La marine et les marins sont souvent les grands oubliés des études consacrées à la Révolution et au Premier Empire. Seule la bataille de Trafalgar semble avoir sa place dans la mémoire collective. Pourtant il y eut durant la période une marine aux effectifs et aux moyens non négligeables. Avec des marins dont les destins ont souffert du manque de priorité donné à la marine et de la difficulté à faire face à la puissance britannique. Parmi eux, on peut noter le cas de l’amiral Cosmao Kerjulien.
C’est parce qu’il s’agit un de ses ancêtres que Philippe Cosmao Dumanoir a décidé d’en écrire la biographie. L’auteur, colonel à la retraite, s’appuie sur des sources familiales originales ainsi que sur les archives officielles. Avec une approche chronologique, il replace le destin de son ancêtre dans le contexte.

Un début de carrière prometteur sous l’Ancien régime.
Né en 1761, le futur amiral est issu d’une famille bretonne, son père est notaire royal. Les membres de la famille se destinent aux carrières juridiques ou navales, deux de ses neveux sont avec lui sur le Pluton lors de la bataille de Trafalgar. Les solidarités familiales jouent à plein dans un monde de réseau de clientèle.
Cosmao Kerjulien intègre la marine en 1776 comme mousse à bord d’une frégate. Il va alors participer aux combats de la guerre d’indépendance américaine, c’est une période où la marine française est capable de rivaliser avec la Royal Navy. Il reçoit son baptême du feu en 1778 à bord de la frégate l’Oiseau. Son attitude lui permet d’atteindre en 1781 le grade de lieutenant de frégate auxiliaire. Son parcours est alors l’occasion de voir que les actions de la marine ne se limitent pas aux combats navals : s’y ajoutent les missions diverses d’escorte de convois, ou de ravitaillement…
Avec le retour à la paix, Cosmao Kerjulien se voit nommer dans le grade de sous-lieutenant de vaisseau, une progression qui récompense ses qualités d’officier. C’est aussi la période où le jeune homme intègre la franc-maçonnerie.Une progression remarquable sous la Révolution et le Consulat.
La Révolution perturbe davantage le fonctionnement de la marine que de l’armée. Nombreux sont les officiers nobles qui émigrent, or les fonctions d’officiers de marine sont complexes. La formation d’un bon marin prend du temps. Cette situation va favoriser la carrière de Cosmao Kerjulien qui fait ses preuves et saisit sa chance. A travers son parcours on voit aussi la diversité des missions confiées aux marins et le jeu de cache-cache auquel se livrent les différentes flottes en mer.
Le déclenchement des hostilités en 1792 l’amène à participer aux opérations en Méditerranée sous les ordres du futur amiral Latouche-Tréville. Des opérations limitées au vu de l’état de désorganisation de la marine. De retour à Toulon, il refuse de se rallier aux royalistes qui livrent la ville aux Anglais et ne revient qu’après la reprise de celle-ci. L’escadre de méditerrané sort très affaiblie de cet épisode.
En 1794, Cosmao reçoit le commandement du vaisseau le Tonnant avec lequel il va participer aux opérations autour de la Corse. Des opérations difficiles en raison de la supériorité britannique et des faibles moyens de l’escadre mais Cosmao se fait remarquer.
En 1797, à Brest, il est promu chef de division (groupe de navires). Il va ainsi prendre part à diverses expéditions, de la tentative avortée de l’amiral Bruix de ravitailler Malte et l’Egypte en 1799 à l’expédition de saint Domingue en 1801-1802. Il opère aux Antilles en 1802-1804 avant de revenir en Méditerranée où il retrouve Latouche-Tréville. Cosmao est alors capitaine de vaisseau de première classe.

