Un fleuve fragile et stratégique
Un nouvel opus vient de sortir dans la collection « Géohistoire d’un fleuve » aux éditions du CNRS. Après le Congo, le Tigre, l’Euphrate et le Mississippi, c’est au tour de la Volga, ce fleuve de l’Ouest de la Russie qui se jettent dans la Mer Caspienne, d’être le sujet principal d’un volume dédié. L’écriture a été confiée au géographe Pascal Marchand, auteur d’une thèse soutenue en 1990 sur les conséquences des aménagements sur l’écoulement de la Volga.
Avec 60% de son écoulement annuel concentré en trois mois (avril-mai-juin), la Volga avait un régime nival. Ce flux de printemps était un écoulement différé : c’est l’eau stockée sous forme de neige sur le bassin pendant cinq mois d’hiver (novembre-mars) qui fondait en quelques semaines. L’aménagement visait à mettre cette crue en réserve pour la redéployer dans le reste de l’année au profit de différents usages. La gestion de cette répartition fut et reste problématique. Mais en 2022, deux bouleversements majeurs, l’un géopolitique, l’autre global , sans aucun rapport entre eux, viennent complètement modifier les perspectives de la Volga aménagée.
L’intervention russe en Ukraine a déclenché de la part des Occidentaux une vague de sanctions sans précédent dans l’histoire. A cette rupture durable entre le bloc atlantique et la Russie, Moscou a choisi de répondre en rompant avec le choix de l’Europe par Pierre le Grand pour se tourner vers l’Asie et le Sud. L’aménagement de la Volga se retrouve en première ligne de ce renversement : les priorités dans les modalités de son fonctionnement vont s’en trouver bouleversées.
Volga. L’héritage de la modernité, CNRS Editions, pages 219-220.
Les différentes politiques d’aménagement, la gestion des ressources halieutiques, la production d’électricité, le poids des représentations dans l’identité russe et les conséquences sur les milieux (delta, canaux, affluents) sont l’objet d’une mise en perspective historique depuis le Moyen-Age. La plupart des aménagements datent du milieu du XXe siècle avec la multiplication des barrages et des canaux. La Volga est un fleuve aménagé afin de limiter les risques et d’accroître la production agricole par l’irrigation.
L’ouvrage a le mérite d’inscrire la Volga dans le temps long, depuis l’incursion des Varègues à Novgorod jusqu’aux perspectives envisagées par les aménageurs et les propriétaires de navires de transport pour la période 2025-2030. A ce titre, Pascal Marchand rappelle que la Volga était l’une des limites de l’Europe au XVIIIe siècle. L’officier suédois Strahlenberg et le géographe Tatichtchev sont au service de Pierre le Grand pour cartographier l’empire au début de la décennie 1720. Les deux scientifiques hésitent sur les limites de l’Europe : est-ce le fleuve Oural ? ou la Volga ? C’est finalement Tatichtchev qui retient la chaine de l’Oural comme limite de l’Europe. Néanmoins, ce choix politique reste contesté par l’Académie russe jusqu’au XIXe siècle. Pour elle, c’est le fleuve Oural prolongé par Volga qui est la véritable limite de l’Europe, l’option proposée par Strahlenberg en 1725.
Parmi les curiosités de l’ouvrage, notons l’anecdote rapportée dans une note à la fin de l’ouvrage à propos de la disparition d’archives. L’auteur souligne la présence de publications soviétiques, relativement fiables sur le plan statistique à ses yeux (sur la pêche, les esturgeons et le volumes des crues), dans les bibliothèques d’Europe de l’Ouest. Des publications d’importance ont tendance à disparaître lors de transferts d’archives.
Tout au moins tant que les désherbages réguliers des fonds ne les envoient des réserves qui deviennent autant d’oubliettes dès que le personnel qui a effectué l’opération part à la retraite. Ainsi, dès 1980, des publications uniques du XIXe et début du XXe concernant les esturgeons caspiens, figurant pourtant dans les catalogues de la bibliothèque nationale, avaient déjà disparu corps et biens. En 2019, ce sont des années entières des collections de revues scientifiques soviétiques de l’Institut de Géographie qui ont disparu sans laisser de traces lors d’un transfert vers une réserve de l’est parisien.
Volga. L’héritage de la modernité. CNRS Editions, pages 229.
Cet ouvrage, parfois ardu en raison des nombreuses statistiques énoncées, dresse un panorama quasi exhaustif sur l’impact des aménagements soviétiques puis russes sur les milieux, les sociétés et l’économie. Des photographies en noir et blanc s’avèrent particulièrement pertinentes pour visualiser les paysages et les formes de peuplement. Les enseignants pourront mobiliser des passages relatifs au changement climatique (en classe de Cinquième), à la gestion de l’eau douce (en classe de Seconde) et aux nouveaux corridors de développement entre l’Inde et la mer du Nord (Terminale HGGSP).
Pour aller plus loin :
- Présentation de l’éditeur -> Lien
Antoine BARONNET @ Clionautes
