Lettres à Élise, un titre en résonance à une pièce musicale pour piano composée par Ludwig Beethoven a été choisi par les auteurs pour évoquer une histoire de la guerre de 1870-1871 à travers la correspondance de soldats prussiens. Parmi les nombreuses lettres choisies, il y a bien une Elise, le fil conducteur de cette introspection, au cœur de la guerre franco-prussienne, mené par les deux auteurs, conduit à partir de la lecture des lettres envoyées sur plus de dix mois de combats par les soldats du camp allemand, qui est l’épouse de Peter Grebel, simple soldat de la Landwehr, 5e compagnie du bataillon de Coblens. Ce corpus de lettres échangées entre les époux parmi d’autres constitue une mine de renseignements sur ce conflit en partie oublié.

Il y a 150 ans commençait la guerre franco-allemande, souvenir commémoré aujourd’hui dans nos deux pays, un conflit qui fut pour l’Allemagne l’aboutissement de l’unification allemande et la naissance de l’Empire allemand (1871-1918) et pour la France, la chute du Second Empire avec l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne, les débuts difficiles du régime républicain terni par la semaine sanglante de la Commune (21 au 28 mai 1871) et quelques décennies plus tard un idéal de Revanche nourrissant une hostilité envers l’Allemagne, un des facteurs dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Ce conflit a marqué un temps l’histoire de l’Europe et le souvenir que l’on doit garder de cette période est de montrer aux générations suivantes le chemin qui a été parcouru depuis pour vivre en paix et en amitié entre ces deux pays.

Il faut le souligner d’emblée, Lettres à Elise, livre publié par les éditions Pierre de Taillac est un ouvrage réussi car c’est un beau témoignage par les lettres écrites par des soldats allemands jeunes ou d’âge mur, sur cette guerre qui a meurtri autant les familles et les soldats des deux côtés du Rhin. Je dirais même que cela se lit comme un roman.

On suit à partir de 250 lettres passionnantes traduites par Jean-Louis SpieserIl a reçu le prix Nathan Katz du patrimoine, 2018, pour Nathan KATZ,Annele BalthasarTraduit de l’alémanique par Jean-Louis Spieser. Bilingue alémanique-français. Textes liminaires de Yolande Siebert et Jacob Rogozinski. Collection Neige n° 38.  204 pages. ISBN 978-2-845-90268-8, professeur de lettres et germaniste et traducteur reconnu qui a fait un remarquable travail de dépouillement et de traduction, et Thierry Fuschslock, enseignant, agrégé en histoire et géographie qui a replacé avec rigueur et précision les documents dans leur contexte, le déroulement de la guerre de 1870, de l’entrée en guerre au rapatriement des troupes en Allemagne. On y suit le parcours de près de quelques soldats grâce à un classement pertinent des lettres qui permet de les suivre au fur et à mesure de l’évolution des combats : Peter Grebel, un jeune soldat amoureux d’Elise sa fiancée qu’il retrouvera à la fin de la guerre pour se marier, de Anton Kirchhofer, proche de sa famille qui se languit d’eux donne de précieux renseignements sur la censure de la presse française qui minore les batailles perdues du côté des Français et sur l’image peu flatteuse des soldats allemands décrite dans ces mêmes journaux qui irrite le jeune soldat, de Richard Müller qui souffre de froid, de faim, il est gagné par la lassitude et a hâte de revenir chez lui en Allemagne. Il est saisi par l’impréparation à la guerre des soldats français, du mauvais état des routes et de leur équipement inadapté au combat et à la rigueur du climat.