Un des rares marins à réussir l’année 1805.
Les débuts de l’Empire voient la marine française écrasée à Trafalgar. L’auteur présente les grandes lignes des opérations navales de l’année 1805 et de la bataille elle-même. Les marins manquent d’entraînement, tandis que les instructions impériales décalées des réalités maritimes troublent un amiral Villeneuve plutôt effacé et qui doit gérer une escadre combinée franco-espagnole loin d’être performante.
Cosmao Kerjulien commande alors le Pluton, un navire de 74 canons. Ce navire récent souffre cependant d’un manque de manœuvrabilité. Signe révélateur de la difficulté à avoir de bons équipages, Cosmao Kerjulien demande et obtient d’être suivi sur son nouveau navire par son équipage, marque de confiance envers des hommes qu’il connaît et qu’il n’aura pas à former. Sur ces navires d’à peine plus de 50 m de long sur 14 de large, vont s’entasser près de 700 marins et 200 soldats.
C’est lors du passage de Villeneuve aux Antilles que Cosmao Kerjulien reprend aux Anglais le rocher du Diamant lors d’une opération combinée. Il s’illustre ensuite lors de la bataille du cap Finisterre ce qui lui vaut d’être apprécié par les Espagnols. Mais c’est surtout à Trafalgar, le 21 octobre, que le capitaine se fait remarquer. Après cinq heures de combats acharnés, il réussit à sauver son vaisseau alors que la moitié de l’escadre franco-espagnole est détruite ou capturée. Le surlendemain, il dirige une sortie qui permet de délivrer deux navires pris par les Anglais. Plus tard, il est amené à prendre part au procès controversé de l’amiral Dumanoir (mis en cause pour son comportement à Trafalgar).

Un marin réduit à l’impuissance (1806-1815)
Son attitude à Trafalgar lui permet d’accéder enfin au grade de contre-amiral en 1806, à l’âge de 44 ans. Il va rester à l’escadre de la Méditerranée jusqu’en 1814 à l’exception de la période1811-1813 où il est à Anvers. Mais l’activité navale est réduite, les ports français sont surveillés par la flotte anglaise, les sorties rares. A ce titre Cosmao Kerjulien participe à des expéditions comme celle qui ravitaille Corfou en 1808 ou dirige celle qui ravitaille Barcelone en 1809. Il affronte à nouveau l’ennemi en novembre 1813 et en février 1814 pour les derniers combats navals de l’époque impériale. Les navires français peuvent alors à peine sortir de leurs ports. Et les combats se limitent à sauver les navires. Cette période relativement terne de sa carrière reflète le destin de la marine impériale : on fabrique des navires en nombre, mais on manque d’hommes pour les équipages. Et surtout, on ne peut sortir en mer pour entraîner les marins ce qui réduit fortement l’efficacité de la flotte.
Cosmao Kerjulien ne semble pas être dans les faveurs de Decrès ou de Napoléon. Les documents retrouvés montrent que ceux-ci ne favorisent en rien sa carrière. Comme beaucoup d’officiers de grade équivalent, il est cependant fait baron d’Empire en 1810.
Lors de la première Restauration, il dirige l’escadre de la Méditerranée et assure l’évacuation de Corfou avant de débarquer en août 1814 et d’être laissé sans affectation. Nommé préfet maritime de Brest et pair de France durant les Cents Jours il n’a pas l’occasion de se distinguer. La chute de l’Empire voit Cosmao Kerjulien être mis à la retraite d’office. Comme beaucoup d’officiers dans son cas, il doit lutter pour se voir reconnaître sa retraite. Il s’éteint en1825.

En conclusion
Au-delà du simple aspect biographique, l’ouvrage permet de découvrir les transformations du rôle et de la place de la marine française durant la période de la fin du 18° siècle au début du 19° siècle. On passe d’une marine de haute mer puissante à une force acculée dans ses propres ports dont elle n’ose sortir. On voit aussi la fin des grands affrontements de la marine à voile qui sont remplacés par des missions plus ingrates et obscures de transport, ravitaillement et débarquement. .
Le parcours de l’amiral, montre que même avec des qualités de marins, l’importance d’un réseau de connaissances se révèle nécessaire pour faire carrière à l’époque impériale.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau