. Mitterrand était-il socialiste ? ») en démontant le « raccourci un peu facile, tel qu’il plaît aux amateurs d’idées reçues, simples et rapidement digestes, et qui fait fi de la complexité historique d’un personnage » (p. 210) « dont les contradictions ne sont qu’apparentes » (p. 225) et en dépassant les oppositions stériles et/ou anachroniques (« 72. Ferry fut-il un colonisateur ou un éducateur ? », « 74. Clémenceau fut-il le « premier flic de France » ou le « Père la Victoire » ? » ou Pétain est-il le « vainqueur de Verdun » (76.) ou un traître à la patrie (85.) ?).

En revanche, on regrette que les articles ne comportent pas de pistes bibliographiques complémentaires, même succinctes, et qu’ils soient dépourvus d’appareil critique suffisant pour sourcer et approfondir ses connaissances, spécialement dans l’optique de la confection d’un cours ou de la rédaction d’une dissertation de niveau universitaire. Les citations d’historiens contemporains sont ainsi rares et très rarement accompagnées d’indications bibliographiques précises (nom de l’ouvrage, titre de l’article…). Par ailleurs, les références sont parfois très anciennes (l’Histoire de Vichy de Robert Aron, 1955 et La France de Vichy de Robert Paxton, 1973, 85.). De même, on déplore l’absence de bibliographie générale en fin de volume, susceptible de guider a minima le lecteur et de consolider les connaissances synthétisées, en offrant un prolongement issu de la recherche historique.

Ensuite, ce projet mené par une seule personne, qui ne peut pas être spécialiste de toutes les périodes et tous les sujets, conduit assez logiquement à une analyse relativement superficielle et trop peu solidement étayée pour faire de l’ouvrage un instrument de travail suffisant pour le professeur.

Sur le fond du projet, l’approche de l’histoire de France reste très classique, voire désuète, comme surgie d’un vieux Lavisse et paraissant ignorer l’existence de l’École des Annales : on y évoque une histoire-bataille, traitée sous des angles traditionnels essentiellement politique, diplomatique et militaire ; le propos est personnalisé autour de grandes figures alors que le peuple, dans ses différentes acceptions, est quasiment absent ; la problématique nationalo-centrée semble ne pas s’être ressourcée, à la faveur de cette réédition, en intégrant les réflexions historiographiques les plus récentes, notamment l’Histoire mondiale de la France dirigée par Patrick Boucheron en 2017.

Enfin, il est regrettable que l’ouvrage cède à des questionnements du ressort de l’histoire-spectacle sensationnaliste et/ou anecdotique et non de l’histoire scientifique : « 25. Y a-t-il un secret des Templiers ? », « 46. Le Masque de fer était-il le frère jumeau de Louis XIV ? », « 64. Napoléon a-t-il été empoisonné ? », « 79. Le président Deschanel était-il fou ? ».

En conclusion, ce livre est un précis de ce que le grand public cultivé doit savoir sur ces questions de l’histoire classique, heureusement débarrassée des idées reçues qui l’encombrent par ce travail sérieux, mais il ne présente nulle surprise pour l’honnête homme, lecteur régulier de la revue L’Histoire ou qui se tient au courant des grandes évolutions historiographiques grâce aux médias de référence.

Quel public scolaire ?

Cet ouvrage peut faire figure d’outil de base pour les professeurs d’histoire-géographie du secondaire sur un point particulier mais, compte tenu de ses limites en termes d’approfondissement, de problématisation et de références bibliographiques, il ne saurait constituer un guide suffisant vers des mises au point essentielles et un instrument fondamental de réflexion et d’analyse pour construire ses cours. Il pourra servir davantage aux professeurs des écoles non spécialistes qui auraient besoin d’un vadémécum en histoire, afin de mettre à jour leurs connaissances et d’éliminer de leurs enseignements certaines idées reçues démenties par la recherche historique.

De même il peut se montrer utile dans bibliothèques et CDI, son balayage de l’histoire longue de la France, la clarté de ses explications et de ses conclusions et son écriture très accessible en faisant un ouvrage susceptible de capter l’attention des élèves, même si son approche est éloignée des programmes actuels du secondaire.