C’est un ouvrage réussi car c’est un bel outil pour les enseignants, notamment pour les professeurs du secondaire, qui trouveront à partir des nombreuses et diverses lettres, autant d’exemples pour illustrer une séquence sur le déroulement de la guerre de 1870, sur le regard des soldats prussiens sur la Commune de Paris, sur le quotidien de l’ensemble de ces soldats, sur les sorties de guerre, sur le retour au pays marqué par des défilés dans les grandes villes allemandes, des soldats et officiers prussiens préoccupés surtout à retrouver leur famille et pour cela être démobilisés le plus rapidement possible. Si la guerre franco-allemande de 1870 – 1871 a marqué profondément les deux pays, elle a permis l’unification politique de la nation allemande à travers une victoire qui bouleversa l’équilibre des forces du continent. Pour les Français, la guerre franco-prussienne a constitué « un traumatisme dans lequel le nationalisme revanchard plongera ses racines » (p. 365).

On pourra rapprocher ce magnifique travail de sélection de lettres, de traduction et de contextualisation avec les nombreux ouvrages de l’historien Jean-François LecaillonJean-François Lecaillon, Les Français et la guerre de 1870, Les éditions du Toucan/L’Artilleur-Bernard Giovanangeli Editeur, 2020., spécialiste de la guerre de 1870, qui s’est attaché à analyser à partir des témoignages des soldats et des civils français, le vécu, la perception sur cette guerre dont rien ne laissait présager l’extrême violence et les conséquences politiques. Cette lecture croisée permet la comparaison entre les lettres des soldats prussiens et la vision des combattants ou civils français sur la conduite de la guerre et en particulier sur le traumatisme de Sedan qui n’eut pas les mêmes effets, une bataille décisive perdue pour la France et la fin du régime impérial et une victoire du côté allemand.

Jean-Louis Spieser explique en introduction sa démarche. Il lui a fallu quatre ans pour recueillir et traduire une masse de lettres, près de 250 lettres inédites, de soldats prussiens, pour ensuite réunir tout ce travail en un ouvrage passionnant et pour trouver un éditeur. La plupart des lettres retrouvées étaient rédigées par des combattants rhénans de la région de Bonn. Ils ont appartenu au même corps d’armée et ont participé aux mêmes batailles. Jean-Louis Spieser  a cherché à compléter ce corpus de lettres en s’adressant à un archiviste de la bibliothèque universitaire du Land de Saxe–Anhalt. Il explique qu’il a découvert, par hasard, plus de 2600 courriers inédits qui étaient déposés sur le site de la bibliothèque universitaire de Bonn, où ils venaient d’être numérisés après une grande collecte en 1910 de courriers de guerre dans toute la Prusse. Le travail débuta par le dépouillement, ensuite par la traduction qui ne fut pas simple du fait que la plupart d’entre elles étaient écrites en allemand gothique. Il explique qu’avant de les traduire, il a dû transcrire ces lettres manuscrites en alphabet latin, une étape longue et difficile devant l’ampleur de la tâche, par la difficulté de la reconnaissance de certains mots.

Dans un second temps après avoir contacté un éditeur, Pierre de Taillac, enthousiasmé par le projet qui lui recommanda de choisir parmi les 350 lettres traduites, un nombre de lettres plus restreint en vue de leur publication. Le travail de sélection fut pour le germaniste difficile, raconte-t-il, car il a suivi de près par ce travail fastidieux de traduction les péripéties de ces nombreux soldats allemands auxquels il s’est attaché. Il lui parut intéressant de choisir un soldat en particulier et de le suivre pendant toute la guerre. Il a retenu plusieurs noms de soldats permettant de donner dit-il « au lecteur un peu d’air frais au sortir des horreurs d’un champ de bataille » (p. 12). Même si son projet était de raconter la guerre de 1870 par le biais de lettres de soldats, il a essayé de donner beaucoup d’importance aussi au regard que les soldats prussiens portaient sur les civils français et aux commentaires qu’ils faisaient sur leur mode de vie et notamment lorsqu’ils s’étonnaient de certaines différences. Ces lettres choisies on les retrouve au milieu du corpus. Elles sont très intéressantes notamment celles qui évoquent des faits de résistance devant l’envahisseur, la haine du prussien qui animait certains mais aussi celles qui rapportaient des rapprochements amicaux. Ces lettres peuvent être exploitées en classe pour montrer les limites de la culture de guerre, les discours anti allemand ou anti français propagés de part et d’autre du Rhin, surtout développés à la veille de la Première Guerre mondiale.

