De la Wehrmacht, on pensait tout connaître. Reposant sur un mythe formé notamment par Jacques Benoist-Méchin (1901 – 1983 – qui fut un intellectuel, journaliste et homme politique français. Collaborateur pendant l’occupation, il fut condamné à mort en 1947 puis gracié) puis relayé par des dizaines d’historiens, la légende « dorée » de la première armée du monde demeurée invincible avant de crouler devant la masse opposée par les Alliés a fait long feu. La Wehrmacht aurait alors combattu héroïquement jusqu’au bout sans trop de compromettre avec les Nazis.

Sur le front de l’Ouest, elle aurait été vaincue face à un matériel surabondant servi par des troupes médiocres ; à l’Est, elle aurait plié devant d’inépuisables vagues de moujiks déshumanisés, envoyés au hachoir par des maréchaux russes ineptes.

Si, comme toute légende, celle-ci s’appuie sur une part réelle (l’excellence tactique, la qualité de l’encadrement, la souplesse d’emploi des divisions de Panzer et de l’aviation) elle n’en est pas moins sur-exagérée, voire mensongère.

Une compilation réactualisée de plusieurs articles

Pour rétablir la ou les vérités, Jean Lopez et son équipe de rédacteurs nous offrent une histoire globale sans précédent. En deux grandes parties (« La supériorité militaire allemande. Etude d’un mythe » et  » Les opérations »), le présent ouvrage dresse toutes les grandes campagnes et batailles de la Seconde guerre mondiale (Dunkerque, bataille d’Angleterre, « Barbarossa », Stalingrad, Koursk, Débarquement de Normandie, « Bagration, « Market Garden » lors de l’invasion des Pays-Bas, Ardennes, bataille de Berlin) et offre de très riches chapitres plus analytiques disséquant notamment la tradition intellectuelle et opérationnelle prusso-allemande depuis Frédéric II, les stratégies en vigueur, les logistiques déployées et la qualité véritable des hommes et du matériel.

Sont par conséquent réunis dans cet ouvrage des articles tirés de Guerres et Histoire, plus des inédits, sur la Wehrmacht au combat. Le sujet étant complexe et largement renouvelé ces dernières années, la variété des angles d’approche s’imposait, comme le précisent les auteurs : interviews de vétérans, synthèses stratégiques, analyses de batailles et de campagnes, examens des matériels de combat.

Directeur de la rédaction de Guerre et Histoires et du Mook De la guerre, Jean Lopez est l’auteur de nombreux ouvrages dont une biographie de Joukov, les Cent derniers jours d’Hitler, Les mythes de la Seconde guerre mondiale pour ne citer que les plus célèbres.

Une historiographie récente

Depuis au moins une génération, le mythe d’une Wehrmacht propre s’est perpétuée grâce à la complicité des occupants/libérateurs américains désireux de bénéficier des compétences militaires de leur ancien ennemi, et plus précisément de son expérience de combat contre l’Armée rouge. C’est un des aspects déplaisants de la guerre froide que d’avoir permis aux généraux criminels d’échapper au châtiment de la justice. Ce mensonge de la Wehrmacht propre a été démasqué à partir des années 1990 par les historiens allemands eux-mêmes. La Wehrmacht a été l’armée d’Hitler, le serviteur empressé de sa politique de conquête et d’extermination.

Cet ouvrage a le mérite d’ancrer la Wehrmacht dans son passé prussien et impérial, qui lui a légué, d’une part, une culture militaire originale, d’autre part, une faiblesse de la pensée opérationnelle et, plus encore, stratégique. La culture militaire allemande possède des forces incontestables : la recherche de la mobilité, la cohésion des unités, une conception remarquable du commandement, etc. L’auteur s’interroge également que l’autonomie de décision et la recherche des responsabilités dont les officiers allemands ont souvent fait preuve plongeaient leurs racines dans le modèle pédagogique prussien, avant-garde dès le XVIIIè siècle. Contrairement à ce que l’on voit, la désobéissance, la contestation, la résistance à la hiérarchie sont plus fréquents dans la Wehrmacht que dans toute autre armée. Le nazisme a par ailleurs renforcé certains aspects de cette culture militaire. Son agressivité, son goût pour la surprise, son mépris du droit ont trouvé des échos favorables dans l’institution militaire, de même qu’un certain égalitarisme entre la troupe et ses cadres, le culte des héros, l’exaltation de la fraternité des combattants. La corruption des chefs militaires par des cadeaux en tout genre octroyés par Hitler a adouci bien des problèmes de conscience.

