Ce livre ayant fait l’objet d’un excellent compte-rendu de sa première édition (2007) par Catherine Didier-Fèvre, nous montrerons les nouveaux apports de l’édition de 2023.

À la fin de l’introduction, l’auteur, dans son paragraphe « Le Monde depuis -12 000 », montre la coïncidence entre la chronologie de la mondialisation et les dates avancées par les partisans de l’idée d’Anthropocène pour en marquer le début. Entre les différentes propositions, il choisit 1610, date à laquelle la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone tombe à un niveau particulièrement bas à la suite du dépeuplement de l’Amérique, conséquence de sa conquête par les Européens et des épidémies qu’ils ont causées. Un schéma des dates clefs de la mondialisation est très éclairant à ce propos.

La construction du Monde et ses limites

Les Figures cartographiques 1.2, 1.3 et 1.4 des principaux foyers de peuplement, de la richesse sur Terre et des types de développement historiques, sont agrandies et plus expressives, montrant mieux en particulier la littoralisation, la répartition des richesses. Dans la conclusion du chapitre 1 (Les mémoires du monde) trois nouvelles cartes figurent la diffusion et la densification des sociétés en interactions des premiers Néolithiques (-3000/-1000) à l’aube des « Grandes Découvertes » (1491).

Une nouvelle carte page 51 (Figure 2.1) « Les langues au XVe siècle » témoigne de la dispersion et du fractionnement des sociétés humaines par delà leur très forte unité biologique qui est celle d’Homo Sapiens, depuis 63 000 ans environ. Un encadré, « Passer en Amérique par les chas d’une aiguille », tend à démontrer que le passage des hommes de l’Ancien Monde en Amérique par l’Alaska, il y a 20 000 ans environ, a été rendu possible par la possibilité d’assembler des vêtements chauds en peaux cousues, grâce à l’invention de l’aiguille à coudre au dernier optimum glaciaire, au moment où le froid a été le plus intense et le niveau marin le plus bas. Une nouvelle figure (2.3) montre la variation du niveau marin au quaternaire récent. Elle est complétée par un encadré sur les déluges relatés dans des textes anciens (Bible, tablettes écrites en cunéiforme de Mésopotamie).

La figure 3.11, L’interface transsaharienne de l’Afrique noire avec le reste de l’Ancien Monde, a été enrichie avec des contours plus précis pour les différentes entités cartographiées. Une note de bas de page a été ajoutée pour expliquer la faiblesse des traces archéologiques par des contraintes environnementales. Une nouvelle carte (figure 4.4), celle de la peste noire à l’échelle de l’Eurasie a été introduite page 131, illustrant le texte qui figurait déjà dans la première édition.

Le texte concernant les expéditions navales de Zeng He a été légèrement allongé pour réfuter l’hypothèse de Gavin Menzies (2002) selon laquelle ses jonques auraient pénétré dans l’Atlantique et seraient revenues par le Pacifique faisant le tour de la terre avant Magellan.

Le polycentrisme et l’économie-monde en Europe sont illustrés par une nouvelle figure (4.7 page 145) qui montre la genèse de « la banane bleue » des cités-États de la Hanse, des Flandres et de l’Italie du nord, contournant à l’est le territoire du royaume de France. Ces formes d’autonomie de l’économie d’un réseau urbain échappant à toute autorité politique impériale centralisée à la fin du moyen-âge est en effet unique dans le monde. Elle est à l’origine en partie de l’avance qu’a prise l’Europe à la période suivante.

Une nouvelle carte de « l’Europe contagieuse » (Figure 5.2) montre le bassin épidémiologique de l’Ancien Monde à l’origine des pandémies qui ont dévasté la population des Amériques aux XVe-XVIe siècles.

Page 180, Un paragraphe a été ajouté critiquant une nouvelle approche du déterminisme associant sous-développement et zone tropicale promue par le botaniste français Francis Hallé qui a cependant le mérite de contextualiser les processus historiques avec les milieux naturels trop ignorés par les économistes.

Page 198 Une carte très expressive (Figure 6.8) fait le bilan de la mainmise européenne sur le monde.

Quelques dates au delà de 2000 ont été ajoutées aux trois encadrés 7.1, 7.2 et 7.3.

Page 289, un nouvel encadré « Le capitalisme (chinois) est-il universel ? » montre sa spécificité qui le distingue du capitalisme occidental. Il n’est ni privé ni d’État mais avant tout bureaucratique, et de ce fait probablement non soluble dans la mondialisation.

Page 290, dans la conclusion du chapitre 10, deux paragraphes ont été ajoutés à l’appui de « l’avènement d’un Monde métisse » pour relativiser l’approche multi-culturaliste qui enferme dans des spécificités hétérogènes et fait régresser tout effort d’universel.

Lire le Monde par la géohistoire

Après la troisième partie et avant la Conclusion générale inchangée, un chapitre 11 a été ajouté dans sa totalité (pages 295-311) « Lire le Monde par la géohistoire ». Christian Grataloup tire une sorte de bilan de ce qu’a été jusqu’à aujourd’hui la mondialisation, en évoquant des scenarios de ce qu’elle aurait pu être différemment. La situation actuelle n’est pas le résultat d’une évolution inévitable mais l’un des possibles. La tendance est à la constitution d’un territoire-Monde qui se fera « lorsque l’international cédera le pas et que le processus de genèse du niveau mondial passera à celui de la gestion du territoire mondial ».

La réédition de ce livre prend en compte les évolutions très récentes de quelques uns des phénomènes de la mondialisation et quelques tendances prospectives possibles. La cartographie en noir et blanc a été augmentée ou parfois améliorée en fonction des publications récentes d’atlas géo-historiques de l’auteur. On peut remarquer également que les quelques références de « lectures complémentaires » qui figuraient à la fin de chacun des chapitres de la 1ère éditions ont disparu, ce qui est regrettable.

La nouvelle édition de ce livre, qui est désormais un classique, apporte donc un enrichissement des illustrations cartographiques, des compléments d’information récents, une vision argumentée de la genèse de la mondialisation et de son évolution possible.

Michel Bruneau

Antoine baronnet nous avait proposé son compte-rendu en la 3e ed. en 2016