Né en Italie au XVe siècle, le musée constitue « un signe d’appartenance au monde civilisé ». Il est lié au phénomène de « collection », présent dans toutes les sociétés humaines. Le musée consiste à amasser des objets divers, les admirer, selon plusieurs critères : l’ancienneté, la rareté, la beauté. Il faut donc réunir, enrichir, conserver, protéger, classer et exposer. Son rôle éducatif est indéniable.
Le musée donne à voir une collection au public, dont sa nature, son caractère ou sa spécificité couvre tous les champs des possibles. Le plus souvent, une idéologie a précédé sa création.
Son nom, son architecture, ses choix, sa présentation lui confère une identité.
Comme les archives ou les bibliothèques, les musées (comparativement plus récents) assurent la transmission d’un patrimoine, ouverte sur le présent mais aussi orientée vers l’avenir. Ces institutions établissent « un contact visuel avec le lointain », les vestiges du passé.
Tout autant vitrine et miroir des sociétés, « le musée accompagne ce passage d’une société passéiste à une société futurocentrique ». De celles-ci, il exprime les savoirs, les goûts, les passions, les croyances collectives, les modes, les ambitions… à travers les objets que ces institutions exposent par une mise en scène.
Un panorama global
Le musée apparaît dans le contexte de la Renaissance et de l’humanisme, à Rome, avec le dépôt au Capitole d’une collection d’antiques appartenant au pape, et appelée à s’enrichir. Le mot museum est utilisé en 1515. On estime aujourd’hui le nombre de musée dans le monde à 85 000 environ (mais pour les sept huitièmes ils ont moins de cinquante ans d’existence). En 1790, on en compte probablement qu’une centaine. Au départ, réservé à un public très restreint, privilégié et élitiste, il renferme des antiquités romaines qui suscitent l’admiration. Désormais le musée est la propriété collective des citoyens d’un pays et dépasse l’approche seulement esthétique par leurs démarches historique et scientifique. A la veille de la Première Guerre mondiale on en recense autour de 5 000. Aujourd’hui, les États-Unis rassemblent 35 000 musées, la France 6 000.
L’ouvrage cherche à mettre en avant les dynamiques sociales et culturelles qui ont permis la croissance et l’essaimage du musée.
Depuis le XVIIIe siècle, particulièrement en Italie, les trésors liturgiques des églises ont initié la pratique du regard à des œuvres d’art. Ces lieux de dévotion sont semblables à des galeries de peinture que l’on admire. La rivalité entre les princes européens dans la période moderne et leur souci d’affirmer leur puissance les a conduit à édifier des châteaux et palais, à entreprendre des opérations d’urbanisme, à constituer des collections d’œuvres d’art, à créer des bibliothèques publiques, des académies des sciences, et divers institutions y compris muséales.
En France, des musées naissent à la suite des expropriations révolutionnaires par le transfert à L’État des biens de l’Église, de la noblesse, de la dynastie régnante auparavant. L’esprit des Lumières en favorise leur propagation.
L’identité des fondateurs et des propriétaires de musées change au fil du temps. Cela suit une démocratisation des contenus. Les initiatives individuelles prédominent dans le monde anglophone.
Le musée s’est développé pendant presque quatre siècles, seulement en Europe occidentale.
Au cours de l’histoire, la nature des collections présentées au public se diversifie. Des seules antiquités romaines vers 1470, on ajoute vers 1550 l’art, l’histoire naturelle, les curiosités, les raretés, les merveilles, puis en 1790 on voit apparaître l’histoire, la médecine, les techniques, l’armée. Les musées s’étendent aux arts décoratifs vers 1850, à l’ethnographie, l’industrie, et les sciences vers 1870. Enfin, ils s’ouvrent à la vie quotidienne, le travail et les loisirs dans les années 1960. Cette évolution témoigne de l’intérêt grandissant pour les gens comparativement aux objets.
I – Les trois naissances de la collection particulière
L’ère des trésors : les tombeaux, les temples, les palais
Les premiers musées profitent de l’apport du mobilier funéraire des tombeaux, des objets des temples et des palais. La découverte de la tombe de Toutankhamon révèle l’environnement matériel de la vie d’un souverain sacré, entre l’ici-bas et l’au-delà, autrement dit le lien avec le divin. Nous aurions préféré lire en légende de la page 59 « Découverte du trésor de Toutankhamon par Howard Carter en 1922, photographié par Harry Burton » (et non « Découverte du trésor de Toutankhamon par Harry Burton et Howard Carter… »). Le contenu des trésors des cités grecques ne semble pas montrer aux visiteurs du sanctuaire panhellénique (comme à Olympie ou à Delphes). En revanche, dans les temples grecs, les visiteurs peuvent voir les objets conservés (statues, peintures).
