Surnommé « l’avocat de la terreur » ou le « salaud lumineux », Jacques Vergès (1924-2013) est devenu une star du barreau dans les années 1980 en prenant la défense des plus grands criminels, comme le nazi Klaus Barbie, le terroriste Carlos ou le serbe Slobodan Milosevic.
C’est la vie de cet avocat médiatique et à la personnalité ambivalente qu’ont décidé de raconter le journaliste Jean-Charles Chapuzet (qui s’est entretenu avec Vergès peu de temps avant sa mort) au scénario et Guillaume Martinez au dessin.
Les auteurs
Jean-Charles Chapuzet est docteur en Histoire à Sciences Po Paris et intervenant à l’INSEEC Bordeaux. Il exerce son métier de journaliste à travers la presse, des livres et des bandes dessinées. Il est notamment l’auteur d’un livre sur Hubert-Félix Thiéfaine ou de Mauvais plan sur la comète consacré à Jean-Claudre Ladrat (protagoniste de La Soucoupe et le perroquet, épisode le plus culte de l’émission Strip Tease). En 2019, il publie La seconde mort du général Boulanger et L’Affaire Zola en BD chez Glénat. En 2020, il sort le polar de non-fiction Du bleu dans la nuit pour lequel il est primé aux Quais du polar. L’année suivante, il signe un ouvrage inspiré d’un fait divers hongrois : Le Cri de la cigogne.
Guillaume Martinez est né en 1980. A 12 ans, il livre ses premières planches à un fanzine. De formation classique et littéraire, il entreprend des études d’architecture qu’il abandonne au bout de 3 ans lorsqu’il signe son premier contrat chez Glénat pour la série La Malédiction de Bellary (2002). Puis, il continue avec William Panama, Le Monde de Lucie, Une vie et Motherfucker.
L’histoire
Une nuit, un cambrioleur au visage caché par une capuche rentre par effraction dans l’appartement de Jacques Vergès. Il se retrouve alors nez à nez avec ce dernier assis derrière son bureau qui décide de lui raconter sa vie, ses nombreux combats et ses amitiès plus ou moins sulfureuses.
Né en 1920 en Thaïlande d’une mère vietnamienne et d’un père diplomate créole, il grandit avec son frère Raymond à La Réunion. Il devient résistant à 17 ans puis fervent militant anticolonialiste. En 1956, il endosse la robe l’avocat pour défendre les fedayin de la guerre d’Algérie jusqu’à se marier avec l’héroïne de l’indépendance, Djamila Bouhired, à qui il a sauvé la tête. Soupçonné d’aider le FLN, il doit alors quitter l’Algérie.
Dans les années 1960, il fonde le journal communiste « Révolution africaine » (qui deviendra plus tard « Révolution »). Il rencontre alors Malcom X, Mandela, Pol Pot, Castro, Mao …
Dans les années 1970, il disparait 8 années sans laisser de trace (la BD ne dévoilera d’ailleurs pas les raisons de cette disparition…) avant de devenir l’avocat médiatique qu’on connait. Il doit alors sa notoriété publique à la défense du nazi Klaus Barbie et à ses provocations lors du procès. Puis, il multiplie les procès médiatiques : Robert Boulin, affaire du sang contaminé, Milosevic, Roger Garaudy, Omar Raddad …
Mon avis
Avec cet album aux traits précis et réalistes, les auteurs nous retracent les grandes étapes de la vie de Jacques Vergès et, en filigrane, l’Histoire de la seconde moitié du XXe siècle. Ils nous donnent aussi quelques clés de compréhension de l’engagement parfois ambigu et ambivalent de Vergès : communiste, il est surtout farouchement anticolonialiste (et plus largement anti-impérialiste). Mais, dans ses procès, il est souvent plus sensible aux personnes qu’il défend qu’à un véritable engagement idéologique.
On peut, cependant, regretter que Jean-Charles Chapuzet se soit appuyé essentiellement sur son entretien avec Vergès pour scénariser son album. En effet, dans les propos, on a du mal à dissocier ce qui est de la réalité et de la légende orchestrée par Vergès lui-même. De même, comme souligné un peu plus haut, il ne nous apprend pas grand chose de nouveau sur certains points opaques de la vie de l’avocat : ainsi, rien ne nous est dit sur les causes de sa disparition pendant 8 années ou sur ses liens présumés avec l’organisation terroriste de Carlos.
Enfin, retracer la vie de Vergès en 136 pages est une gageure qui n’est pas totalement réussie. En effet, par ses coupes et ses ellipses obligatoires, l’album est parfois difficile à suivre et à comprendre pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas la carrière de l’avocat ainsi que l’histoire mondiale des années 1960 et 1970.