La Rose blanche (Die Weiße Rose) incarne la résistance allemande face au nazisme. Les éditions Plein Vent nous propose de revivre l’histoire de ce mouvement défiant un régime totalitaire. Dès les premières pages, on apprécie la qualité graphique du dessin, qui traduit bien les actions et les émotions, et s’accorde parfaitement avec les dialogues et les situations. La mise en couleur s’avère particulièrement efficace, avec une palette souvent resserrée, plutôt aux tons froids, et une tendance à l’utilisation, çà et là, de camaïeux.

Le récit débute à l’université de Munich en juin 1942 quand Sophie Scholl ramasse un tract dénonçant le gouvernement nazi. De retour à son appartement, elle reproche à son frère d’en être l’auteur et s’inquiète du risque encouru d’un tel agissement. Hans se remémore la fierté d’avoir appartenu jadis aux Hitlerjugend avant d’en dénoncer la violence et l’idéal qu’elles incarnent.


La rencontre avec deux intellectuels catholiques, Carl Muth et Théodor Haeckler, va guider et inspirer la réflexion de ces deux étudiants. Au contact des écrits de ces professeurs, ils adoptent les idées pacifiques et le rejet d’une conception de l’inégalité des races. Ils sont persuadés de l’efficacité de la diffusion de leurs idées par des tracts, comme ceux qui ont été distribués dans les boîtes aux lettres pour faire connaître les sermons de l’évêque de Munster, Monseigneur von Galen, qui condamnait les euthanasies commises sur les personnes handicapées. Enfin, les cours de philosophie du professeur Kurt Huber alimentent aussi les discussions et la réflexion.

Hans présente à sa sœur trois amis, étudiants en médecine, avec lesquels il met au point des textes reproduits sur une ronéotypeuse. Ils élaborent ainsi un nouveau tract. Plusieurs sujets et thématiques sont sur la table : les crimes de masse, et la culpabilité des Allemands face à ces massacres, la manière la plus efficace pour lutter (le sabotage ?), les crimes contre les Juifs, la résistance pour anéantir le national-socialisme… Les propositions ne manquent pas et la réflexion est riche. Les textes s’ébauchent : « Nous essayons de participer au renouveau de l’esprit allemand. Mais ce renouveau doit être précédé d’une reconnaissance effective de la faute dont le peuple allemand s’est chargé ».

Entre l’écriture du texte, la matrice à taper à la machine à écrire, la reproduction des tracts, leur mise sous enveloppe, la sélection des adresses dans l’annuaire de l’université, et enfin le dépôt dans des boîtes aux lettres, une répartition des tâches s’organise. Il s’agit de toucher des intellectuels capables de s’engager, et qui à leur tour relayeront leur diffusion.

En juillet 1942, les étudiants en médecine de l’université de Munich sont envoyés « en stage » sur le front de l’Est en Russie. Cela renforce leur conviction du caractère criminel du régime nazi. De retour de cette expérience, les membres de la Rose blanche cherchent à accroître leur influence, en créant des cellules de résistance dans d’autres villes. L’action s’amplifie. En février 1943, 3 000 tracts sont distribués. Aussi une nouvelle forme d’intervention voit le jour. De grandes inscriptions, « liberté », « A bas Hitler », sont lisibles au sol et sur les murs à l’entrée de l’université. Parallèlement, dans le contexte de la défaite de Stalingrad, la rédaction d’un nouveau tract est élaborée : « Tous les Allemands seront sacrifiés au messager de la haine et de la volonté de destruction. Assez ! Hitler et son régime doivent tomber pour que l’Allemagne continue à vivre ».

Le 18 février 1943, Hans et Sophie Scholl décident de déposer des piles de tracts en différents lieux de l’université, essentiellement devant les salles. Alors qu’ils parcourent à la hâte les escaliers et les couloirs avant la fin des cours, ils sont interpellés par le concierge, arrêtés et immédiatement transférés au quartier général de la Gestapo. Débutent alors les interrogatoires séparés des deux étudiants. Après avoir tenté de nier, Hans déclare être le seul responsable, l’instigateur du mouvement, et qu’il a entraîné sa sœur. De son côté, Sophie nie aussi, jusqu’à ce que des preuves à charge, trouvées dans son appartement, lui soient présentées. Elle assume désormais avec fierté ses actes.
Après ces trois jours d’interrogatoires, la chancellerie est informée. Roland Freisler venu de Berlin se rend à Munich pour présider le tribunal populaire (Volksgerichtshof), qui traite spécifiquement des affaires politiques. Incarnant la terreur judiciaire nazie, ce magistrat sera en charge notamment du procès des conjurés de l’attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler.
Les pages qui décrivent le procès montrent un juge vindicatif, d’une autorité irréfragable, dans une salle tendue de bannières de croix gammées et remplie d’uniformes vert-de-gris. Christoph Probst, un des membres de la Rose blanche, est jugé en même temps. Ce dernier demande à vivre pour élever ses trois enfants. Accusés de haute trahison, de démoralisation des forces militaires, d’appel à la résistance passive, de complicité avec l’ennemi, ils sont finalement condamnés à mort. Christoph demande le baptême. Hans et Sophie revoient leurs parents une dernière fois dans leur cellule, avant leur exécution.
Par la suite, quatorze autres membres seront arrêtés et jugés dans un deuxième procès de la Rose blanche. Les deux autres étudiants en médecine, amis des Scholl, Alexandre Schmorell et Willy Graf, ainsi que le professeur Kurt Huber seront à leur tour guillotinés.
En avril 1943, le New-York Times reproduit le texte du dernier et sixième tract. Parvenus en Angleterre, les tracts de la Rose blanche sont aussi repris pour être largués au-dessus de l’Allemagne.
Cette bande dessinée s’achève par les portraits des six grandes figures de ce mouvement de résistance, « morts pour l’honneur de l’Allemagne ».

La fraternité et l’engagement de ce groupe d’étudiants constituent la trame du récit. La détermination en même temps que la prudence de Hans Scholl sont mis en avant. Le scénariste montre le souci du frère à ne pas exposer sa sœur à des dangers. L’enthousiasme de ces jeunes est clairement exprimé. On comprend nettement que la Rose blanche constitue une œuvre collective d’un petit groupe, d’une jeunesse qui cherche à construire une « nouvelle Europe spirituelle ». L’espoir qu’une conscience collective émerge pour mettre un terme au régime nazi.
Au final, on découvre un bel album sans emphase dans le graphisme, qui offre au fil du récit de nombreux exemples de textes de tracts. On perçoit bien ce qui représente l’acte de résistance : convaincre, refuser, informer, dénoncer, recruter. On relèvera par exemple une jolie planche, pleine page, sans texte, qui montre les deux étudiants observant les tracts lâchés depuis un étage des bâtiments de l’université, et s’envolant dans toutes les directions. Cette image résume le propos de cette bande dessinée, d’une jeunesse résistante, pacifique, courageuse, digne et portée par des convictions chrétiennes fortes, face à l’oppression nazie.