Les monarques Attalides manifestent une sensibilité à l’art, en montrant l’intérêt à exposer publiquement des œuvres dans des temples (en tant que spolia notamment). Le trésor est un magasin, un dépôt d’objets cérémoniels, liturgiques ou dévotionnels, mais aussi d’autres éléments diverses souvent précieux.
Les souverains du haut Moyen-Age et des temps modernes se mettent dans les pas d’un Alexandre, qui demeure la personnification légendaire du roi protecteur des arts.
L’auteur justifie la comparaison du temple (dans la période romaine) avec le musée. En premier lieu, des œuvres, propriété d’une institution, sont ouvertes au public. Toutefois l’exposition d’objets au titre de butin fait nuancer ce point de vue, compte tenu du sens moderne que l’on donne à un musée. De même les collections publiques romaines, figées, étaient orientées vers l’éternité, participant de l’échange avec l’au-delà (l’hommage aux dieux). Elles constituent davantage des trésors. Elles ne sont pas ordonnées dans l’espace du temple, elles participent seulement au culte.
La Chine et Rome : la double origine de la collection particulière
La collection particulière est née presque simultanément au Ier siècle avant JC en Chine (à l’époque de l’empereur Wudi, de la dynastie Han) et à Rome.
Les trésors chrétiens : l’or et la grâce
Un chapitre est bien évidemment consacré aux trésors chrétiens. Les objets circulent au gré des dons, des héritages, des guerres. Avec la prise de Constantinople par les croisés en 1204, on assiste au pillage d’une partie du trésor impérial, transféré en Occident.
Christianisation (relique des saints) et romanisation (remploi de camées antiques, présence d’ivoire) caractérisent les trésors des rois barbares. Les trésors ecclésiastiques (dans les monastères, les cathédrales, les palais d’évêques) sont à leur apogée dans la Chrétienté latine du Xe au XVe siècle. Mais ils peuvent tout autant servir au culte qu’à la charité, à l’ostentation ou à la gestion des biens (moyen de paiement). Sous l’impulsion de Suger les objets s’amassent.
Le trésor impérial de Constantinople a des fonctions décorative, liturgique et cérémonielle. Il comprend des vêtements, des regalia, des joyaux, des icônes, des mosaïques, des sculptures, des tissus décoratifs. L’église de la Vierge-du-Phare, au sein du complexe palatial de Bucoléon, renferme le cœur du trésor du basileus avec les reliques du Christ. Le Mandylion (en tissu) et le Keramion (céramique), les deux images acheiropoïètes, sont suspendues au plafond par des chaînes d’or.
« Le roi des reliques » (expression de Jacques Le Goff) achète à grand frais le trésor le plus sacré de la Chrétienté. L’église du Phare est vidée de ses reliques hautement précieuses. La dactyliothèque impériale, composée de pierres gravées antiques, camées et intailles, fait l’objet aussi d’un monnayage, par Frédéric II Hohenstaufen notamment.
La conservation et l’exposition des reliques (les rendre visibles) représentent aussi une préoccupation des autorités ecclésiastiques. Elles découlent de l’essor des pèlerinages.
La renaissance des collections particulières
On doit à Pétrarque et à Charles V le retour de la collection particulière, après une parenthèse d’un millénaire. Réparti dans les différentes résidences royales, le trésor de Charles V a considérablement augmenté. L’inventaire de 1379 (achevé l’année suivante) compte 3 906 numéros, alors que celui de 1363 en dénombre 964. Aux objets cérémoniel, liturgique, décoratif viennent s’ajouter des instruments de mesure (boussoles, astrolabes, horloges), des ivoires, des camées antiques. Les cours princières manifestent de la curiosité, le désir de savoir et de la connaissance de l’avenir (par l’astrologie). On peut s’interroger sur l’intérêt du roi pour les 70 camées qu’il collectionne. Est-ce par sensibilité artistique ou pour leurs vertus talismaniques ?
