Peter Fritzsche : Vivre et mourir sous le troisième Reich, dans l’intimité des Allemands. André Versaille éditeur 2012, 24,90 €.

Si l’histoire du troisième Reich est souvent traitée du point de vue de dirigeants et de la politique étrangère, notamment pendant la seconde guerre mondiale, les ouvrages qui permettent de comprendre comment la société allemande a évolué de 1933 1945 sont relativement rares, surtout en langue française. Le point de vue de Peter Fritzsche présente l’intérêt de faire rentrer dans la psychologie des Allemands pendant cette période. Dans les années 70, la tendance était de considérer le peuple allemand comme la première victime du Reich nazi. En réalité, et d’après l’auteur, les Allemands se sont assez facilement mis dans le moule. Ils ont, sinon adhérer sincèrement, au moins sauvé les apparences par une adhésion qui allait au-delà d’une simple façade.
Ils étaient exposés à une propagande efficace qui mettait l’accent, c’est ce que l »auteur explique largement, sur les questions nationales et ethniques et sur une démarche mortifère dans laquelle le peuple allemand semble s’être reconnu.

Dans le chapitre consacré au renouveau de la nation, l’auteur décrypte les formes d’adhésion que la propagande du troisième Reich à développée et encouragée. Le nazisme a par ailleurs entretenu l’illusion d’une stabilisation économique. Elle n’est pas dénuée de vérité même si cela aboutit pour le peuple allemand a retrouver en 1937 le niveau de vie de 1928, c’est-à-dire avant la grande dépression. Les Allemands consommaient davantage en profitant de leur prospérité liée à la remise en ordre économique à partir de 1934 que de biens durables. Cela n’empêchait pas une propagande efficace d’insister sur lesquels que vous avancez dans ce domaine, même si comme, la fameuse « voiture du peuple », de marque Volkswagen, cela relevait plutôt d’espoir inaccessible.

Une amélioration globale du sort de la population mise au crédit du régime

Dans le même temps, des mesures sociales ont été prises, elles ont permis, qu’on le veuille ou non, dans la classe ouvrière allemande, de favoriser une forme d’adhésion. Le passage des vacances de sept à 12 jours pour l’année a été considéré comme une conquête sociale évidente, de même nature après tout que les 15 jours de congés payés du Front populaire en France, de l’autre côté du Rhin.

De la même façon, le mouvement « la force par la joie » était une organisation de loisirs permettant aux travailleurs allemands d’accéder à des excursions organisées par l’État dans des espaces naturels ou dans des sites historiques.
L’adhésion de la société allemande au régime national-socialiste a été renforcée par le rétablissement du service militaire obligatoire qui a encouragé une forme de fierté pour l’armée nationale, ce qui explique l’enthousiasme lors de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936. Enfin, l’adhésion l’histoire nationale a été renforcée par le biais de la photo par le biais de la radio et par le cinéma. L’espace audiovisuel exclut les composantes non allemandes de la société à commencer par les juifs.
Ce sont les Allemands eux-mêmes qui se sont chargés et de participer à la constitution d’une société aryenne homogène avec la mise en place de ces passeports d’aryanité qui ont permis la mise en oeuvre des lois raciales de grammaire. Celle-ci avait établi des catégories permettant de faire la différence entre les Allemands, ayant quatre grands-parents considérés comme Allemands, et les juifs ayant trois grands-parents juifs. Entre les deux, les demis juifs avec de grands-parents juifs et les juifs du second degré, avec un grand-parent juif.

L’épuration ethnique, une œuvre collective

Les passeports raciaux ne sont pas réalisés par l’État, mais ils sont remplis par les citoyens eux-mêmes. De la même façon, les juifs devaient également se déclarer en tant que tels. La mise en oeuvre de la politique raciale se fait à tous les niveaux, on le voit avec les passeports ethniques, par les recherches préliminaires d’aryanité est en vue du mariage. L’antisémitisme s’est diffusée dans la société allemande très au-delà du parti nazi. Il préexistait d’ailleurs depuis la fin du XIXe siècle, et il pénétrait largement les partis conservateurs avant même les années 30.
Le changement qui a été introduit par les nationaux-socialistes et celle de l’organisation systématique de cette élimination des indésirables raciaux permettant aux Allemands de se retrouver « entre nous », entre en réalité.
Paradoxalement, Peter Fritzsche fait remarquer que le camp n’a pas seulement concerné les opposants au régime national-socialiste et les indésirables raciaux mais les Allemands eux-mêmes. De très nombreux organismes, à commencer par les organisations de jeunesse, et notamment les jeunesses hitlériennes, mettent en place des camps communautaires fermés, permettant de se retrouver « entre soi ». On retrouve une organisation militarisée de ces camps, y compris dans le front du travail, avec l’organisation de séjour de six mois. De la même façon, les enseignants sont formés en conséquence, avec une formation national-socialiste accélérée en 15 jours qui semblent avoir concerné un effectif que l’auteur évalue entre 215 et 300 000 personnes. Mais le camp est également une méthode de nettoyage ethnique et social, avec l’isolement des criminels, et le camp de concentration qui est conçue comme un dépotoir social pour les amis de la communauté. On considère que près de 400 000 personnes ont été regroupé dans ses premiers camps de concentration entre 1935 et 1939.
Évidemment la purification ethnique est également conçue avec l’organisation d’une euthanasie d’État, permettant d’éliminer les malades mentaux. Il semblerait que ce soit à ce niveau-là que les premières expériences sur les gaz aient été élaborées, avec l’utilisation de chambres fermées où l’on utilisait l’oxyde de carbone obtenu à partir de moteurs diesels.
L’intégration de l’antisémitisme se réalise au quotidien. 25 % de la population adulte de sexe masculin participe aux sections d’assaut, et de ce point de vue, l’anti sémitisme devient banal.
L’entrée de l’Allemagne en guerre change sensiblement les perspectives, l’étude des lettres de soldats qui montent au front, montre que la défense du pays prend peu à peu le pas sur le national-socialisme. En même temps, les lettres montrent des soldats qui s’endurcissent et qui font preuve d’une relation froide et distante avec les événements auxquels il participe. Même en dehors de la SS, les exécutions de juifs sont considérées comme nécessaires à la défense de la nation. La nécessité de lutter pour la pureté de la race menacée. Semble avoir très largement pénétré les esprits des combattants. L’auteur remarque que dans ce domaine, il existe une véritable asymétrie des archives historiques. Les photos qui montrent les pratiques d’extermination sont essentiellement des photos prises par des soldats allemands qui ramènent ainsi des souvenirs, et la plupart de ces archives ont été volées à un laboratoire photographique polonais où les soldats allemands faisaient développer leurs tirages.