L’auteur a travaillé en collaboration avec Thierry Fuchslock, professeur agrégé et historien, qui l’a guidé dans le choix des lettres à retenir. Il a rédigé, en tête de chaque chapitre, un résumé historique permettant de replacer chacune des lettres dans un contexte historique rigoureux pour en permettre une lecture aisée. Pour terminer Thierry Fuchslock l’a guidé ensuite pour l’agencement des lettres dans le livre. Il lui a suggéré des regroupements par thèmes, plutôt que la suite chronologique. Il se chargea de rédiger une contextualisation par chapitre qui permet à un lecteur non-historien de comprendre l’évolution de la guerre. Cela est complété à la fin de l’ouvrage par un ensemble d’annexes pertinents permettant de situer à l’aide d’une carte les opérations lors de la guerre franco-allemande, d’un petit lexique du vocabulaire militaire, d’un rappel d’une chronologie sommaire de la guerre de 1870 – 1871 et pour terminer d’un index des auteurs des lettres avec une répartition des lettres et une bibliographie.

À l’intérieur du corpus, voici quelques extraits de lettres proposés par les auteurs pour découvrir quelques récits de guerre rapportés par ces soldats prussiens. On y découvre les formes de mobilisation semblables à celles des Français, la violence des combats, les prémices d’une guerre industrielle avec l’utilisation de l’artillerie, une logistique de guerre avec le cantonnement, le transport des troupes, l’organisation de convois de ravitaillement, l’adaptation aux nouveaux moyens de transport comme le chemin de fer, le prélude au déroulement des entrées en guerre lors de la Première Guerre mondiale.

– Chapitre sur « En route vers la France ! »

Thierry Fuchslock rappelle le contexte de la déclaration de guerre de la France à la Prusse, le 19 juillet 1870. En réalité c’est une guerre contre l’Allemagne qui s’engage, car les États allemands sont tous liés à la Prusse par des alliances défensives Pour rappel, Otto von Bismarck, ministre – président du royaume de Prusse, engage son pays et son souverain Guillaume Ier, à partir de septembre 1862, sur la voie de l’unification d’une Allemagne depuis longtemps divisée. Ainsi en 1864, la Prusse vainc le Danemark, en 1866 elle défait son ancien allié l’Autriche. Tout le nord de l’Allemagne se trouve désormais unifié autour de la Prusse qui apparaît à l’échelle européenne, comme une puissance en expansion. La France de Napoléon III s’inquiète de cette situation géopolitique nouvelle. Bismarck voit dans un conflit militaire contre la France le moyen d’achever l’unité allemande en rassemblant le nord et le sud de l’Allemagne. Le 13 juillet 1870, a lieu une rencontre entre l’ambassadeur de France et le roi de Prusse à Ems. Bismarck diffuse une dépêche attisant les susceptibilités allemandes et françaises. Des deux côtés du Rhin, on en appelle à la guerre contre le voisin. La France tombe dans le piège tendu par Bismarck et déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870.

Lettre de Ludwig Roth à ses sœurs « La désinvolture française », Castel prés de Mayence, le 15 juillet 1870

[…] Comme vous l’aurez probablement déjà entendu, il y aura prochainement une guerre entre nous et la France. Ne prenez pas la chose trop à cœur. Soyez fiers d’avoir un frère acquis par se battre avec enthousiasme contre l’ennemi héréditaire de l’Allemagne, contre la nation qui semble s’être donnée comme devoir de fouler au pied le sentiment national allemand et le sens de l’honneur allemand. Une fois encore, la guerre, au-devant de laquelle nous allons, a été provoquée avec une désinvolture inouïe pour la France. Le même empereur qui, il y a peu encore, déclarait : « l’histoire des guerres, c’est l’histoire de la civilisation », est devenu si faible qu’il laisse ses ministres provoquer une guerre sanglante, sans qu’il y ait de raison sérieuse à cela. Jusque-là, la Prusse a géré l’affaire avec un calme admirable et n’acceptera la guerre qui arrive de manière si scandaleuse uniquement si on l’y contraint. Mais si effectivement nous arrivons à une telle extrémité, la France… s’est trompée dans ses calculs. La France n’a encore jamais été opposée pendant une guerre à un ennemi tel que l’Allemagne actuelle sous direction prussienne. Espérons que l’affaire sera rondement menée et que l’arrogante France sera remise à sa place pour qu’à l’avenir lui passe l’envie de troubler la paix. […].

