Jean-Claude Servais est un amoureux de la nature qui en 1994 avec son comparse Émile Jadoul lançait la collection « La mémoire des arbres ». Il publie Le loup m’a dit d’abord en 2 volumes colorisés par Raives, cette histoire est ici dans cette version intégrale en noir & blanc d’une très grande qualité graphique.

Ce conte au message écologiste interroge les rapports de l’homme avec le loup. C’est un plaidoyer pour une relation apaisée de l’homme avec la nature, servi par une mise en image exceptionnelle.

Le récit entrelace l’intrigue : l’histoire d’une vie, celle d’Ambre et l’Histoire de la préhistoire à nos jours. « Nous partageons la même histoire, mes amis loups, et cela depuis la nuit des temps. Vous nous avez appris bien des choses jusqu’à ce que nos chemins se séparent ». (p. 7) C’est par ces mots de la Loba qui rêve que s’ouvre cet entrelacs qui mêle la vie des personnages et l’histoire des hommes.

La vie d’Ambre

L’héroïne est d’abord une jeune femme qui, au début du XXe siècle, peut-être, part en ville. La Première guerre ne lui vole pas Louis avec qui elle se marie… On va suivre ses aventures, le drame de sa vie : un viol par un ancien ami d’enfance, sa rencontre avec une vieille chamane La Loba et sa vie de recluse heureuse au fond des bois.

Bien des années plus tard, elle rencontre une jeune géologue qui va l’aider à faire « renaître » une louve. Le combat de Lucien, le fils d’Ambre, pour protéger son village lui permet de renouer le contact avec sa vieille mère (elle doit être très très âgée si on suit les époques évoquées).

Au fil du temps Ambre incarne l’affirmation d’une indépendance féminine menacée par les hommes et proche de la nature. Il est question d’équilibre écologique et de Greta Thunberg.

L’histoire des relations homme- Loup

Les hommes de la préhistoire ont observé les techniques de chasse du loup, les ont imitées, s’en sont fait des alliés. Ils les ont domestiqués pour se protéger des ours : un temps d’harmonie, d’équilibre.

Avec les défrichements du Néolithique, cette bonne entente se fissure. Au Moyen âge les grands défrichements créent un fossé qui ne fera que s’agrandir avec la guerre, les loups mangent les corps après la bataille. Leur « sauvagerie » en font un ennemi désigné par l’Église comme une incarnation du malin. A l’époque moderneVoir Le loup en Normandie, Jean-Marc Moriceau, OREP Editions, 2019 et Histoire du méchant loup, 3000 attaques sur l’homme en France. XVe – XXe siècle, Jean-Marc Moriceau, Éditions Fayard, 2008 se forge l’image du loup diabolique du Petit chaperon rouge à la bête du Gévaudan.

A partir de la révolution industrielle, symbolisée ici par le développement du chemin de fer, les relations de l’homme et la nature change profondément. La brutalité est incarnée par les deux guerres mondiales ; on peut noter quand une ou deux pages l’auteur caractérise une période.

Après 1945 on voit se développer la société de consommation, les premières catastrophes écologiques avec le naufrage du Torrey canyon, Tchernobyl mais aussi les premiers combats écologiques : Rachel Carson, Greenpeace. Un monde où les hommes ont oublié la nature, pas tous.

Les deux récits se télescopent quand l’entreprise de Charles, le violeur veut implanter des éoliennes contre lesquelles se bat Lucien le fils d’Ambre. Quand, aussi la louve d’Ambre est accusée de tuer les troupeaux et est abattueVoir : Repenser le sauvage grâce au retour du loup, les sciences humaines interpellées, Jean-Marc Moriceau et Philippe Madeline (direction), Édition bibliothèque du pôle rural, Numéro hors série des presses universitaires de Caen, 2010. Le final est toutefois un peu mélodramatique quand la jeune géologue s’avère être la petite fille d’Ambre…

La qualité du dessin permet d’oublier les petites imperfections du scénario. On sent chez l’auteur un amour fort pour la nature qu’il exprime également dans les textes qu’il a réunis et qui accompagnent la BD en fin de volume.

A feuilleter sur le site de l’éditeur Dupuis