Jacqueline Lalouette est historienne, elle a travaillé sur la laïcité et l’anticléricalisme et a publié en 2018, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes. France, 1801-2018, Mare & Martin. L’ouvrage qu’elle vient de publier s’appuie donc sur des connaissances solides et précises des statues qui peuplent rues et places de France et dont certaines ont donné lieu à diverses contestations ces derniers temps.
Un moment iconoclaste ?
L’auteure n’ignore pas les épisodes iconoclastes de l’histoire de France (protestants au 16ème siècle, Révolution française…) ou d’autres pays mais centre son étude sur le temps présent. Plus particulièrement sur l’année 2020 qui vit nombre de statues subir des outrages. Le chapitre 1 nous fait faire un « Tour du monde des statues vandalisées ou détruites » (p.17), pour la plupart après la mort de Georges Floyd, le 25 mai 2020 aux États-Unis. Même si des statues avaient subi des déprédations matérielles auparavant, on assiste après cette date à une circulation internationale de ce mode d’actions, favorisée par les réseaux sociaux, la médiatisation et l’émotion créée. Ainsi que par le fait que la mort de G. Floyd et les actions qui s’en sont suivies aient eu lieu sur le sol des EU, puissance culturelle majeure.
L’auteure en dresse une liste précise et très documentée. Elle rappelle que contrairement à une idée reçue, deux statues de Victor Schœlcher furent abattues en Martinique avant même que des manifestants s’en prennent aux monuments évoquant l’esclavage aux EU. Toutefois ce sont les actions menées aux EU par des militants anti-racistes, noirs mais aussi blancs, rencontrent un large écho dans de nombreux pays dont la France. En France continentale, dans les Antilles ou à La Réunion de nombreuses manifestations ont lieu. Certaines statues servant de point de ralliement. Ces mobilisations interviennent alors que des violences policières, lors de manifestations ou de contrôles sur la voie publique, sont dénoncées. Et que des paroles jugées racistes de policiers sont révélées. Donnant lieu à de multiples manifestations, en mai-juin 2020 en France. Éléments de contexte, qui ne sont pas rappelés dans le livre
Quelles statues ? Quels outrages ?
Dans les chapitres 2 et 3 sont présentées les statues visées par les nouveaux iconoclastes en France ainsi que les dommages qu’elles ont subis. Sont visées plus particulièrement les statues liées à l’histoire de l’esclavage et les statues de colonisateurs. Dans les Outre-Mer, les contestataires « se sont livrés à des actions particulièrement radicales, qui n’ont pas eu d’équivalents en France continentale » (p. 89). Ainsi, des statues de Victor Schœlcher (abolitionniste pourtant) y ont été détruites par des groupes de militants souvent jeunes au grand dam de militants plus expérimentés (p. 57-60) pourtant fort critiques envers la colonisation ou la politique des gouvernements français, tel Gilbert Pago en Martinique.
Dans la France continentale, des statues de Colbert, Napoléon, Christophe Colomb, Charles de Gaulle ont été plus ou moins recouvertes de peinture ou d‘inscriptions et donc vandalisées pour l’auteure. Parmi les statues de colonisateurs, ont été plus particulièrement visées celles de Bugeaud, Faidherbe, Gallieni accusés d’avoir commis des exactions envers les peuples dominés. Des « tags » y ont été inscrits, un voile noir parfois déposé, des calicots accrochés, de la peinture rouge répandue et des discours militants (parfois véhéments, c’est ce qui fait leur charme désuet) demandant leur retrait de l’espace public prononcés à leurs pieds. Toutefois, aucune statue n’a été brisée dans la France continentale.
L’auteure condamne les destructions et nous ne pouvons que la comprendre. Comme le signalent des militants chenus des Antilles aux jeunes activistes, l’abolition de l’esclavage est le résultat de l’action de plusieurs éléments complémentaires, l’action propre des esclaves et des Nègres marrons et celle d’abolitionnistes dont Victor Schoelcher.
