Une structure originale.
Ne cherchez pas une table des matières, il n’y en a pas de véritable, pas de chapitres au sens habituel du terme… Mais cependant un ouvrage structuré autour de 22 entrées qui abordent le sujet de manière chronologique, des premiers bombardements de civils en Afrique aux débats sur la légalité des armes nucléaires. La lecture des entrées se révèle cependant particulière, les différents paragraphes du livre sont numérotés, et le lecteur est renvoyé d’un numéro à un autre à la manière de ces livres dont vous êtes le héros. Sauf qu’ici cela se révèle parfois pénible en cas de pause dans la lecture.
Du mélange des genres
Les sujets sont abordés de manière diverses. L’auteur n’hésite pas à rappeler des éléments de sa propre vie pour évoquer ce qui lui tient à cœur. De son enfance en Suède durant la Seconde Guerre mondiale vécue en spectateur, à ses impressions lors de ses études à Pékin au début des années 60. Jusqu’à évoquer au milieu de la partie sur le Vietnam, la construction d’un mur pour protéger le jardin où jouait sa fille des voitures. Mur qui ne sert finalement à rien, parallèle avec ce qui se passe en Asie.
L’auteur est cependant plus convaincant quand il emprunte de nombreux extraits aux ouvrages de science-fiction. Cela permet de mettre en évidence comment, au fur et à mesure que les armes progressent, ou même que la science s’approche de nouvelles découvertes destructrices, cela inspire les auteurs. On voit comment la réalité se rapproche, ou égale la fiction, quand il s’agit de l’ampleur des destructions.
Mais le parallèle avec les ouvrages de science-fiction permet à Lindqvist de mettre en évidence un comportement discriminatoire dans l’usage des armes. En effet, les auteurs de science-fiction choisis insistent surtout sur l’affrontement entre un monde occidental et des civilisations étrangères, africaines ou asiatiques pour la plupart. Affrontement que remportent toujours les Occidentaux, triomphe de la civilisation sur les « sauvages ». Les exemples historiques choisis par l’auteur laissent sous-entendre de moindres réticences de la part des Américain à utiliser les derniers types de bombe incendiaires contre les Japonais que contre les Allemands. De même que, dans l’entre-deux-guerres, les Européens ne semblent pas considérer comme une violation des règles de la guerre le bombardement des indigènes civils de leurs colonies. Lindqvist est cependant obligé de reconnaître que ce sont ensuite les mêmes hommes qui dirigent les bombardements de la RAF sur les villes allemandes, des européens qui bombardent et infligent des souffrances atroces à leurs semblables.
Voyage à travers le temps et l’horreur…
C’est un peu l’impression qui se dégage tout au long de l’ouvrage à la lecture des ravages causés par les bombardements. L’évocation des premiers bombardements aériens en Libye en 1911 semble dérisoire avec ses bombes de 2 kg mais elle permet de mettre en évidence un mythe qui s’installe dès lors, celui que l’aviation peut quasiment à elle seule remporter une guerre. Effectivement, l’usage des bombardements de terreur par les Italiens, les Anglais ou les Français sur des populations indigènes donnent confiance à ceux qui voient en cette arme la solution miracle. Ils oublient cependant souvent que les conflits coloniaux se poursuivent cependant sous forme larvée.
On n’est malgré tout par surpris de voir comment cette idée fausse est reprise par les deux camps lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais les tonnages déversés sont là beaucoup plus conséquents. La capacité destructrice, et en particulier incendiaire, des bombes déversées sur les villes a franchi un cap. La description des horreurs subies par les villes allemandes ou japonaises est là pour nous le rappeler. La mémoire des bombardements atomiques a éclipsé les bombardements incendiaires d’Hambourg ou Tokyo. Mais si le Blitz est évoqué, on peut s’étonner de l’absence des bombardements allemands sur la Pologne, Rotterdam ou les civils lors de la campagne de 1940. Le stuka censé semer la terreur sur les routes de l’exode, comme d’ailleurs en général les avions qui portent les bombes ne sont pas présentés.
Des armes dont la capacité létale culmine avec l’arsenal nucléaire. La description des destructions et pertes causées par les bombardements atomiques est là pour le rappeler. Mais ce serait oublier les nombreux conflits de la guerre froide et de la décolonisation qui voient l’aviation continuer à être employée. Des bombardements aériens américains sur la Corée et le Vietnam en passant par ceux des britanniques et français. On utilise massivement l’aviation contre les civils, mais toujours avec aussi peu de résultats. Peu d’évocation cependant de l’emploi de l’aviation contre des civils par les dictateurs du Tiers Monde ou lors de la première guerre d’Afghanistan.
Une condamnation sans appel
L’auteur évoque tout au long de l’ouvrage les débats qui agitent les juristes sur la légalité de l’emploi de l’arme aérienne contre des objectifs civils. Des premières discussions qui échouent à définir un périmètre d’emploi, tant, dans une guerre totale, il est difficile de distinguer ce qui ressort de l’économie de guerre ou du civil. La reprise du débat après la Seconde Guerre mondiale tourne à nouveau à l’échec, les occidentaux ne voulant pas être accusés de crimes de guerre.
La question se pose aussi du droit à l’emploi de l’arme nucléaire. Les discussions finissent là aussi dans l’impasse en raison de la divergence des points de vue et du blocage de la part des puissances nucléaires qui ne veulent pas être condamnées.
L’auteur met aussi en évidence le tabou que représente pour de nombreux Américains et Britanniques les bombardements auxquels leurs forces ont soumis les Allemands et les Japonais.
En conclusion,
Un auteur passionné et engagé qui livre ici un combat contre les ravages de la guerre aérienne. La documentation est riche, bien qu’orientée, à l’image du livre. Mais on ne peut rester insensible aux questions qu’il soulève.