Lettre de Anton Birker à sa mère et à ses frères « une lettre d’adieux », Trèves, le 15 juillet 1870

Je me dépêche de prendre la plume pour vous informer que cette nuit nous partons. Chers frères, nous avons pris 80 cartouches par homme et maintenant en avant pour la France ! J’ai les larmes aux yeux en vous écrivant cette lettre quand je pense à vous mes frères et ma mère, car qui sait si nous nous reverrons un jour ? Espérons que ce ne sera pas le cas. Il va se passer des choses terribles mais je garde quand même un bon moral et je partirai, comme je l’ai juré cet après-midi « Pour le roi et la patrie ». Je vous envoie ma caisse. Elle contient mon pantalon, ma casquette et la montre. Chers frères, à Trèves, on a déjà rappelé toute la réserve. Je n’ai rien d’autre à vous écrire de plus, sinon que les hussards sont partis cet après-midi et que nous partons cette nuit à minuit. Chers frères, envoyez-moi quelque chose car je vais très bien pouvoir m’en servir pendant les marches. Je termine ma lettre en espérant que vous me répondrez vite.[…]

– Chapitre sur « Les premières victoires en Alsace et en Lorraine »

Après la déclaration de guerre du 19 juillet 1870, place à la mobilisation des troupes et au déplacement vers le front. Les Allemands concentrent 500 000 hommes sur un front d’environ 140 km face à la frontière nord de l’Alsace et de la Lorraine. Les troupes allemandes sont réparties dans trois armées sous le commandement du général von Moltke, chacune dirigée soit par le général Steinmetz, soit par le prince Frédéric Charles, neveu du roi de Prusse, et la troisième armée dirigée par le prince héritier, le Kronprinz, Frédéric de Prusse. Les hostilités débutent le 4 août 1870 par la prise de Wissembourg complétée deux jours plus tard, le 6 août 1870, par la bataille de Frœschwiller-Woerth (connue sous le nom de bataille de Reichshoffen), signifiant la perte de l’Alsace et le repliement des soldats français en Lorraine.

Lettre de Fritz Grimm « Baptême du feu », Ottweiler, le 4 août 1870

Mes chers. Pour vous ôter toute crainte, je vous envoie de nouveau quelques lignes. Hier, après vous avoir écrit, nous avons dû prendre nos fusils et monter sur une hauteur. Au bout d’une demi-heure, nous sommes retournés au bivouac. Vers 10h30 ça a soudain commencé : nous avons couru prendre les fusils et nous avons avancé en direction de Burbach. À peine avions-nous quitté le bivouac que 4 à 5 obus ils sont tombés ; une auberge qui se trouvait à proximité du camp a pris feu dès le 3e tir et, peu après, c’est Sarrebruck qui brûlait…

Lettre de Otto Drecker,  « Première bataille sur le sol français », au bivouac à Forbach, le 8 août 1870

