Michel Pastoureau, historien, spécialiste des couleurs et des images, est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Une histoire symbolique du Moyen Age occidental », « L’ours, histoire d’un roi déchu » et de plusieurs livres, dont des monographies sur les couleurs. Son nouvel opus est consacré au vert. Il faut souligner de suite la qualité des reproductions qui font aussi le succès d’un tel ouvrage. Au passage, on pourra découvrir ou mieux apprécier quelques tableaux comme les intérieurs de temples calvinistes d’Emanuel de Witte ou l’Eté vert de Sir Edward Burne-Jones.

Une couleur et une méthode

Le livre est organisé autour de cinq chapitres, d’un index et d’une orientation bibliographique thématique pour ceux qui veulent aller plus loin. Chaque chapitre est subdivisé en sous-parties. Le plan choisi est chronologique et chaque période est identifiée autour d’une idée forte pour qualifier la place du vert. Dès l’introduction, Michel Pastoureau précise son projet, c’est-à-dire qu’il traite des sociétés occidentales, et qu’un certain nombre de précautions méthodologiques existent pour traiter ce sujet. Il précise quelles sont les difficultés : elles sont d’abord d’ordre documentaire, méthodologique et enfin épistémologique. Comme il l’affirme,  » Quelle que soit l’époque concernée, le regard est toujours culturel ».

Une couleur incertaine : des origines à l’an 1000

En commençant par les Grecs, on comprend de suite, avec des exemples, que les catégories de pensée sont différentes selon les époques. La coloration compte alors moins que les différentes qualités de l’objet. Chez les Romains, le vert est associé aux Barbares et les défenseurs des bonnes mœurs furent donc plutôt contre. La couleur est depuis longtemps chargée d’une force symbolique et Michel Pastoureau évoque à travers l’histoire plusieurs périodes où les couleurs furent dénoncées. Parmi les autres difficultés pour cerner la place d’une couleur, l’auteur revient sur la Bible et montre combien il est difficile de s’appuyer dessus pour en tirer des conclusions : en effet, sur quelle version s’appuie-t-on ? Vers le XII ème siècle, le vert se transforme en couleur moyenne, ce qui va plutôt le valoriser. Il devient associé à la modération.

Une couleur courtoise du XI ème au XIV ème siècle

Le vert connait donc alors une certaine promotion, mais bien moins forte que le bleu, déjà l’objet d’un livre par l’auteur. La couleur est vraiment culturelle comme le montre l’exemple du jaune et du vert. A l’époque médiévale, cette juxtaposition est considérée comme la plus violente et le bleu est alors synonyme de couleur chaude. Il ne faudrait pas croire non plus que la Nature est forcément verte au Moyen Age, car la Nature englobe alors toute la Création, et donc pas seulement la nature. Le vert devient aussi la couleur chevaleresque et comme chevalerie et courtoisie ont partie liée, le vert se développe.

Une couleur dangereuse : XIV ème-XVI ème siècles

Les temps changent et on découvre alors des diables verts. En plus, des animaux sont associés au Diable et sont souvent de couleur verte comme la grenouille. Ils ont aussi un rapport avec le monde aquatique, qui à l’époque est représenté en vert et non en bleu. Michel Pastoureau revient ensuite sur un point déjà abordé dans d’autres de ses ouvrages à savoir la question du teinturier. Il existe à la fois des impossibilités techniques sur ce métier mais aussi des interdits sociaux. En effet, on ne doit pas mélanger les couleurs, au risque de se prendre pour le Créateur. Les référentiels anciens perdurent longtemps, car jusqu’en 1500 au moins, c’est l’ordre aristotélicien des couleurs qui est toujours la référence.

Une couleur secondaire : XVIème XIXème siècles

On assiste alors à une dévalorisation du vert d’abord sur le plan moral et religieux. La Réforme protestante s’en est pris très vite aux couleurs, elle fut à la fois iconoclaste et chromoclaste. C’est sans doute dans le domaine du vêtement que l’influence a été la plus forte. Michel Pastoureau s’arrête ensuite sur les expériences de Newton, tout en apportant des nuances. Sa découverte n’a concerné les peintres qu’assez tard. « inversement il est probable aussi que bien avant cette découverte les peintres avaient empiriquement constaté qu’en mélangeant du bleu et du jaune », on obtenait du vert. L’auteur en profite aussi pour signaler que des épisodes considérées comme bouleversant la vision du monde n’ont parfois aucune influence sur d’autres sujets : ainsi en est-il de la découverte de l’Amérique ou du grand commerce transatlantique qui ne modifia en rien le marché des couleurs. « Il faut attendre la seconde moitié du XVIII ème siècle et l’éveil du sentiment romantique pour que le vert retrouve une certaine dignité »
On continue ensuite le déroulé chronologique pour aborder la question des superstitions liées au vert. Il en existe au théâtre, en partie liée au fait que cette couleur laissait alors ses porteurs dans une certaine ombre. En Allemagne et en Autriche, le vert est sensé éloigner les forces du Mal. On trouve en tout cas plusieurs significations et symboliques pour le vert qui demeura longtemps une couleur ambivalente. Couleur du Destin, il pouvait donc pencher dans un sens ou dans un autre.

Une couleur apaisante XIX ème-XXI ème siècles
Dans cette dernière période, c’est encore l’alternance qui caractérise le vert entre des moments de promotion et de dévalorisation. L’invention du tube de peinture offrit d’autres possibilités aux peintres dont celui de peindre dehors et donc souvent du vert. Mais en même temps, le vert dut subir les assauts de la science et après les travaux de Chevreul, il est catégorisé comme une couleur secondaire. On découvre alors qu’en rapprochant une touche de bleu et une touche de jaune on obtient du vert : c’est donc le couple oeil et cerveau qui produit le vert : il n’existe donc plus matériellement.
Michel Pastoureau rappelle aussi que  » l’Europe savante et artistique a vécu plusieurs millénaires sans connaitre la distinction entre primaire et complémentaire et ne s’en est pas portée plus mal ».
Depuis plusieurs années, le vert connait un retour en grâce et il est même devenu politique. Aujourd’hui la population dans les sondages associe santé, liberté et espérance au vert.

Au terme de ce parcours chronologique, le vert apparait dans toute sa complexité et sa diversité. L’ouvrage de Michel Pastoureau tient à la fois de la fresque par l’ampleur de temps couvert, mais aussi par l’abondance des documents cités. Le plaisir du lecteur n’est pas oublié grâce à un texte qui marie la clarté à la qualité du raisonnement. Il fait partie de ces livres qui rendent intelligents. Vivement le rouge et le jaune qui sont annoncés !

Pour ceux qui veulent en savoir davantage, un entretien dans Télérama

© Jean-Pierre Costille, Clionautes.