Ce livre est consacré à la difficile émergence des femmes journalistes. Il permet d’inscrire le maintien de certaines discriminations contemporaines dans une histoire longue.

Il s’agit ici de proposer une autre histoire de la presse, complémentaire de l’histoire traditionnelle. Il ne s’agit pas d’essentialiser les écritures féminines  mais le genre est une donnée qu’il parait difficile d’éluder.

L’autrice et sa méthode

Marie-Eve Thérenty est professeure de littérature française à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Elle a précédemment écrit « La littérature au quotidien, poétiques journalistiques au XIXe siècle » et coécrit «  Fake news et viralité avant Internet » (lien vers la critique. Il s’agit de la deuxième édition d’un livre paru en 2019. Cet ouvrage se focalise sur la grande presse, les hebdomadaires d’information et les grandes revues. Il existe une infinité de façons d’être femme journaliste. Chaque chapitre du livre est organisé dans un va-et-vient entre une analyse globale des pratiques, des postures et des poétiques, l’évocation rapide de journalistes publiées et la focalisation sur quelques silhouettes phares du journalisme ainsi replacées dans leur contexte historique.

Les chroniqueuses

Le chapitre commence par Delphine de Girardin. Elle a contribué à créer le roman- feuilleton et a aussi favorisé le développement dans le journal d’une écriture du quotidien. Il faut signaler que quasiment toutes les grandes journalistes, durant un siècle d’histoire de la presse, seront aidées par un complice masculin. Il est donc très difficile d’accéder à cette profession sans protecteur. L’usage de la fiction à l’intérieur de l’article constitue peut-être l’innovation la plus essentielle de la forme qu’est la chronique. Plus on s’approche de la catégorie « petite presse satirique et littéraire », plus les femmes sont rares. Les années 1880 voient surgir une batterie de chroniqueuses parisiennes qui appartiennent souvent à l’élite. Jeanne Marni et Gyp sont à l’origine du développement de chroniques dialoguées très enlevées et spirituelles.

Les publicistes

Les publicistes ont essayé, à la différence des chroniqueuses, de s’insérer dans la sphère publique et de parler explicitement politique dans le journal. Le pseudonyme masculin parait davantage encore de rigueur chez les publicistes. La carrière de George Sand constitue un phénomène exceptionnel au XIXe siècle. Elle a utilisé toute la palette du journaliste. Sous la monarchie de Juillet, elles ne sont que trois à réussir à écrire régulièrement dans la presse généraliste autre chose que de la chronique. En plus de George Sand, il y a Marie d’Agoult et Christina de Belgiojoso. Venues de la meilleure société, très cultivées, elles se sont déclassées ou marginalisées en se libérant de leur mari. Plus tard, on peut citer Geneviève Tabouis qui annonce en 1936 en exclusivité le plan de partage de l’Ethiopie. Hitler l’attaque même personnellement dans un discours de mai 1939.

Les frondeuses

Séverine est une figure essentielle du journalisme et la parution de « La Fronde » marque une étape. Séverine a tiré toute sa vie l’essentiel de ses revenus de son activité journalistique. Elle accepte d’écrire dans les quotidiens de tous bords pourvu qu’on lui laisse la liberté de sa plume. Elle est l’une journalistes les plus actives de l’aventure du quotidien féministe « La Fronde ». Lorsqu’elle descend dans une mine, elle scénarise le danger qu’elle affronte. Les rédactrices du journal ont des profils variés. « La Fronde » contribue à la professionnalisation des femmes-journalistes.

Les aventurières

Ce chapitre s’intéresse à celles qui explorent la planète et délivrent le récit de leurs pérégrinations dans les journaux et revues. Trois femmes ont signé des récits de voyage ou des reportages qui ont fait sensation dans la presse. Il s’agit d’Isabelle Eberhardt, d’Alexandra David-Néel et d’Ella Maillart. Plusieurs exploratrices aiment à se travestir et, au-delà de la volonté de se fondre dans la population locale, elles adoptent régulièrement le vêtement masculin. Alexandra David-Néel vit une assimilation totale. Les textes produits par ce journalisme ethnographique se caractérisent par leur hybridité. Le souci de précision dans la description des mœurs est essentiel.

Les rédactrices professionnelles

Durant l’entre deux-guerres, les femmes diversifient leurs participations à la presse. Ce chapitre se veut une redécouverte des principales femmes écrivaines comme Marcelle Tinayre ou Germaine Beaumont. Beaucoup de femmes-journalistes organisent efficacement leur promotion. Grâce à des photographes comme Man Ray ou Germaine Krull, leur visage est connu. Marcelle Tinayre, elle, est une journaliste polyvalente. Marie-Eve Thérenty développe les informations sur Colette qui tranche avec les chroniques judiciaires habituelles et se caractérisent par le parti pris du témoignage. Si Colette a réussi par la force de son talent à s’imposer, la plupart des femmes journalistes ont disparu des mémoires. Le chapitre évoque ensuite des exemples de reportages comme ceux de Nellie Bly.

Les grands reporters

L’information sort de la guerre plus mondialisée que jamais. Des hebdomadaires qui misent sur la photographie apparaissent comme « Vu » lancé en 1928. Le grand reportage des femmes ne diffère pas de celui des hommes : elles veulent mettre leur vie au service de l’actualité. Après 1934, apparaît une division des journalistes selon une fracture politique. Gerda Taro est la première femme reporter touchée mortellement dans un combat en 1937. Son travail s’est trouvé éclipsé par celui de son compagnon Robert Capa. Marie-Eve Thérenty s’intéresse ensuite à plusieurs exemples de grandes reporters emblématiques oubliées. Le tour d’Europe des dictateurs fascistes constitue un coup d’éclat de Titaÿna. Elle parle également d’Andrée Viollis qualifiée d’ « absolue reporter ». Elle prend plaisir à passer d’une salle d’assises à un match de boxe, d’une loge d’actrice à une loge de concierge. Le voyage en Indochine en 1931 illustre l’émancipation progressive de la grande reporter.

 

En conclusion, Marie-Eve Thérenty récapitule plusieurs apports de son travail. Longtemps, les femmes journalistes ont tenté d’entrer dans la profession en validant par leurs écritures la différenciation traditionnelle des discours sexués. Elles ont inventé aussi plusieurs formes de journalisme. L’autrice prolonge son propos après 1944 en évoquant quelques figures majeures comme Françoise Giroud, Marguerite Duras ou Florence Aubenas. Cet ouvrage permet d’en apprendre beaucoup sur ces journalistes femmes longtemps invisibilisées. Il pourra être utilisé en 1ère HGGSP dans le cadre de la question « S’informer ».