Un ouvrage qui réunit quelques bons spécialistes des questions qui relèvent de la laïcité, de l’extrême droite, de l’Islam, bref des problématiques identitaires et qui aujourd’hui sont en débat, mais utilisés dans des discours politiques racoleurs et dangereux.
Vers la guerre des identités? Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Dominic Thomas

 

Un ouvrage collectif de 22 auteurs sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Dominique Thomas, deux historiens un spécialiste américain en Relations internationales françaises à l’Université de Los Angeles.

Disons le d’emblée ce livre tombe à pic (sans doute comme quelques autres), dans une France confrontée à la montée des angoisses identitaires, alimentées par des discours politiques racoleurs. Les enseignants trouveront dans cet ensemble d’articles matière à argumenter auprès des élèves quelque soit leur niveau.
S’il est difficile d’énumérer l’ensemble des articles au nombre de 20 certains retiennent particulièrement l’attention surtout pour les collègues assurant l’enseignement « moral et civique » en vigueur depuis la loi de 2013.
Le terme race a ressurgi dans les débats politico-médiatiques, trop souvent utilisés par les élèves. Le chapitre 1 sur « le retour de la race dans les discours publics et scientifiques » ainsi les auteurs (Gilles Boëtsh et Pascal Blanchard) retrace l’évolution de l’usage du terme dans depuis le XVIIe siècle jusqu’à un retour dans certains discours politiques car le terme est redevenu semble-t-il « audible ».

Le chapitre 4 écrit par Raphaël Liogier philosophe et sociologue intitulé « l’infiltration du populisme liquide » permet de préciser le notion de populisme utilisée à longueur de discours. Pour Liogier, c’est la fiction « d’un peuple total omniprésent, omniscient » qui est valorisée par le populiste qui l’oppose aux « élites » qui favoriseraient systématiquement les minorités diverses. Mais ce populisme est différent des années 30 , « il est insidieux, diffus et joue sur les notions flous de culture, de valeurs et d’identité », c’est ce que R Liogier appelle populisme liquide dans le sens où il pénètre petit à petit nos institutions, on constate en effet que dans certains discours on peut remettre en cause l’Etat de droit , quitte à entraîner des réactions qui ne font que confirmer la collusion des élites contre le peuple qui pense juste (voir réaction de François Molins du 21 juillet 2O16) ; le terme « populisme liquide » proposé ici , peut permettre de proposer aux élèves des comparaisons historiques utiles et pertinentes pédagogiquement.

Nonna Mayeur chercheuse bien connue du Cevipof, (le centre d’études de la vie politique française) propose un article tout à fait stimulant sur l’antisémitisme « vieux et nouveaux visages de l’antisémitisme en France », pour elle, une première évidence est le lien avec le conflit israélo-palestinien, mais par contre elle observe en parallèle une baisse des préjugés anti-juifs, les études d’opinion traduites en deux graphiques précis et très clairs peuvent être proposés à des élèves de lycée. Elle nous indique qu’en fait aujourd’hui se juxtapose deux types d’antisémitismes un traditionnel : richesse supposée etc… et un nouveau, bâti sur le rejet de la politique actuelle de l’Etat israélien, il est d’ailleurs bon de montrer aux élèves qu’il est possible de critiquer Israël et sa politique dans les territoires occupés sans être antisémite!

En complément, le chapitre 6 de Rachid Benzine, islamologue, professeur à la faculté théologique protestante de Paris, propose une réflexion sur « la peur de l’islam ferment d’un nouveau lien identitaire en France ». Cette peur de l’islam est une réalité aujourd’hui qui se traduit par l’expression de suffrages populistes, un phénomène qui, d’ailleurs n’est pas propre à la France. Dans notre pays toutefois la peur de l’Islam est irriguée par trois sources : la mémoire vive de la guerre d’Algérie, l’actualité internationale et la situation économique difficile particulièrement dans les banlieues populaires. D’après l’auteur , «… quand on a des difficultés à dire qui on est, à exprimer ce qui vous constitue, et vous fonde, la réaction la plus naturelle est de chercher d’abord ce que l’on n’est pas.»

Le chapitre 8 de Florence Rochefort, historienne, chargée de recherche au CNRS, propose un article sur « genre et mariage pour tous : une guerre des valeurs ? ». Le 13 janvier 2013, la manifestation contre le projet de loi en faveur du mariage de deux personnes du même sexe a regroupé entre 350000 personnes et 400000 traduisant des inquiétudes diverses traduisant une inquiétude « identitaire » autour de la crainte d’une prétendue dissolution des valeurs familiales traditionnelles. Ce mouvement prétend incarner une forme de rejet de la culture matérialiste héritée de mai 68, certes mais aussi un retour politique d’un certain catholicisme. On peut aussi s’interroger sur le déficit de la pensée laïque dans cette affaire , tout au moins une pensée laïque libérale garante des droits sexuels.
Citons aussi d’autres auteurs prestigieux comme Alain Mabanckou , professeur au collège de France : chapitre 7 : « Crispations : la question noire et le débat autour d’exhibit B » une réflexion intéressante sur le travail de l’artiste sud – africain Brett Bailey qui met en scène de vrais acteurs noirs rejouant les scènes d’exhibition des sauvages lors de l’époque coloniale ( festival d’Avignon 2013) le débat posait la question de la « race » et la prise en compte de la « France noire ». Cette pièce avait suscité ( lors de son passage dans un théâtre parisien) des dépôts de plaintes qui ont finalement été déboutée par les juges.

Et enfin la postface est écrite par Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011 avec « l’Art français de la guerre ») qui indique que « la France multiple, fondamentalement multiple, multiple de tout temps et destinée à l’être encore, pour toujours. L’immigration en France n’est pas un phénomène périphérique, ce ne sont pas des rajouts qui se seraient agglomérés à un noyau supposé hercynien, posé là de toute son origine, c’est un phénomène central constitutif de notre histoire particulière. L’histoire de France du XXe siècle ne peut se penser hors de ces fructueux mélanges».

La conclusion d’Alexis Jenni nous indique le sens vers lequel nous pouvons travailler en enseignement moral et civique. Ce livre est un outils tout à fait pertinent, à recommander chaudement à tous ceux qui sont très inquiets des dérives « identitaires » actuelles.

Jean-Jacques Blain