La destinée exceptionnelle de Napoléon 1er a nourri depuis l’origine une historiographie abondante, souvent passionnée, et même longtemps politisée. Le caractère de plus en plus scientifique et objectif de l’étude de la période n’empêche pas celle-ci de garder une « aura » particulière auprès du grand public ; en témoigne encore aujourd’hui le succès de nombreuses publications, monographies comme périodiques, dues à une galaxie d’auteurs allant des spécialistes renommés aux simples passionnés.
Le magazine Napoléon 1er, édité depuis mars 2000 et aujourd’hui trimestriel, s’inscrit dans ce courant qui semble avoir été ravivé par le bicentenaire de la Révolution, du Consulat et de l’Empire. Se consacrant à la présentation de sujets divers (d’ordre souvent biographique ou militaire) sur la période, il propose de plus deux fois par an des hors-série qui s’attachent à une étude plus approfondie, et dont certains sont aujourd’hui disponibles en librairie.
Rien de très neuf dans la morne plaine
Le numéro 7 de juin 2007 est ainsi consacré à Waterloo, une bataille devenue mythique, et aux quelques jours de campagne qui l’encadrent. Livrée au sud de Bruxelles le 18 juin 1815, elle se clôt par la défaite de l’Empereur face à l’armée composite (Britanniques, Hollando-Belges, et soldats de quelques principautés allemandes) du Duc de Wellington, opportunément renforcée par l’armée prussienne du Maréchal Blücher, et précipite définitivement la chute finale du monarque pourtant rétabli de façon spectaculaire à la tête du pays moins de trois mois plus tôt.
Il est dû à la plume de Jacques Logie. Brutalement disparu en septembre 2007, l’auteur est une figure bien connue des passionnés de la Dernière Bataille : docteur en droit, licencié en droit international et en journalisme (ULB) et docteur ès lettres (Paris IV Sorbonne), cet ancien magistrat, habitant les lieux mêmes, était membre du comité scientifique chargé d’accompagner la réhabilitation du site de la bataille. Il est aussi l’auteur de publications érudites sur celle-ci : ainsi, Waterloo, l’évitable défaite (1984), sa large contribution à l’ouvrage collectif Waterloo 1815 : l’Europe face à Napoléon (1990), dont il s’inspira ensuite largement pour son Waterloo : la campagne de 1815, paru en 2003.
Le texte du hors-série en question est très clairement tiré, parfois jusqu’à la simple copie, de ces travaux antérieurs. Il en présente les qualités formelles : le texte est sobre, précis, et pousse assez loin l’analyse des événements. A contrario, il rentre plutôt abruptement dans le récit de cette très courte campagne, s’y consacre intégralement (avec la narration des batailles de Ligny et des Quatre-Bras, le 16 juin), et n’aborde quasiment pas les conséquences à court et à long terme de la défaite de l’Empereur ; dans cette optique, le sous-titre de l’ouvrage (probablement inspiré par l’ouvrage récent de Jean-Marc Largeaud) ne paraît pas approprié.
Sur le fond, l’auteur brosse un récit assez classique, sur lequel il n’y a guère à redire. On sait que la relecture tendancieuse qui en a été faite par Napoléon (qui s’est toujours efforcé, dans ses écrits, de présenter sous un jour favorable ses actes) et nombre d’historiens du XIXè a rendu difficile l’interprétation de certaines des péripéties de la célèbre bataille. Aujourd’hui encore, la controverse n’est pas éteinte, et J.Logie a évidemment pris connaissance des travaux récents ayant présenté une vision plus iconoclaste de l’affrontement (tels The Waterloo campaign : the german victory de Peter Hofschröer (1999), et les études détaillées de Bernard Coppens, auquel l’opposa sur des points de détail une controverse animée) ; la bibliographie très réduite citée en fin de l’ouvrage, comme ses omissions, en est le reflet. Mais l’auteur mentionne l’essentiel (les défaillances du commandement français, la faillite des liaisons), et reste suffisamment concis ou elliptique sur certains sujets litigieux pour livrer une version relativement consensuelle.