Chère mère et chers frères et sœurs. Au sortir sain et sauf d’une bataille victorieuse, je me dépêche de vous envoyer quelques lignes. Je suis toujours en excellente santé mais nous recevons peu à manger et à boire. Hier après-midi, nous avons été mis en état d’alerte et nous sommes partis aussi vite que nous avons pu sur le théâtre des opérations ; lorsque nous sommes arrivés, nous n’occupions encore aucune position mais déjà nous étions salués par des obus et des shrapnels. Je peux vous assurer, chers mère, frères et sœurs que personne n’est capable de s’imaginer la situation : des obus frappés à gauche et à droite et tuer des hommes et des chevaux. Nous avons perdu six blessés, un mort et 8 chevaux. Celui qui est mort dirigeait ma pièce d’artillerie. Je me trouvais à un pas de lui, le projectile l’a touché à la tête et lui a fracassé toute la cervelle si bien qu’il a eu le crâne fendu en deux ; c’était monstrueux avoir. La cervelle et le sang m’ont complètement éclaboussé. J’ai dû prendre la batterie en charge la bataille a duré depuis une heure de l’après-midi jusqu’à 9 heures du soir. Nous avons pris toute une batterie de 6 pièces qu’on appelle des « gicleurs de balle » ; les Français se sont empressés de larguer les amarres et de déguerpir.

À présent, nous nous trouvons sur le sol français et, si Dieu le veut, nous y resterons jusqu’à la paix. Des grenadiers de l’infanterie reviennent avec une masse de prisonniers français ; l’uniforme des Français est vraiment ridicule ; des pantalons rouges, de longues vestes bleues, un chapeau haut, des chaussettes blanches et des chaussures très basses. Une guerre pareille, c’est quelque chose d’horrible ; tous les trois à quatre pas gît un mort ou un blessé qui, en gémissant ou en criant demande de l’eau ou autre chose à boire…

– Chapitre sur le siège de Strasbourg (12 août 1870 – 28 septembre 1870)

Thierry Fuchslock rappelle le contexte de la conquête de la capitale alsacienne qui fut prise rapidement. Le bilan du siège de Strasbourg est lourd, plus de 300 habitants sont morts, le tiers de la ville est détruit et près de 10000 Strasbourgeois se retrouvent sans-abris. Du côté allemand, la prise de Strasbourg symbolise « le retour à la patrie d’une ville volée du temps de Louis XIV . Du côté français, la perte de Strasbourg alimentera l’esprit de revanche qui conduira à la Première Guerre mondiale. » (p. 71).

Lettre de Balthasar Haas à sa mère, « La concentration des troupes », Strasbourg, 28 août 1870

Ce qui est en train de se passer ici est vraiment terrible. Tous les villages autour de Strasbourg débordent de cantonnements au point qu’on peut s’estimer heureux quand on arrive à se loger dans une chambre. Pour le moment je m’en suis toujours bien sorti ; nous ne manquons pas non plus de nourriture. La situation des habitants de Strasbourg n’en est que plus critique, et le commandant de la place est le seul à porter la responsabilité de toute cette misère et de tous ces malheurs, lui qui, par sa faute, met en jeu le sort d’environ 90 000 personnes. La ville compte 80 000 habitants auxquels il faut en ajouter environ 10 000, essentiellement des femmes et des enfants des environs venus s’y réfugier. Des parlementaires ont déjà fait la navette mais tant qu’il lui restera un biscuit et une boîte de munitions, le commandant n’envisage pas la reddition. L’évêque de Strasbourg est aussi déjà venu nous trouver en tant que parlementaire ; je l’ai vu de mes yeux, mais je n’ai pas entendu le message dont il était porteur. Il était accompagné par un jeune français avec lequel je me suis personnellement entretenu ; il m’a dit que la ville brûlait à 19 endroits. Tout cela doit être d’une tristesse… Et il faut ajouter la canonnade incessante…

– Chapitre sur « De siège en siège »

L’historien Thierry Fuchslock rappelle que ce fut une guerre de position dans une guerre de mouvement.

