Cet ouvrage a été écrit par Jerry BROTTON, professeur d’Histoire à l’université Queen Mary de Londres. Il a été publié en anglais en 2012 avant d’être traduit en français par Séverine WEISS. Dans cet ouvrage, l’auteur nous propose d’aller à la rencontre de 12 cartes majeurs de l’histoire du monde en faisant une « cartographie sans progrès ». L’objectif ici n’est pas, en effet, de dépeindre une histoire exhaustive et évolutive de la cartographie : des origines jusqu’à aujourd’hui dans un mouvement dicté par un progrès incarné par la précision scientifique et donc l’objectivité.
Pour chacune des 12 cartes, l’historien britannique examine les procédés de création, les motivations de création et les conséquences dans la perception du monde.
Ces 12 cartes sont autant de visions différentes de voir le monde. Chacune d’elle pose un regard spécifique sur le monde, car « ce qui figure sur le papier des cartes n’est qu’une représentation de ce que le créateur de la carte avait sur la rétine » (KORZYBSKI, 1940). Ainsi, l’ouvrage nous permet de réfléchir sur ces propositions du monde qui sont autant de clé de compréhension sur une idée dominante de son époque : La Géographie de Ptolémée (vers 150 après J.C.), Le divertissement d’Al- Idrīssī (1154), la mappa mundi d’Hereford (vers l’an 1300), la carte du monde Kangnido (1402), le planisphère de Martin Waldseemüller (1507), carte universelle de Diego Ribeiro (1529), carte du monde de Gérald Mercator (1569), Atlas maior de Joan Blaeu (1662), carte de France de la famille Cassini (1793), « le pivot géographique de l’histoire » d’Halford Mackinder (1904), la projection de Peters (1973) et Google Earth (2012).
Je propose aux collègues d’Histoire et de Géographie de faire un arrêt sur les trois cartes médiévales de l’ouvrage. Ces cartes, réalisées entre le XIIe siècle et le début du XVe siècle sont les suivantes : celles confectionnées par Al- Idrīssī en 1154 dans une Sicile à la lisière des mondes musulmans et chrétiens ; celle d’Hereford réalisée vers 1300 en Grande-Bretagne, au cœur du monde chrétien ; et enfin celle de Kangnido, élaborée en 1402 dans la Corée néo-confucéenne de la dynastie Choson.
Différentes cartes pour différentes représentations du monde
La carte d’Al-Idrīssī incarne à elle seule l’un des grands moments de convivencia médiévale (coexistence pacifique au XIIe siècle entre chrétiens, musulmans et juifs réunis sous une même loi). C’est d’ailleurs l’incompréhension de cet idéal d’échange intellectuel amical entre Islam et Chrétienté (pourtant à l’origine des cartes) qui sera à l’origine de la relégation jusqu’au XXe siècle du travail d’Al- Idrīssī.
A son opposé, la mappa mundi d’Hereford offre, quant à elle, un soutien sans faille aux croyances théologiques de la Chrétienté. La carte offre à voir une véritable histoire chrétienne de la Création : y figurent les croyances autant que le territoire où se déroulent les différents épisodes. Elle est également une invitation au voyage : au Chrétien qui regarde cette carte, elle doit donner envie de partir en pèlerinage dans l’un des trois principaux lieux du christianisme : Rome, Jérusalem ou Saint-Jacques-de-Compostelle. La mappa mundi d’Hereford est entièrement centrée sur son monde intérieur, un monde propre à la Révélation divine. Le monde extérieur à l’histoire chrétienne y est totalement délaissé.
Bien plus à l’Est, la carte du monde Kangnido brille par sa manière incroyablement précise de représenter le territoire coréen et celui de son voisin, la Chine. Sous l’influence du néo-confucianisme et à l’imitation des cartographes chinois, la nouvelle dynastie Choson offre une carte sur laquelle la Corée tente de trouver sa place dans la sphère d’influence du puissant empire voisin chinois.
Des trois cartes médiévales, c’est bien la carte Kangnido qui nous paraît la plus familière de par son orientation au nord et par la justesse de sa représentation cartographique. Ce qui étonne également, c’est le niveau de connaissances des cartographes coréens des mondes africains (l’Afrique est néanmoins sous-estimée) et européens (l’Europe est très étrangement représentée) qui s’explique certainement par une transmission partielle de la Géographie de Ptolémée.