Aux Éditions Perrin et co- édité avec le Ministère de la Défense, Michel Bernard nous présente « Visages de Verdun » dans le cadre du centenaire de cette bataille dont le nom résonne encore de nos jours, ne serait-ce, comme le souligne l’auteur dès son introduction, que par la présence dans telle ville ou tel village d’une rue de Verdun .

Haut fonctionnaire en activité, Michel Bernard est un spécialiste de la Grande Guerre, ses ouvrages ont été récompensés de nombreux prix. Son histoire familiale est profondément marquée par ce conflit, Verdun était un mot qui « a tôt fait partie de mon vocabulaire d’enfant, bien avant que j’en susse la moindre chose ». Aïeux morts au champ d’honneur, tableaux et médailles accrochés au mur de la maison familiale… autant de traces de mémoire qui ont bercé son enfance.

Découpé en 5 parties, cet ouvrage fait la part belle aux photographies, avec un tel titre, on ne pouvait faire autrement. L’ensemble des illustrations proviennent des archives de la Section photographique de l’armée, créée en février 1915 en vue de combattre la propagande visuelle de l’armée allemande, de contribuer à rallier les nations neutres et constituer un témoignage sur la guerre. Pendant 4 ans, plus de 50 opérateurs militaires prennent des milliers de clichés sur tous les aspects de la guerre. En 1916, ils couvrent ainsi la bataille de Verdun. Les reproductions sont parfaites, souvent en gros plan, sur double page. Tirailleurs sénégalais, colonne d’infanterie, soldat seul, en groupe, infirmière, au repos, blessés, dans les tranchées, le lecteur entre dans le quotidien ou l’enfer de Verdun. Du 21 février au 19 décembre 1916, plus de 500 000 soldats mourront.

Michel Bernard prend le parti dans son ouvrage d’un découpage chronologique sur l’histoire de cette ville en commençant dès son origine. Du lieu de passage d’une route romaine à la grande place forte, lieu de bataille en 1792, lors de la guerre de 1870 et puis 1916 qui la fit connaître au plus grand nombre.

Le premier chapitre intitulé tout simplement « Le début » raconte quasiment heure par heure à partir du 21 février 1916, les journées rythmées par les pluies d’obus, 1 225 pièces d’artillerie qui ouvrent le feu pendant 9 heures le premier. L’attaque des troupes allemandes sûres de ne trouver aucune résistance. Il faut dire que l’année 1914 avait vu le démantèlement des fortifications de la région de Verdun, le système ayant été jugé obsolète. La première ligne avait été conservée mais  » la région fortifiée de Verdun était un molosse édenté« . Mais Verdun résiste jusque la fin du mois, malgré la prise du Fort de Douaumont sans combat, celui-ci étant abandonné. « Douaumont ist gefallen !  » fait la une des journaux allemands, en effet cette forteresse avait fini par représenter à elle seule tout le système défensif de Verdun. Sa reprise fera des milliers de morts.

Le Général Pétain reprend le commandement, les troupes françaises tiennent. « Tenir », voilà le troisième chapitre de cet ouvrage dont l’image d’ouverture montre un soldat blessé, tenant sa miche de pain mais esquissant un sourire au photographe. Les photographies choisies dévoilent le quotidien des soldats, mais aussi les visites de Poincaré, de Clémenceau sur les ruines des champs de bataille, les blessés, le ravitaillement par la voie sacrée.

Le quatrième chapitre « Les Allemands s’obstinent » : chacun campe sur ses positions, chacun se demande ce qu’ils font encore là-bas mais « les uns résistaient et les autres s’obstinaient ». Les combats de mai sont semblables à ceux d’avril, des feux d’artillerie permanents sur tout le front de Verdun, des attaques ciblées face à des Français qui reprennent le terrain perdu en quelques heures…
En juillet pour la dernière fois les Allemands attaquent. Les Français vont céder mais c’est sans compter la résistance, le courage du poilu. Le front se stabilise, les troupes françaises contre-attaquent pour reprendre les positions aux mains des Allemands. Douaumont est repris le 24 octobre, puis Vaux le 2 novembre 1916. La bataille de Verdun se termine le 19 décembre. L’auteur ne s’arrête cependant pas là et continue à raconter l’histoire jusque la fin de la guerre.

L’ouvrage se termine par ce chapitre intitulé « Le père et le fils ». Et après Verdun ? « A cet endroit, il n’y avait plus sur terre un bois, plus un boqueteau, pas même un arbre, plus un village, plus un clocher, pas même une maison.  » « Le pays était passé sous un hachoir géant ». Les cadavres sont ramassés, la ferraille vite récupérée pour être fondue. Le 22 août 1920, Pétain pose la première pierre de l’ossuaire, coeur de la bataille classé en zone rouge, zone interdite, impropre à la culture, impropre pour tout…. Seuls des pins noirs d’Autriche, donnés en réparation par les vaincus arrivent à pousser sur ce sol. Le 17 septembre 1927, les premiers corps sont transférés, les travaux ne sont pas encore finis. Verdun est reconstruit, la vie reprend son cours, neuf villages détruits ne renaîtront jamais de leurs cendres.
Pour le centenaire, les 15 000 croix et stèles ont été remplacées mais à l’ossuaire, des ossements allemands et français sont mélangés pour l’éternité… Oublier, jamais…

On pourrait se dire à la lecture de cet ouvrage que suivre jour après jour la bataille de Verdun pourrait n’être qu’un rapport de guerre pour spécialiste mais l’auteur arrive grâce à une belle plume à en rendre la lecture aisée. Les mots choisis font vivre la bataille, le quotidien de cet enfer au lecteur tel cet extrait : « Ceux d’entre eux qui avaient pu se traîner jusqu’à l’abri marqué de l’emblème connu de tous (le drapeau blanc à croix rouge), ou que des camarades exténués par la traversée d’un lac de boue gluante, troué de fondrières sans fond, avaient pu transporter à dos d’homme et déposer là, s’y entassaient. La crue des chairs ensanglantées débordait vite jusqu’à l’entrée du poste. Aux abords, les corps meurtris, pesant sur la toile du brancard rouge de leur sang et du sang de ceux qui les avaient précédés, sous la pluie, dans la boue liquéfiée par l’incessant piétinement, attendaient leur tour. Aux moribonds, malgré l’urgence, l’endurcissement, la détresse générale, on prenait garde de ne rien dire. Pourtant, quand ils étaient encore conscients, ils comprenaient et s’abîmaient déjà hors du monde, dans une impressionnante résignation. »

Voilà un livre où l’iconographie et le récit se mêlent parfaitement et sont complémentaires. Il peut se lire d’une traite ou par chapitre grâce au style littéraire de l’auteur. Moult détails mais jamais de manière rébarbative. Michel Bernard fait vivre Verdun et fait revivre tous ces poilus morts au champ d’honneur il y a 100 maintenant.

Un livre à avoir dans sa bibliothèque que l’on soit un spécialiste de la Grande Guerre ou pas.