Une culture militaire trop hémiplégique ?

La culture militaire allemande présente aussi des points faibles : le primat absolu du combat de destruction, la négligence relative de la logistique et du renseignement, l’aveuglement politique, le mépris du droit, probablement hérités de la longue persistance des valeurs féodales dans la caste des officiers. Tous ces points sont liés entre eux. En Union soviétique, on compte centre trente-trois grandes unités au combat pour seulement neuf division de sécurisation chargées des arrières. C’est très insuffisant dans un pays aussi vaste. Aussi, comme en Belgique et dans le nord de la France en 1914, la Wehrmacht et les SS qui la suivent aura recours à la terreur pour faire tenir tranquilles des populations sous-administrées. Le calcul n’avait de sens que si la campagne durait trois mois, ce que chacun a cru au grand état-major allemand. Au-delà de cette période, tous les avantages qui pouvaient être tirés de la détestation du stalinisme par une large part des Soviétiques ont été annulés. Le nazisme, degré zéro de la raison politique, a fait sont lit dans une armée qui elle-même, par tradition, n’en avait guère témoigné.

La tactique et l’anéantissement de l’ennemi au détriment de la stratégie

La faiblesse de la pensée opérationnelle dont a pu faire preuve la Wehrmacht, qui s’avéra mortelle pour elle en URSS, est liée à des facteurs complexes. Le primat de la tactique en est un. La recherche systématique de la vitesse en est un autre. Le plan de l’opération Barbarossa imposa ainsi un rythme et un surmenage effrayants à la troupe et à ses matériels qui tombèrent littéralement en morceaux devant Moscou, quand l’hiver fut venu. Depuis Frédéric le Grand, c’était un axiome de la Kriegsakademie : il fallait mener des guerres courtes et vives pour se sortir de la calamité géopolitique d’avoir à combattre sur plusieurs fronts avec un appareil militaire sous-dimensionné. En 1914, Guillaume II fit l’erreur de laisser les plans du grand état-major démolir toute approche diplomatique, condamnant son pays à une victoire totale ou à une défaite complète. Au nom de l’efficacité militaire immédiate, pour soumission au diktat de la vitesse inhérent au plan Schlieffen, les chefs militaires avaient coalisé le monde contre eux. La racine du drame de 1918 était simple : le militaire avait phagocyté le politique. Avec Hitler, la situation est inversée : le politique et son pire volet, l’idéologie, ont entièrement soumis le militaire. Les chefs militaires allemands n’ont pas résisté au magnétisme de leur Führer dont, il est vrai, la baraka a été longtemps stupéfiante et qui semblait démontrer que ‘avenir du monde de dessinerait à l’ombre de la croix gammée. Ils ont donc placé leur professionnalisme au service d’ambitions stratégiques démentes et d’une utopie raciale abominable.

Dès septembre 1939, le modèle allemand perdant est en place : la victoire rapide en Pologne acte le désastre d’avoir déclenché une guerre mondiale sans ressources adéquates. En 1940, l’aveuglement est à son comble : Hitler comme ses généraux se sont persuadés que la liquidation de la France signifiait la fin de la guerre. Ils n’ont pas saisi que, par leur projet monstrueux, ils coupèrent les ponts de la politique derrière eux. Pour se sortir de l’impasse stratégique, ils n’eurent d’autre recours que la fuite en avant, d’agression en agression, de campagne en campagne. A ce rythme, n’importe quelle autre armée aurait rapidement trébuché. Pas la Wehrmacht ! Avant de toucher le sol une première fois, devant Moscou en décembre 1941, elle aura soumis les trois quarts de l’Europe et donné la main à la Shoah par balles, en Union soviétique, en attendant pire. Il faudra trois ans et cinq mois aux 86 millions d’hommes mobilisés par la coalition alliée pour achever la bête dans sa tanière, au prix de dizaines de millions de morts.

Un livre décapant qui vient jeter une lumière crue et sans ambages sur la machine de guerre d’Hitler. On retrouve à la fin de l’ouvrage un important glossaire qui récapitule les noms de généraux, les acronymes de la Wehrmacht ou encore les lieux de batailles. Les témoignages d’anciens combattants allemands permettent également de mieux appréhender pourquoi le soldat allemand a tenu si longtemps, comment ont-ils fait pour se battre pour une dictature, outre le fait que l’industrie allemande de la chimie fournissait des millions de cachet de pervitine aux soldats allemands pour rester éveiller près de 40 heures durant ! L’embrigadement de la jeunesse et la propagande ayant joué un rôle fondamental de la continuation de la guerre totale.