Par ailleurs la riche bibliothèque de Charles V souligne son goût pour les manuscrits. Jean, duc de Berry est aussi un collectionneur avisé.
Au XIVe siècle, Pétrarque lit, édite et annote les textes des auteurs anciens : Tite-Live, Pline l’Ancien, Cicéron. Le culte de Rome est à l’honneur. Il collectionne les monnaies anciennes, mais aussi quelques tableaux (Giotto, Simone Martini).
L’envergure de la collection de manuscrits (autour de 800 exemplaires) du florentin Niccolò Niccoli marque le pas pour une personne privée. Dans la première moitié du XVe siècle, à Florence, des humanistes forment leur collection. Ils sont une petite dizaine, comme à Venise. De manière plus pérenne, dans cette période influencée par les humanistes, des princes collectionneurs enrichissent leurs collections à chaque génération (avant de finir dans les musées à partir du XVIIIe siècle). Ce sont les Gonzague (de Mantoue), Este (de Ferrare). Rivalité et imitation se combinent entre ces familles. Ces cours princières cherchent à rayonner par les arts, à l’image des Médicis.
Laurent le Magnifique fait graver sur des gemmes et vases antiques LAU.R.MED (Laurentius Rex Mediceus), soulignant ainsi le lien du collectionneur avec ses objets, manière de se les approprier et de les intégrer de façon indélébile à sa personne.
A partir de la fin du XVe siècle, guidé par la recherche de la gloire personnelle, l’engouement des princes, papes et cardinaux pour les arts et les lettres, et qui font la promotion des artistes, sert de modèle au reste de l’Europe. Par ses choix, la collection révèle la personnalité du collectionneur mécène, visible dans le studiolo, où se mêlent objets et livres. Par cette pratique, le plus fortuné des condottiere d’Italie, Federico da Montefeltro, assure sa gloire. Le tableau de Carpaccio, La Vision de saint Augustin, vers 1502-1507, constitue la première représentation picturale d’un intérieur de collectionneur d’antiques.
II – Le musée, une institution italienne
La réactualisation des antiques
Des statues anciennes en bronze, venant du Latran, sont installées le 15 décembre 1471 dans le palais des Conservateurs au Capitole à Rome. La collection publique initiée par le pape Sixte IV intègre la Louve, la tête colossale de Constantin, le Tireur d’épine. Ces œuvres sont mises en valeur pour leur beauté et pour le souvenir de la grandeur romaine. Le caractère païen des antiques s’est estompé. La collection capitoline qui s’étoffe au fil du temps devient musée en 1734.
L’aménagement de la cour du Belvédère permet d’accueillir à l’époque du pape Jules II d’autres statues, en premier lieu le Laocoon, en 1506. Le charme de leur mise en scène et la beauté des œuvres émerveillent déjà les visiteurs. Entre 1550 et 1650, cet espace passe d’un lieu de plaisir (locus amoenus) à une collection de statues antiques (antiquario delle statue antiche, selon l’expression de Vasari), placées dans des niches protégées par de lourdes portes en bois.
Dès 1523, Paolo Giovio (médecin et évêque) parle pour la première fois de pubblico Museo, en évoquant la collection de sa villa sur les bords du lac de Côme, temple des Muses, composée de portraits d’hommes illustres, sans doute en lien avec l’intérêt pour la théorie des tempéraments et la physiognomonie. L’idée précède la chose : Giovio veut concevoir un bâtiment décoré et rempli de collections, traitées comme une fin en soi. Commencée en 1538, la villa est définitivement aménagée en 1543.
Chaque pièce portera le nom du sujet des fresques décoratives qui s’y trouvent. Le musée de Giovio n’est pas un studiolo car il est ouvert au plaisir du public. Autre nouveauté pour l’époque, son testament prévoit que sa collection soit préservée en l’état (mais elle sera quelques décennies plus tard finalement dispersée). Giovio utilise donc le mot museo comme un nom propre pour désigner l’édifice dans lequel il a déployé sa collection.
L’usage de ce mot va progressivement renvoyer à une collection devenue publique après la mort de son propriétaire. Il désigne alors le fondateur de la collection, une institution. Dans le courant du XVIIIe siècle, on nomme ainsi un lieu (exemples Museo Capitolino, Museum Florentinum).
