Cet ouvrage des éditions Bleu Autour se veut un hommage à Josette Alviset décédée en 2018. Cette passionnée de l’Opéra de Vichy s’est battue pour l’ouverture du musée qu’elle a dirigé et pour la préservation des archives ainsi présentées. Les écrits de Fabien Noble et Antoine Paillet viennent compléter et organiser l’ensemble. Le livre est riche en illustrations, en documents d’époque et l’impression est soignée sur un papier de qualité et agréable. C’est donc un beau livre de collection pour ceux qui s’intéressent au sujet ou pour les curieux, car le fond est accessible à tous.

La première partie est davantage tournée vers l’architecture, la construction et les différents remaniements de l’édifice. La seconde partie est la présentation de Marie Lys de Castelbajac sur la restauration entreprise entre 1994 et 1995. Enfin, un troisième axe réintègre le bâtiment dans son contexte chronologique et en dresse l’histoire.

Déjà en 1678, le Mercure-Galant célèbre les bals tenus à Vichy. La ville auvergnate se développe au fur et à mesure et profite de l’autorisation des jeux par Napoléon en 1806. La duchesse d’Angoulême y encourage la construction d’un établissement de bains pendant la Restauration, qui sera utilisé de 1831 à 1902. En 1844, Isaac Strauss, compositeur, ouvre une longue période de fêtes et de réjouissances, laissant près de 400 morceaux de danse. La Rotonde est construite à l’intérieur de l’Établissement de bains, Vichy se doit d’enchanter les clients-baigneurs.

Napoléon III ne résiste pas à l’attrait en 1861, et séjourne même dans la villa du compositeur. Il donne à Charles Badger la mission de construire un casino. L’album du photographe Paul Coutem permet d’illustrer les différentes étapes des travaux. L’empereur, revenu chaque été, inaugure l’édifice le 2 juillet 1865. De grand(e)s acteurs(trices), chanteurs(ses) s’y produisent : Sarah Bernhardt dans Phèdre ou la Dame aux Camélias, Félix Faure, alors président vient en visite. Les salons du casino sont arpentés par environ 2000 personnes chaque jour.

Celui-ci, trop exiguë, il devient important de le réaménager en construisant un opéra. La Compagnie fermière qui gère l’édifice et les thermes choisit l’architecte Charles Le Cœur, travaillant pour le ministère de l’Intérieur et déjà connu. Cependant, il s’adjoint les talents du décorateur Léon Rudnicki. Le décor de la Coupole est une œuvre Art Déco impressionnante ornée des visages des actrices et acteurs en vogue telle Sarah Bernhardt justement ou encore Rose Caron, Coquelin aîné. La salle peut accueillir jusqu’à 1500 spectateurs en comptant les strapontins, rare exception en province à cette époque. Le ferronnier Emile Robert, le jeune architecte Lucien Woog et Seguin le sculpteur font également partie des réalisateurs du projet. Ainsi, là où l’on pensait Le Cœur dépassé, la France entière salue l’avancée et le dynamisme des travaux. Même si l’inauguration officielle n’est prévue qu’en 1903, la salle est livrée rapidement pour accueillir les curistes en saison. En 1901, alors que les murs sont encore blancs, Aïda est représentée. La ville reçoit alors près de 100000 personnes chaque été. La scène a les dimensions de celle de l’opéra Garnier. Un orgue de 7 mètres de haut pour 4 mètres de large fait partie des pièces rares à l’époque. Démonté en 1995 lors des travaux de restauration, il n’a pas été réinstallé et dort dans les sous-sols du bâtiment. Un autre lieu fait l’objet des louanges des contemporains : le Grand Hall, reliant le Théâtre (opéra) et l’ancien casino. Sa structure est directement inspirée de la salle Schmitt du casino de Monte Carlo et surmontée d’une coupole en verre illuminée la nuit. Les parties non publiques ne sont pas en reste : vestiaires, loges en grand nombre… et la bibliothèque musicale qui recensait près de 8000 partitions d’orchestre, 600 livrets d’œuvres lyriques et ballets sur une période de 1830 à 1950 et 2000 titres d’œuvres dramatiques selon l’inventaire complet de 1995-1997, établi par Françoise Constant.

De 1901 à 1914 ce sont environ 280 pièces jouées en 1583 représentations, 90 comédiens pour des spectacles quotidiens, et des concerts matins et soirs. Avec la guerre, le casino ferme, plusieurs artistes sont mobilisés. Les représentations reprennent le 15 mai 1915 et la ville se maintient avec 22000 à 44000 visiteurs chaque mois. La salle de Théâtre, autrement dit l’opéra, reste fermée ; c’est le Grand Hall qui accueille le public. La plupart des bénéfices sont reversés aux orphelinats, blessés ou à la Croix Rouge.

Après la guerre le succès revient, avec même un record de fréquentation en 1927 : 174833 curistes. On peut mettre en avant la présence des ballets russes de Serge Diaghilev en 1929 alors qu’ils ne dansaient qu’à Paris auparavant. Ils donnent quatre spectacles dont le Lac des Cygnes. Nouveaux records de fréquentation dans les années 30 : environ 200000 baigneurs pour seulement 25000 habitants ! On peut alors croiser : Jimmy Walker, maire de New York, le Maharadja de Bhavnagar, le prince d’Annam, les Rothschild… L’orchestre compte alors près de 100 musiciens à résidence. Le music-hall intègre les programmations avec Ray Ventura, Jacques Tati, Tino Rossi, Joséphine Baker, Lucienne Boyer, Mireille… En juillet 1935, la Tétralogie de Wagner est donnée alors même que Bayreuth ne la joue pas cette année exceptionnellement. Grand succès, doublé de l’accueil du Congrès international des Compositeurs. En 1939, la guerre vient interrompre les festivités.

Vichy devient le théâtre d’une pièce historique. Jean Lebrun déclare en préface : « Rien ne pouvait arriver de pire à cette ville de guérison que de devenir le point de départ d’une gangrène, à cette ville cosmopolite d’esprit que de devenir la capitale d’un Etat croupion ». Le Grand Casino est réquisitionné et le parlement se réunit dans la salle de l’opéra. Quelques concerts sont tout de même organisés par le Secours national. Vichy est libérée le 26 août 1944. En 1945 le bilan est lourd pour la Compagnie fermière : 4000 chaises disparues, 85000 verres et autant d’assiettes manquent, il faut restaurer le bâtiment. Ainsi les salles de jeux et la salle de l’Arlequin ont accueillis des bureaux donc des cloisons de béton ont été dressées. Peu à peu la ville reprend son souffle ; en 1947, la compagnie des Ballets de Monte Carlo est engagée. Cependant les efforts ne suffisent pas et les curistes sont moins nombreux. Joseph Alviset (père de Josette Alviset) assure la direction d’un Festival entre 1952 et 1963. La musique reprend ses droits dans la ville. Malgré les difficultés et la fin du festival le programme reste haut de gamme : le Royal Ballet vient se produire avec Margot Fonteyn et Rudolf Noureev. A partir de 1972, la part belle est faite à la variété : Sacha Distel, Aznavour… La ville reprend la propriété du casino et lance le programme de restauration de 1995.

Cette restauration est également présentée et illustrée dans l’ouvrage, partie intéressante pour comprendre les difficultés techniques de ce genre de travaux. Le livre clôture son riche voyage musical et historique par les biographies des principaux artistes du Casino.