Lettre de Mathieu, le nom est inconnu, près de Verdun, le 24 novembre 1870

Cher Joseph […] pendant la nuit du 11 au 12 octobre, ceux du 65e ont eu pour mission de prendre quelques villages de l’autre côté de Verdun, dont la prise était absolument indispensable, pour y creuser des tranchées à partir desquels les meilleurs tireurs, armés de fusils Chassepot, étaient chargés d’abattre les servants de l’artillerie ennemie. Pour détourner l’attention de l’ennemi de ce côté-là de la forteresse, on avait ordonné à notre bataillon d’attaquer la forteresse par l’autre face avec des patrouilles de 30 hommes, de tirer de nombreux coups de feu, en un mot de faire croire aux Français, par tous les moyens, que nous attaquions la forteresse par notre côté. Il était prévu que le premier coup serait tiré à 7 heures, et c’est ce qui s’est produit à l’heure précise. On a pu constater que l’ennemi ne s’attendait pas du tout à une telle attaque car il s’est écoulé un temps considérable avant qu’il ne réponde mais à partir de ce moment-là, il n’a lésiné ni sur les balles, ni sur les obus et les boulets. Le sifflement des boulets de canon surtout était terrifiant. Au début, ont sursauté à chaque coup – mais par la suite on s’y était déjà habitué…

– Chapitre sur « Contre les troupes de la République »

L’historien Thierry Fuchslock évoque la deuxième phase de la guerre au moment où les troupes allemandes poursuivent leur progression vers l’intérieur du territoire français car leur objectif est d’atteindre Paris pour assurer une victoire définitive. Paris est encerclée dès le 19 septembre. Et c’est le début d’un long siège de quatre mois. C’est dans ce contexte, rappelle l’historien, que Léon Gambetta ministre de l’intérieur du gouvernement de la Défense nationale, organise la lutte contre l’envahisseur en faisant appel à des volontaires réservistes et autres troupes venues du Nord, de la Loire et de l’Est de la France. Mais comme l’ont évoqué les soldats allemands dans leurs lettres, ces armées françaises improvisées restaient mal équipées, mal encadrées, peu disciplinées et donc moins efficaces.

Lettre de Anton Kirchhofer, « Accalmie pour les prussiens », La Fère, le 23 décembre 1870

Chers parents […] J’exaucerai prochainement votre désir de recevoir quelques journaux français ; j’ai oublié d’en rapporter de la ville aujourd’hui. Le mensonge érigé en système, surtout dans la mauvaise presse quotidienne française, est l’une des raisons principales de la perte du pays. Néanmoins, sa capacité de résistance à, dans l’ensemble, était sensiblement sous-estimée, mais si Dieu le veut, c’en sera bientôt fini et cela entraînera la ruine de la France. Aujourd’hui, le canon tonne sans arrêt près de Paris et ce doit être vraiment terrible puisqu’ici, à 15 milles, nous l’entendons bien. Je pense que les nôtres ont commencé le bombardement de la ville. C’est bien fait pour elle ! Je n’éprouve plus aucune pitié pour elle, même si, à mon avis, on en n’aura pas fini de sitôt, mais pourvu que cela ne dure pas trop longtemps…

– Chapitre sur « Paris, la ville à prendre »

L’historien Thierry Fuchslock évoque le siège de la capitale française, du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871. Une série de lettres sont précieuses pour comprendre les années difficiles que vécurent les parisiens et le contexte de la naissance de la Commune de Paris.

Lettre de Wihlem Decker « Le soulèvement du 31 octobre 1870 et la détresse des assiégés », Argenteuil, le 6 novembre 1870

[…] Je ne peux vous communiquer beaucoup de nouvelles d’ici, à part qu’il y a eu ces jours-ci du grabuge à Paris (note des auteurs, il s’agit de l’insurrection parisienne du 31 octobre 1870, des émeutiers pénètrent dans l’hôtel de ville et tente de renverser le gouvernement). Disons que le peuple aurait chassé un général, je crois que c’était celui qui commandait, et mis Thiers à sa place, car le premier avait rejeté toute idée de conditions de paix, quelles qu’elles fussent. Ce qui est sûr, c’est que, là-bas, le peuple ne tient plus ; les provisions vont devenir rares car il y a une masse considérable de réfugiés, si bien que le nombre des malheureux qui sont atteint facilement les millions, ce qui me fait penser qu’il doit y avoir de grands stocks de provisions, mais cela ne correspond pas à ce que je perçois ici. Les gens de Paris, tant des habitants que des soldats, viennent au-dessus des balles de nos postes avancées, presque jusqu’à la scène, pour gratter des pommes de terre hors du sol.[…].