L’auteur explique le passage du mot musée dans les langues vernaculaires : d’abord le castillan, puis l’anglais et enfin le français. Dans l’Angleterre du XVIIe siècle, il est pris dans le sens de lieu d’étude. En 1683 ouvre l’Ashmolean Museum à Oxford. Le British Museum est crée au milieu du XVIIIe siècle.
Au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, les premiers musées d’art sont créés à Florence, Venise et Milan. Ces établissements, conçus d’emblée comme des collections publiques, portent des noms différents selon les cités : Galleria (les Offices à Florence), Statuario (vestibule de la bibliothèque Marcienne de Venise), Pinacoteca (dans la bibliothèque Ambroisienne de Milan). Ils visent à exposer et à transmettre les œuvres à la plus lointaine postérité. Cependant ces trois musées ont des contenus qui diffèrent.
Eclipse et retour des antiques
Avec la création des premiers jardins botaniques, apparaît un nouveau type de collection (fin XVIe siècle). A la différence d’un jardin d’agrément, il s’agit ici de conserver les espèces qu’on cultive, sans prendre en compte leurs qualités décoratives.
Aldovrandi qui avait crée un jardin botanique à Bologne en 1568, lègue son museo aux autorités de la ville : l’herbier et les peintures, la bibliothèque, la collection de productions naturelles.
Le jésuite Kircher constitue à Rome une collection encyclopédique à visée apologétique, sorte de Wunderkammer (chambre des merveilles), qui rassemble antiquités et curiosités.
Au XVIIIe siècle l’Antiquité retrouve un regain d’intérêt, avec une approche plus ordonnée et méthodique des collections. Des initiatives comme celles du marquis Scipione Maffei (à Vérone) vont dans ce sens. Il y organise un premier musée épigraphique. Sous le pontificat de Clément XI (1700-1721), Rome redevient le principal centre de renouvellement du regard posé sur les vestiges de l’Antiquité. Dans cette dynamique, des musées s’ouvrent dans le reste de l’Italie. Le musée du Capitole, réaménagé et enrichi par le pape Clément XII (avec les acquisitions des antiques du cardinal Albani), s’ouvre en 1734. Dès lors, il représente le plus grand musée d’art en Europe, à côté de la galerie des Offices.
Le triomphe de l’Art antique
La passion pour l’antique connaît une nouvelle impulsion avec la découverte d’Herculanum. Naples est à l’honneur et attire les voyageurs. Le musée Portici (Herculanense Museum ouvert en 1758), situé dans le palais d’été de Charles III de Bourbon reçoit les objets provenant des fouilles.
Le pape Clément XIV décide d’installer au Vatican un musée d’antiquités. Désormais les antiques et les objets de culte sont admirés pour leur beauté, leur perfection, ce qui est en rupture avec l’esprit de la Contre-Réforme (temple du beau humain, sensuel, et païen). On adopte les prescriptions de Winckelmann dans la Villa Albani : les œuvres sont distribuées dans les salles en groupes thématiques. L’architecture et la décoration doivent mettre en valeur les objets. Visconti engage une politique d’acquisition à grande échelle pour le Museo Pio-Clementino. Il sera toutefois impossible d’égaler les chefs-d’œuvre de la cour octogonale (L’Apollon du Belvédère, le Lacoon, l’Antinoüs).
Dans l’esprit des Lumières, la Galerie des Offices est dorénavant, comme le prévoit le nouveau règlement, ouverte de façon régulière (1769), au public (selon les critères de l’Ancien Régime, excluant les travailleurs manuels et les domestiques). Le portier perçoit de chaque visiteur un paiement (la mancia) pour admirer les œuvres dans les corridors. Ce régime de visite est aboli en 1784 et remplacé par l’achat d’un billet pour déambuler dans les cabinets.
Durant cette période, on compte entre 1 600 et 2 500 personnes par an, ce qui fait des Offices une institution réservée à une élite culturelle. En 1793, la direction de la Galerie est confiée à Puccini, qui applique les idées de Luigi Lanzi en modifiant l’accrochage des tableaux par écoles et en y ajoutant des cartels pour chacun.
Les Offices sont devenus durant cette période un musée d’art des plus novateurs tant pour l’accueil du public que pour l’exposition des œuvres.
III – La traversée des Alpes (XVIe-XVIIIe siècle)
Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour commencer à voir se multiplier les musées à l’extérieur de l’Italie. En effet, les conjonctures politique et économique, les guerres liées à la Réforme, la diversité des aires culturelles et les différences de goûts en Europe ne sont pas favorables à l’établissement de musées au nord des Alpes au XVIe et XVIIe siècles.
Tableaux et antiques
Krzysztof Pomian reparle des grands collectionneurs des XIV-XVe siècles : Charles V, Jean de Berry et Philippe le Hardi duc de Bourgogne. Philippe le Bon possède 864 manuscrits enluminés en 1467. Parfois l’image l’emporte sur le texte. Ces livres richement décorés sont donc admirés comme des œuvres d’art à part entière. Cette valeur esthétique va dès lors s’appliquer aussi aux tableaux de chevalet, avec l’utilisation de la peinture à l’huile qui rivalise avec les miniatures dans la précision du rendu des objets et des matières.
La cour de Bourgogne, la maison de Habsbourg (Charles Quint, Marguerite d’Autriche, Philippe II) se passionne pour les collections.
A défaut de posséder les originaux, François Ier fait exécuter des copies d’antiques. Le Primatice est envoyé en Italie à ces fins. Le choix du bronze pour réaliser les copies traduit un enjeu politique, car le roi se voit en nouveau Jules César après Marignan. Après François Ier, ses successeurs ne semblent guère passionnés par l’art.
L’auteur affirme que Philippe II d’Espagne est le plus grand collectionneur de son temps. Le roi apprécie autant la peinture flamande (Bosch particulièrement) que la peinture italienne (vénitienne surtout) avec un goût prononcé pour l’art sacré, à la différence de Rodolphe II qui montre une préférence pour l’art profane.
Concurrent des Habsbourg pour la dignité impériale, Albert V Wittelsbach, duc de Bavière collectionne les antiques. Il fait ériger à Munich l’Antiquarium, qui représente le premier édifice construit au nord des Alpes pour abriter une collection de sculptures antiques. L’exposition des œuvres a pour objectif de démontrer une généalogie qui s’inscrit dans l’histoire des empereurs romains.
La guerre de Trente Ans a conduit à une redistribution des œuvres d’art en Europe.
Les Kunstkammern
Un développement est fait sur les Kunstkammern (on parle aussi de Wunderkammer), un nouveau type de collection particulière, commencé dans l’espace germanique au milieu du XVIe siècle. Il correspond à une composante du comportement des élites (roi, prince, courtisan de haut rang), dont l’objectif est d’éblouir, étonner et divertir. On fait étalage de sa richesse (par l’accumulation), de son influence, de ses intérêts et de ses goûts. Les Kunstkammern seront toutes démembrées au XVIIIe ou XIXe siècle.
Dans le contexte de l’essor des Kunstkammern, Samuel Quiccheberg, qui a été au service d’Albert V, publie en 1565 un opuscule qui pourrait s’apparenter à un traité des musées (avant l’heure), en proposant un classement. On peut considérer qu’il est le père de la muséologie.
Quelques exemples de Kunstkammer, dans les cours catholiques ou protestantes, sont évoqués : celle de Ferdinand II de Tyrol, au château d’Ambras, non loin d’Innsbruck, à finalité ludique et apologétique (il est un champion de la Contre-Réforme). Celle de Rodolphe II à Prague a une visée encyclopédique. A Dresde, la fameuse Grünes Gewölbe (la Voûte Verte) témoigne de cette façon de collectionner.
Histoire naturelle : du cabinet au musée
A l’exception de l’Italie, le musée d’histoire naturelle est antérieur au musée d’art.
Au moment du Siècle d’or des Provinces-Unies, les cabinets d’histoire naturelle sont nombreux, sous l’action de naturalistes, comme Rumphius. Ainsi, les Hollandais montrent de l’intérêt pour les productions exotiques rapportées en Europe par les compagnies commerciales. L’Angleterre puis la France suivent cette mode.
Le début des musées d’histoire naturelle apparaît au XVIIIe siècle. L’Ashmolean Museum d’Oxford est le premier cabinet d’histoire naturelle (hors d’Italie) transformé en musée (avec la donation d’Elias Ashmole en 1683), car il correspond bien à la définition donnée par l’auteur : « une collection appartenant à une entité publique, déployée dans un lieu sécularisé et ouverte régulièrement aux visiteurs ».
Sous l’impulsion de Daubenton (et la direction de Buffon), le Cabinet du roi au Jardin des Plantes devient le premier musée à Paris. On s’attache à mettre en ordre les collections.
Le British Museum a été crée en 1753 à partir de la collection de Sir Hans Sloane. D’autres villes suivront cette promotion de l’histoire naturelle : Vienne, Madrid, Florence, Dresde.
Vers le musée d’art
Le dernier chapitre revient sur le contexte de la constitution des collections, de l’évolution de leur contenu, du changement de propriétaire. L’auteur aborde le rôle politique et social de l’art dans les milieux aristocratiques et royaux, ainsi que la place qu’il représente en tant que nouvelle occupation de la noblesse, nécessaire pour gagner en dignité et être un honnête homme. Cela se traduit par l’acquisition de connaissances en rapport avec les œuvres, la capacité à en parler de façon précise, la formation d’un cabinet, la fréquentation des artistes.
La passion de collectionner les tableaux et les antiques passe par l’évocation de personnalités telles que Charles Ier, les duc de Hamilton et de Buckingham, de Thomas Howard (lord Arundel). Concernant la France, on mentionne bien évidemment Richelieu, Mazarin, Colbert, et Louis XIV. Leurs apports ont servi à constituer le fonds des collections publiques de nos grands musées européens.
Les politiques d’acquisition des monarques au XVIIIe siècle sont actives. Pour exemple, Frédéric II roi de Prusse achète l’imposante et renommée collection du cardinal de Polignac en 1742, installée plus tard à Sans-Souci.
De manière générale, à l’époque des Lumières, la fonction esthétique l’emporte sur la fonction décorative. Les catalogues de tableaux et d’antiques des collections princières se multiplient, particulièrement en Allemagne. Inspiré par le modèle français, où le souverain éclairé s’affirme comme le protecteur des arts et des sciences, les collections se déploient désormais dans des galeries à l’extérieur des résidences (Dresde, Mannheim, Düsseldorf). Dicté par l’ambition d’avoir un monument à sa gloire, Frédéric II, landgrave de Hesse-Kassel, fait édifier en 1779 son vaste musée, le Fridericianum (à Kassel). Désormais, le public admis aux visites s’élargit.
Une réflexion sur l’accrochage des tableaux est aussi entreprise. Jusque vers 1750, le « principe d’exclusion » (choix des tableaux à exposer selon leur qualité et leur état) et le principe esthétique prédominent. Mais le principe chronologique (par écoles, pays voire villes) s’impose peu à peu. Christian von Mechel, chargé par Joseph II d’organiser les collections des Habsbourg, propose cette innovation (et rupture) à l’occasion de l’ouverture en 1783, du musée impérial de Vienne, au palais du Belvédère. Toutefois le choix du parcours chronologique suscite des résistances et des critiques jusqu’au milieu du XIXe siècle, au moins en France.
Avant la Révolution française, le musée d’art, encore trop réservé à une élite instruite, n’est pas une institution présente dans toutes les capitales européennes, contrairement au musée d’histoire naturelle qui par ses finalités utilitaire, cognitive, apologétique et ludique, touche un public plus large.
A la fin de cette publication, on trouvera une bibliographie différente et adaptée pour chacune des trois grandes parties, mais aussi un index des noms, un autre des lieux, et enfin une table bien renseignée des 120 illustrations.
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Cet ouvrage remonte aux origines de la passion des hommes pour l’art et les sciences de la nature. Il offre un voyage à travers les siècles et l’Europe culturelle, et indirectement sociale et politique. Autant d’amateurs, de connaisseurs (les naturalistes par exemple), et de collectionneurs qui par leur fascination pour les antiquités et leur enthousiasme pour la peinture, font naître des lieux pour conserver et exposer les œuvres.
L’utilisation du mot musée à l’époque moderne n’est pas aisée. Certains critères font hésiter à appliquer ce vocabulaire. La notion de public/privé, à propos des collections, revient souvent à nuancer le discours pour la période étudiée.
Ce livre permet de prendre conscience du long cheminement, jalonné de curiosité, de patience, de rupture, de goût, qui a conduit à l’élaboration des musées que nous fréquentons.
A l’image d’une collection muséale qui s’enrichit, nous attendons avec impatience la publication du second volume.