A ce numéro, les Editions Napoléon 1er ont eu l’idée de joindre un DVD du film « Waterloo », de S.Bondartchouk (1970) : une reconstitution très soignée, certes non exempte de quelques erreurs, mais que le jeu inspiré de ses acteurs et la présence de milliers de figurants rendent très impressionnante ; sans doute le meilleur film réalisé sur la période… On pardonnera donc aisément à l’éditeur l’absence de toute fonctionnalité (menu, bonus…) sur le produit.
Bruit et fureur « sous les murs de Moscou »… ou presque
C’est un autre titanesque choc que relate le hors-série n°8 d’octobre 2007. La bataille de Borodino, livrée le 7 septembre 1812 à une centaine de km en avant de Moscou, au sud du village de Borodino, oppose l’armée d’invasion cosmopolite menée par l’Empereur au gros de l’armée russe commandée par Koutouzov.
L’affrontement, très meurtrier, imposé à celui-ci par une Cour et un haut-commandement exaspérés de la longue retraite des forces russes depuis l’offensive française de juin, les force à un nouveau recul et ouvre la route de Moscou. Le sujet, déjà traité dans le magazine par l’historien russe Oleg Sokolov dans le cadre d’une série d’articles sur la campagne de Russie (n°5 à 10 de 2001), est ici repris par Jacques Garnier, membre de la commission française d’histoire militaire, administrateur de l’Institut Napoléon, et auteur de nombreux travaux sur la période (dont un Austerlitz inspiré paru chez Fayard en 2006). Les péripéties du début de la campagne sont présentées sur une vingtaine de pages ; puis l’auteur s’attache au récit détaillé des journées des 5 (prise de la redoute russe avancée de Schwardino), 6 (veillée d’armes) et surtout 7 septembre ; récit qu’il conclut un peu abruptement par la simple mention de la nouvelle retraite russe. La lecture en est plaisante : les événements sont présentés clairement (certes d’une manière qu’on peut parfois juger un peu frustrante pour le début de la campagne, mais on se doute que l’auteur était soumis à certaines contingences), à travers un texte vivant, parfois même assez lyrique, qui fait largement appel aux témoignages des acteurs des événements. Anticipant sans l’évoquer le bilan finalement désastreux de la campagne, l’analyse de l’action de Napoléon, sous-jacente dans le récit et complétée par une conclusion synthétique, est pertinente : il tente de mener la campagne par une « guerre d’armées » novatrice que les moyens logistiques du temps et l’incompétence de certains des subordonnés choisis par lui ne lui permettent pas de maîtriser ; c’est l’échec de ses manœuvres successives visant à l’anéantissement de l’armée ennemie qui l’amène à s’enfoncer si loin en Russie, à la recherche du « coup dur » ; pour celui-ci, il renonce, pour des raisons valables mais qui peuvent se discuter, à tout mouvement élaboré, et se contente, malade et fatigué, d’une « victoire par KO », nullement décisive en ce sens qu’elle n’aboutit toujours pas à la destruction de l’armée russe… L’exposé est heureusement clos par une riche bibliographie commentée.
Deux intéressants articles complètent ce numéro : l’un reprend le passage consacré à la bataille d’un manuscrit jusqu’ici inédit, celui du baron Dufour, ordonnateur en chef de la Garde Impériale et témoin des événements ; l’autre, dû à Oleg Sokolov, figure bien connue des amateurs de reconstitutions napoléoniennes, trace un vivant tableau du succès croissant de cette pratique en Russie.
Une lecture plaisante
Au final, ces deux hors-série ne peuvent donc évidemment prétendre remplacer une étude de référence, mais se parcourent plutôt agréablement : le texte, réparti en une dizaine de chapitres, est complété avec profit par de nombreuses illustrations, les plus « classiques » sur le sujet comme d’autres moins connues, et d’abondants encarts présentant les ordres de bataille détaillés et de nombreux témoignages d’acteurs des événements. Des cartes claires et esthétiques viennent régulièrement éclairer le texte (même si on peut pinailler en regrettant la « sectorisation » à outrance des cartes consacrées à Waterloo, et dans « Borodino », le placement tardif, p.18, de la carte présentant les premiers mouvements de la campagne de Russie…). L’amateur de chocs militaires épiques trouvera donc à (relativement) peu de frais un plaisir certain à les parcourir.
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