Réunis dans un format très accessible, les travaux qui ont conclu les états généraux de la sécurité à l’école qui se sont tenus en avril 2010 permettent de faire le point sur une situation dont, c’est le moins que l’on puisse en dire, les acteurs principaux ne cessent de prétendre qu’elle se dégrade.
Ces travaux qui ont été conduits par le ministère de l’éducation nationale, qui a organisé pour ce faire un conseil scientifique regroupant des spécialistes internationaux de la question, semblent avoir abouti, sinon sur des solutions, mais au moins sur un diagnostic précis.
Les différentes enquêtes présentées dans ce recueil d’articles aboutissent toutes à la conclusion suivante : globalement, les incidents graves restent stables, mais c’est plutôt le ressenti de cette violence, le fait qu’elle apparaisse de plus en plus insupportable, qui semble avoir augmenté.
La violence au quotidien est une réalité, elle est présente dans les relations entre enseignants et enseignés, elle empoisonne les relations entre les parents et l’institution scolaire, elle est devenue endémique entre élèves eux-mêmes, et débouche parfois sur des tragédies.

À quoi ça sert ?

Après avoir lu cette série d’articles, précieuse car elle nous donne à connaître l’état des lieux dans des pays proches ou lointains, comme les États-Unis ou le Canada, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise.
Est-il forcément besoin d’une réunion largement médiatisée pour se rendre compte que les violences scolaires ont une origine exogène et endogène par rapport à l’institution ?
Il apparaît évident que les facteurs socio-économiques interviennent largement dans le développement de la violence scolaire. Les familles désorganisées, la violence des quartiers entourant l’école, les difficultés économiques largement ressenties par les enfants eux-mêmes, peuvent expliquer des attitudes de rejet, parfois violent, de l’institution et de ses représentants.
L’affirmation des individus jeunes, par rapport à leur entourage, explique aussi les attitudes violentes, cette fois-ci entre les élèves eux-mêmes.
Mais la violence à l’école est surtout présentée, comme une violence venue de l’extérieur, qui fait irruption dans une école transformée en citadelle assiégée.

Violences endogènes et exogènes

Mais pour certains de ces chercheurs, en sciences de l’éducation ou encore en sociologie, les causes de cette violence scolaire seraient également endogènes. Le fonctionnement de l’institution elle-même parce que pratiquant en son sein l’exclusion sociale serait générateur de violence. Pour le sociologue François Dubet, la violence à l’absentéisme serait un des révélateurs de la crise du modèle méritocratique, celui sur lequel repose, qu’on le veuille ou non, le pacte républicain.
Au passage, on ne peut que rejoindre le sociologue dans la pertinence de son observation à propos du discours adressé aux jeunes des quartiers difficiles. Pour avoir assisté en direct à la mise en oeuvre de la politique de l’internat d’excellence, le dernier gadget lancé par le chargé de communication faisant office de ministre de l’éducation nationale, on ne peut que constater les dégâts que cette politique à courte vue pourra entraîner. Le discours ministériel explique aux bons élèves vertueux, originaire des quartiers difficiles, qu’ils seront soutenus et aidés parce qu’ils le méritent, tandis que pour les autres le chômage et la délinquance, celle-ci étant bien entendu réprimée avec fermeté, sont le seul horizon. Entre le bon pauvre et ceux qui appartiennent et appartiendront toujours à la nouvelle classe dangereuse, il faut que le fossé se creuse, et que les premiers restent pour les seconds des exemples suffisamment inaccessibles pour ne pas remettre en cause la classe dominante. On pourrait croire à lire ces lignes à une réédition du « talon de fer », dans lequel Jack London décrivait : « le peuple de l’abîme ».

Internat d’excellence et peuple de l’abîme

Et ce peuple de l’abîme, il faut, face à lui et à la menace qu’il représente, faire preuve de fermeté, y compris en le privant des allocations familiales, qu’il ne mérite pas vraiment, et même qu’il dilapide en s’achetant des écrans plats, lors de la rentrée scolaire, au moment où cette allocation est versée.
Les conséquences de cette politique, à propos de laquelle on utilise, souvent à tort et à travers, le qualificatif de sécuritaire, sont d’aggraver plutôt le phénomène d’insécurité. C’est parce que cette politique ne règle pas le sentiment d’injustice dont une partie des élèves se sentent victimes, que la violence, qu’elle soit latente ou explosive, tend à se généraliser.
Enfin, on ne peut qu’être accablé par l’énumération des principes présentés comme les mesures 2009-2010 du ministère de l’éducation nationale : entre la généralisation des diagnostics de sécurité, le rappel de la nécessité de protéger et de former les personnels, ce qui est risible lorsque l’on sait ce qu’il est advenu de la formation des maîtres, la prévention des jeux dangereux et la responsabilisation des élèves, on voit bien que la langue du bois dont on fait les matraques a encore de beaux jours devant elle. Dans la série dérisoire, et pour en avoir vu fonctionner une, la mise en place des équipes mobiles de sécurité académique, semble avoir atteint des sommets d’indigence.
Dans la pratique, cette équipe mobile de sécurité, constituée sous l’autorité du recteur, est composé de 20 à 50 personnes aux profils et aux compétences complémentaires. Et elle est censée intervenir rapidement dans les établissements scolaires pour prévenir les tensions, intervenir immédiatement en cas d’incident grave et protéger les personnes et les biens. Cela signifie concrètement, lorsque les mouvements lycéens ont lieu, que l’on voit se profiler quelques retraités (jeunes forcément), de la police et de la gendarmerie, qui viennent servir de supplétifs à des chefs d’établissement davantage soucieux de leur image que de la sécurité des élèves.

Bref, si la violence à l’école est un réel problème auquel on est confronté tous les jours, la lecture de ces articles, dont il ne faut en aucun cas remettre en cause la pertinence, montre bien que ce n’est pas dans une politique de remédiation que l’actuel ministère de l’éducation nationale s’est engagé. Il est vrai que l’on ne se faisait pas beaucoup d’illusions !

Bruno Modica

Dossier

Violences et sécurité à l’école

– Les États généraux de la sécurité à l’école : prendre (enfin) le temps de penser l’action ?
(Éric Debarbieux)

Encadrés

– Le conseil scientifique des États généraux de la sécurité à l’école

– Les violences à l’école au XVIIe siècle

– Les missions du Conseil scientifique

– Un exemple des réflexions du Conseil scientifique
– Les cinq orientations proposées par le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel

– Violences à l’école : évolutions et interrogations (Cécile Carra)
– Des stratégies d’élèves face à l’école : entre retrait et violences
– Mesures 2009-2010 du ministère de l’Éducation nationale
– Violence, absentéisme… crise du modèle méritocratique (Entretien avec François Dubet)
– Les politiques de tolérance zéro. Approche comparative (Entretien avec Russell Skiba)