La politique hitlérienne est basée sur une destruction des populations des territoires conquis la guerre en Pologne et raciale et repose sur l’élimination des forces vives du pays, et cela dès 1939 cela a commencé par une élimination de la noblesse polonaise, des officiers, mais de ce point de vue la Hitler a été suivi par Staline lui-même, avec les exécutions de Katyn, des enseignants et des intellectuels, du clergé polonais et bien entendu les juifs.
Dans le même temps, les nationaux-socialistes avaient conscience de la nécessité d’entretenir la race pure et se sont livrés, en dehors des haras destinés à produire de parfaits aryens, à des prélèvements dans les populations des territoires occupés d’individus de haute valeur raciale. De la même façon, les services se sont livrés à la recherche des Allemands de souche dans les territoires occupés, Allemands installés dans les terres orientales, à la fin du Moyen Âge et jusqu’au XVIIIe siècle, dans les terres soumises à la domination russe..
Enfin, les services de Reich se sont livrés à l’installation de colons dans les territoires polonais, après expropriation.
Enfin, il a même existé au début de la guerre, une sorte de tourisme racial, avec la visite des ghettos juifs comme celui de Lodz.

Pendant la guerre, les Allemands beaucoup moins soufferts que tous les autres peuples d’Europe, notamment du point de vue des restrictions alimentaires. Et au début de l’année 1941, on évoque de très ambitieux programmes sociaux, notamment la mise en place d’une régulation des salaires, l’établissement d’un système de santé complet et même un vaste projet de rénovation du parc locatif.

Des crimes d’imitation

Cela explique peut-être pourquoi la guerre contre la Russie, qui permet d’étendre l’espace vital, et d’éliminer la menace mortelle que représente le judéo-bolchevisme a été accueillie avec enthousiasme. C’est d’ailleurs à partir de 1941 que commence la Shoah par balles, avec les premiers massacres en Ukraine, notamment dans la région de Kiev. À propos de la Shoahjustement, Peter Fritzsche parle de crimes d’imitation, il existait, de façon diffuse dans la société allemande, une forme collective de savoir intime sur les crimes commis.
Après Stalingrad, la vie quotidienne des Allemands semble changer. D’abord les blessés de guerre sont omniprésents, et la guerre devient visible, ne serait-ce que par la présence des prisonniers, plus de 7 millions et demi de personnes. De ce fait, les juifs disparaissent de l’espace public, ils sont davantage, à partir de 1942, et surtout 1943, des abstractions, dont on parle sans qu’ils aient, par la force des choses, de présence physique. On les reverra, à la fin de la guerre, lors de la fuite de masse face à l’avancée soviétique, dans laquelle les juifs parviennent à se fondre.
Les juifs allemands ont cru pouvoir survivre la déportation, et il y eut effectivement quelques cas très particulier, notamment un refuge de juifs au coeur de Berlin, dans un hôpital, pendant toute la durée de la guerre. Mais à partir de la moitié de l’année 1942, il est une multiplication des suicides de juifs qui préféraient en finir, en utilisant des comprimés de Veronal, un puissant barbiturique que l’on appelait « la pastille juive ».
Les témoins allemands sont rares, du moins pour ceux qui se sont exprimés. Il semblerait qu’une échelle de masse, on évolue évacuer la culpabilité et après tout, les déportations de juifs libérés de la place pour les Allemands. La différence de la société allemande a été croissante, au fur et à mesure que les difficultés de la vie quotidienne grandissaient. Les ventes aux enchères des biens des déportés étaient particulièrement fréquentées et permettaient d’acquérir à bon compte un certain nombre de biens de consommation.
Les remarques de Peter Fritzsche sont brutales, Hitler est davantage accusé d’avoir perdu la guerre plutôt que de l’avoir commencé. À partir de Stalingrad, que l’auteur considère comme le véritable tournant, non seulement du point de vue militaire, ce qui est somme toute assez connu, mais aussi dans la perception de l’intimité des Allemands face au nazisme, la défaite envisageable est assimilée à celle des Thermopyles. Le titre de une du Volkischer Beobachter, le journal du parti national-socialiste des travailleurs allemands, il fait directement référence : « ils sont morts pour que l’Allemagne vive ! ».

La défaite de Stalingrad comme la prise de conscience collective diffuse du caractère exceptionnel des crimes du nazisme semble montrer qu’un point de non-retour a été franchi, ce qui explique sans doute pourquoi, jusqu’au bout, la loyauté de la grande masse des Allemands au régime national-socialiste lui est restée acquise à quelques très rares exceptions près.

Bruno Modica