Lettre de Peter Grebel, « La proclamation de l’empire allemand à Versailles », Versailles, le 18 janvier 1871

Ma chère Élise,[…) aujourd’hui est un jour mémorable ; dès ce matin une grande agitation régnait sur la place d’armes jusque devant le château et les appartements du roi sur l’avenue de Paris. Oui elle est vraiment mémorable cette journée ! En plein théâtre de la guerre, dans la ville de résidence de l’ennemi vaincu, devant le siège grandiose de Paris, Le roi, commandant en chef des armées allemandes, est proclamé empereur allemand. Dès le matin, de bonne heure, dans un cortège bien réglé, on a apporté au château principal les drapeaux de l’ensemble des régiments et bataillons qui se trouvent à Versailles et environs. Vers 11 heures, toutes les formations en garnison ici, qui n’avaient pas de service particulier à effectuer, ont dû se rassembler devant le château pour constituer un et d’honneur jusqu’aux appartements du roi depuis cet endroit. […] Vers midi, le Kronprinz est arrivé avec une grande suite, et aussitôt après Le roI. Des hourras interminables l’ont salué, pour lesquels il a aimablement exprimé sa reconnaissance en se tournant de tous les côtés. Dans la cour du château étaient alignées quelques compagnies et trois cœurs qui avaient à rendre les honneurs habituels. Ensuite, tout ce beau monde s’est retiré à l’intérieur du château et je ne peux t’en dire plus pour le moment sur la suite du déroulement de la cérémonie…

Lettre de Hugo Henke, « La reddition est un soulagement pour les assiégeants », Choisy-le-Roi, le 6 février 1871

[…] Dès que j’ai eu connaissance de la conclusion du cessez-le-feu, j’ai pris quelques jours de congé je me suis rendu en voiture à Versailles pour bien m’imprégner de tout ce qui s’y trouve de remarquable et d’historique. Mais parlons d’abord de la reddition de Paris. Les manifestations d’allégresse ont commencé le dimanche 30 janvier. Nous avons fait nos adieux à nos vieux quartiers d’Orly, que nous avions occupés pendant 4 mois et demi, et nous avons rejoint la position avancée de Choisy-le-Roi, mais cette fois nous ne l’avons pas fait la peur au ventre et de nuit pour ne pas alerter la vigilance des avant-postes français, mais en plein jour, au son d’une musique irraisonnée loin à la ronde, avec des drapeaux qui flottaient au vent et des chants de joie tonitruant…

– Chapitre sur vivre en pays ennemi, échos de la Commune de Paris et du traité de paix de Francfort

Lettre de Johann Lempertz, « crispation entre occupants et occupés, début de la Commune de Paris », Amiens, le 30 mars 1871

Chère mère, j’ai reçu votre lettre du 21 mars, j’y apprends comme je l’avais pensé que les semailles ont beaucoup souffert du froid. Ici aussi, la situation est vraiment pitoyable : ce qui n’a pas été gâché par les troupes, c’est le froid qui l’a emporté…Le 24 et le 25 mars, de grands désordres ont éclaté à Paris entre les habitants. Mais si nous devons encore aller à Paris avec les 32ème, veuille Dieu protéger les habitants, car nos gars leur promettent déjà de bien s’occuper d’eux. Je peux ainsi vous donner toutes sortes de nouvelles, mais toujours pas celle de notre repli. Dès que nous en serons informés je vous préviendrai.

Au final Jean-Louis Spieser et Thierry Fuchslock ont proposé à la suite d’un énorme travail de traduction et de contextualisation historique précieux un panorama complet du conflit à travers les yeux de ces soldats prussiens, un ouvrage pas uniquement destiné aux germanistes, aux enseignants mais aussi aux lecteurs curieux de connaître le déroulement du conflit franco-allemand à partir de l’intime, une guerre vue sous le prisme des représentations et des vécus de l’autre côté du Rhin, une autre histoire de la guerre vue du côté allemand,