Enfin on ne peut que regretter que le charme de la statue de Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie dite Joséphine (de Beauharnais) ait disparu à Fort de France. Il nous semble cependant que les actions militantes symboliques ne peuvent pas être mises sur le même plan que les destructions de statues. Même si on n’approuve pas la cause défendue, accrocher une pancarte, déposer un voile, prononcer un discours virulent ne causent aucun dommage.
La peinture dégrade certes le monument mais les gaz d’échappement abiment aussi la pierre… Rappelons que l’espace public, en France a été l’enjeu de luttes politiques même à la fin du 20ème siècle : rues Salvador Allende débaptisées après les municipales de 1983 dans des villes conquises par la droite, plaque Solidarnosc accrochée sur les murs dans une rue de Montpellier… Et l’auteur de cette note connaît même un petit village d’Aveyron ou la statue décapitée (deux fois) de Louis XVI a trouvé refuge dans le hall de la mairie.
Mais qui sont donc ces nouveaux vandales ?
L’auteure évoque, dans les Outre-Mer, des jeunes hommes et jeunes femmes (p. 46), de nouvelles générations militantes qui, de manière assez classique, ruent dans les brancards et trouvent que même les anciens militants ne vont pas assez loin. En parallèle à ces actions, certains de ces activistes, au discours tranché, tiennent des blogs qui rencontrent un certain succès. Ces activistes affirment réhabiliter les luttes des esclaves et des nègres marrons, soulignent les contradictions de Schoelcher et veulent faire la leçon à leurs aînés.
Dans la France continentale, le mouvement, différent on l’a vu, est plus marqué par l’émotion liée à l’affaire G. Floyd, par les réseaux sociaux et par l’action du comité Adama (peu cité). Il a donné lieu à des manifestations massives dans lesquelles des jeunes noirs des banlieues, peu militants, étaient fortement présents (cela aurait pu être davantage mis en valeur). Les actions devant les statues regroupent moins de monde et des personnes plus militantes. Au-delà des groupes activistes, qui semblent peu structurés, l’auteure critique des chercheurs (en particulier Françoise Vergès, dont l’évolution des positions est soulignée), des hommes ou des femmes politiques (Vikash Dhorasoo, France insoumise) et des militants anticolonialistes qui se tromperaient, est-il suggéré, de combats et défendraient l’idée qu’en France existe un « racisme systémique » (p. 178). Affirmation que l’auteure réfute mais qui pourrait donner lieu à débat.
Des propositions raisonnables
J. Lalouette est consciente qu’en France « les travaux scientifiques relatifs à ces questions ont commencé plus tardivement que dans d’autres pays » (p. 178) mais elle entend souligner les avancées effectuées. Elle formule des propositions qui permettraient, selon elle, d’avancer sur la reconnaissance par la puissance publique du drame de l’esclavage et des dégâts du colonialisme. J. Lalouette évoque la possibilité de l’ajout de panneaux explicatifs à côté des statues. Elle semble surtout favorable à l’érection de statues qui feraient « surgir de l’histoire de nouveaux héros » (p. 140). Ce mouvement a déjà d’ailleurs commencé avec plusieurs monuments récents créés en l’honneur de Toussaint Louverture et d’autres héros y compris des femmes, tels le général Alexandre Dumas[1] (père de l’auteur des Trois mousquetaires), Aimé Césaire… Et elle suggère des figures qui mériteraient, selon elle, d’être célébrées.
Un livre intéressant sur un sujet d’actualité dont le point de vue peut donner lieu à discussions et qui pourrait alimenter des débats en classe de lycée.
[1] Voir Le Monde du 4/2/2021, La statue du général Dumas de retour à Paris.
La statue du père d’Alexandre Dumas, ancien esclave devenu général, avait été fondue par les nazis sous l’Occupation. Sa réplique va être érigée dans le 17e arrondissement.