On peut s’interroger sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à lire le livre de Nicolas Bernard quand on regarde le temps consacré à l’étude de la Seconde Guerre mondiale dans les programmes d’histoire. Et pourtant, par son contenu, cet ouvrage s’inscrit tout à fait dans une approche globale du conflit. Approche certes limitée au front germano-soviétique, mais un front qui est certainement le plus représentatif de cette « guerre d’anéantissement » poussée au plus haut point et des « caractéristiques nouvelles » de celle-ci pour reprendre les expressions de la fiche eduscol des 1°S.

Nicolas Bernard, déjà auteur de nombreux articles dans des revues consacrées à la Seconde Guerre mondiale, élargit notre vision de ce front. Il suit un plan chronologique ce qui permet de suivre les moments clefs de cet affrontement. Son ouvrage accorde autant d’importance à ce qui se passe après Stalingrad qu’à ce qui précède cette défaite militaire. Une précision et un équilibre important car bien souvent les auteurs détaillent l’avancée allemande de 1941-1942 avant d’évoquer très rapidement ce qui suit de 1943 à 1945. De plus, il ne se limite pas aux seules opérations militaires. Il replace celles-ci dans le contexte géopolitique et idéologique de l’affrontement entre ces deux puissances. Il réalise ainsi une synthèse importante des travaux les plus récents parus sur tous ces thèmes comme on témoigne l’importante bibliographie qui l’accompagne.

Un affrontement sans équivalent.

La lecture de l’ouvrage nous permet de bien comprendre les caractéristiques de cette guerre. Sur nul autre théâtre d’opérations on ne trouve un front aussi étendu que celui, qui, sur des milliers de kilomètres, s’étend du cercle polaire arctique aux steppes du sud de la Russie. Des conditions de combat éprouvantes pour les hommes et les machines qui passent des chaleurs extrêmes à des froids rigoureux.

Un front qui illustre bien les caractéristiques de guerre de mouvement que fût la Seconde Guerre mondiale, puisqu’il bougea de Moscou à Berlin. A la blitzkrieg allemande de 1941-1942 qui voit les panzerdivisionen parcourir parfois des centaines de kilomètres en moins d’une semaine, va répondre l’art opératif soviétique qui permit des percées équivalentes lors de l’offensive Vistule-Oder de 1945 ou des opérations en Ukraine en 1943.

Pour tenir et occuper cet espace la mobilisation humaine fut importante. C’est plus de 60% de l’armée allemande qui combat à l’est, avec ses meilleures troupes (blindés et waffen ss). Mais cela ne suffit pas et Hitler doit mobiliser ses alliés dans sa « croisade contre le bolchevisme ». Ceux-ci ont cependant des motivations diverses. Peu de choses en commun entre les volontaires SS européens fanatisés par le nazisme et les Finlandais qui voient avant tout dans le conflit un moyen de récupérer les territoires perdus en 1939-1940 et ne vont pas se battre pour plus. Quelle coalition hétéroclite que celle qui voit des Hongrois et de Roumains combattre le même ennemi soviétique alors que les Roumains entendent récupérer les territoires cédés à la Hongrie. Et que les uns comme les autres disposent d’un armement en retard d’une guerre. Les motivations et le comportement des divers alliés de l’Axe sont ainsi étudiés, de même que leur sortie du conflit. En face, la mobilisation humaine permet encore à l’Armée rouge d’aligner plus de 6 millions de soldats en 1945 malgré les énormes pertes qu’elle a subi tout au long de la guerre. Une guerre d’usure humaine qui finit par payer, l’Allemagne ne peut combler ses pertes quand l’URSS y arrive encore en recourant à tous les expédients possibles (incorporation de la population des territoires libérés sans instruction militaire, des prisonniers libérés etc..).

Et c’est sur ce front que la dimension matérielle du conflit se manifeste dans toute son importance. Il ne s’agit pas que des chars, avions, canons que chaque camp produit par milliers, voire par dizaines de milliers. De part et d’autre les usines tournent à plein rendement, et cette dimension économique a été pleinement intégrée par les Soviétiques. Dès le début du conflit, ils transfèrent un maximum de spécialistes et d ‘usines vers l’est. Il faut aussi un appareil logistique important pour approvisionner ces forces et monter ces vastes offensives. Un domaine dans lequel l’Armée rouge va progresser tout au long du conflit par son évolution interne mais aussi grâce à l’aide américaine (camions…). Une évolution qui n’est pas que quantitative, elle est aussi technologique. C’est pour faire face aux exigences nouvelles du combat blindé à l’est que sont développées les armes sophistiquées qui vont faire la réputation de l’armée allemande. Une supériorité technologique qui se veut représentative des industries nazies mais dont la trop grande diversité, les modes de fabrication témoignent aussi du fonctionnement du III° Reich. En face, la standardisation soviétique, permet de produire des matériels en grand nombre, tout en les perfectionnant au fur et à mesure du conflit pour combler une partie du retard.

Une guerre d’anéantissement

Mais c’est aussi pour son étude de nombreux aspects du caractère de guerre d’anéantissement du conflit que l’ouvrage de N Bernard se révèle particulièrement intéressant. Il va plus loin que la simple présentation des idéologies qui s’affronte, même si, bien sûr, il en rappelle les fondements et le degré de pénétration de chaque camp.

Les militaires en sont les premières victimes lors de combat acharnés. Mais aussi parce que c’est à l’Est qu’eurent lieu le plus grand nombre de condamnations et d’exécutions. Le phénomène est connu et massif côté soviétique, il prend de l’ampleur avec les défaites côté allemand. Quant aux prisonniers de guerre leur sort n’est guère enviable quel que soit le camp.

La question de la mise en valeur des territoires occupés par les nazis est étudiée. Les plans nazis de colonisation et les débats qu’ils ont suscités sont évoqués. De même que la triste réalité des conditions de l’occupation allemande dans de nombreuses régions. Le pillage du territoire soviétique atteint des sommets sans équivalents en Europe. Il provoque de véritables désastres économiques et famines qui tuent en masse les civils. Cela vient s’ajouter aux rafles de travailleuses et travailleurs forcés envoyés en Allemagne et aux multiples exactions et crimes commis au nom de la lutte contre les partisans et lors du massacre des communautés juives. L’arrivée de l’Armée rouge entraîne la mise en place d’une politique de terre brûlée par les forces allemandes qui détruisent infrastructures et villages et entraînent avec elles le bétail et les populations civiles pour éviter que cela ne profite aux libérateurs.

Une Armée rouge dont le comportement avec les populations suspectes de collaboration n’a rien d’humain. Et quand elle atteint le territoire allemand, de nombreux soldats laissent libre cours à leur désir de vengeance et de pillage. Le comportement des uns et des autres est d’ailleurs encore l’objet de nombreux enjeux mémoriels comme le rappelle l’auteur dans le dernier chapitre de l’ouvrage.

En conclusion

Un ouvrage qui va faire date. Il comporte une étude détaillée et précise des opérations militaires sur tous les secteurs du front est durant la totalité du conflit. Mais surtout il va plus loin que le simple récit de ces opérations, il s’interroge sur les conditions de leur réalisation. Enfin, en élargissant le champ de son étude aux autres aspects de cette guerre d’anéantissement. Une lecture indispensable pour comprendre cet affrontement et de nombreuses pistes de lecture dans la très complète bibliographie que comprend l’ouvrage.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau