Émeline Bailly est docteure en urbanisme. Ses recherches portent sur la ville écologique et sensible. Dorothée Marchand est docteure en psychologie sociale et environnementale. Ses recherches portent sur les risques émergents, la qualité de vie et le bien-être. Les deux autrices ont déjà eu l’occasion de publier ensemble un ouvrage en 2019, chez Mardaga, Penser la qualité.

            Le présent ouvrage est une analyse psycho-urbaine des implications du numérique sur la qualité urbaine. Il est censé mettre en valeur les résultats de la recherche NumCes (« Numérique et Création des Espaces Urbaines »), menée en 2016-2019 dans le cadre du programme Modeval Urba ADEME. La recherche a spécialement questionné la médiatisation opérée par les objets numériques dans la relation à l’échelle d’un espace urbain « ordinaire » : le quartier Robespierre de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Cette étude a porté sur les attitudes et les pratiques urbaines du numérique, ainsi que sur leurs interrelations avec la création des lieux et des territoires urbains.

            La recherche NumCes s’est déclinée en six étapes croisant plusieurs protocoles méthodologiques. Les quatre premières se sont intéressées aux relations entre l’expérience numérique des citadins et l’espace urbain. Les deux dernières ont reposé sur des entretiens avec une cohorte de personnes pendant et après une mise en situation d’expérimentation numérique urbaine avec l’outil numérique DIY (Do It Yourself).

            Ce rapport d’expérimentation est divisé en trois parties qui posent les objectifs de la recherche : le numérique modifie-t-il notre rapport au lieu ? La ville numérique est-elle si prometteuse ? La ville numérique améliore-t-elle la qualité de vie urbaine ? Dans un premier temps, donc, les enquêteurs ont voulu identifier en quoi les usages numériques ont un impact sur les comportements dans la ville et sur son évolution et montrer en quoi ils sont susceptibles de faire évoluer les pratiques des lieux et le rapport à celle-ci.  Ainsi

            Dans un deuxième temps, il s’agissait de savoir si la ville numérique améliorait la qualité de la vie urbaine. Plusieurs questions sont alors posées aux objets connectés (ubimédias) et à leurs impacts sur les relations proxémiques que les usagers de la ville peuvent avoir avec les lieux. La première observation comportementale montre que l’usage du smartphone permet de réguler l’espace personnel des individus. Par exemple, en situation de surdensité ou de confinement, les individus évitaient les regards, aujourd’hui ils regardent leur téléphone.

            De manière générale, les études montrent que les pratiques numériques recomposent les règles de proxémie proposées par les modèles classiques liés au code des distances. Les relations avec les lieux n’existent plus.  Ainsi, la ville dotée d’attributs numériques introduit des changements majeurs qui engagent le sens des lieux, des territoires et des métropoles, le vécu et l’expérience de nos milieux de vie.

            Dans un dernier temps, la ville numérique est-elle compatible avec une certaine de qualité urbaine ? La réponse semble plutôt tendre vers la négative. Convaincues de l’urgence de reconnecter les citadins à la nature et de créer de nouvelles alliances urbaines, elles ont appelé, avec d’autres chercheurs du Groupe d’urbanisme écologique, à ouvrir les parcs pendant le confinement. La naturalité des villes crée des ambiances plus calmes, plus ventilées, rafraîchies et apaisées. La nature ouvre sur une possible ville plus respectueuse de l’écologie et du monde sensible urbain.

            L’ouvrage d’Émeline Bailly et de Dorothée Marchand est un ouvrage très intéressant qui vient interroger les caractéristiques d’un habiter possible futur dans lequel l’individu vivrait la ville de manière connectée. Les autrices en relèvent les risques, essentiellement ceux d’une déconnexion par rapport aux lieux urbains, sorte de proxémie inversée. Néanmoins, l’ouvrage souffre par un trop systématique recours aux références, aux rappels de travaux de chercheurs. Les résultats de la recherche NumCes s’en trouvent, de fait, totalement noyés dans un texte qui tend à ressembler à un abrégé des travaux de divers anthropologues, psychologues, géographes ou autres scientifiques qui ont, par ailleurs, déjà publiés leurs propres travaux dans diverses éditions.