Camil Girard et Carl Brisson retracent l’histoire de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, la nation malécite du Saint-Laurent des premiers contacts avec les Européens à nos jours.

Le terme de malécite signifie peuple ou nation de la grande rivière Saint-Jean, vivant sur le bord du fleuve Saint-Laurent. Depuis 2019, le peule malécite, dit aussi etchemin ou amalécite a repris un nom issu de sa langue : Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk.

Camil Girard, historien chercheur associé au Centre interuniversitaire d’études et de recherche sur les Autochtones de l’Université Laval et Carl Brisson, géographe sont tous deux spécialistes de la région du Lac Saint-Jean et de l’histoire des peuples autochtones sur le temps long. Ils ont publié en 2018 Reconnaissance et exclusion des peuples autochtones au Québec. Du Traité d’alliance de 1603 à nos jours, aux Presses de l’Université Laval.

Leur recherche a été menée en partenariat avec le Grand Conseil de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite de Viger). Elle s’inscrit dans le contexte récent de la reconnaissance officielle des peuples autochtones au Canada (1982), des nations autochtones au Québec (1985 et 2000) et de la Déclaration des droits des peuples autochtones de l’ONU (2007).

Les deux chercheurs partent d’une l’hypothèse que les alliances, entre les Peuples autochtones et la France puis l’Angleterre, sont nécessaires aux Européens pour s’établir en Amérique, mais aussi aux Amérindiens pour asseoir leur pouvoir sur leurs terres traditionnelles et lutter contre leurs ennemis.

L’histoire de la Première Nation Malécite de Viger au Québec : orientation de recherche et méthodologie

Les auteurs appuient leur recherche, pour la réflexion théorique sur les travaux de Tzvetan Todorov et ceux de Gruzinski sur une histoire des découvertes considérée comme une « mondialisation ». Pour l’étude au Canada, ils se réfèrent notamment à John Leslie et Richard White ou aux travaux novateurs de Mathieu d’Avignon.

Les buts des auteurs sont ainsi rédigés : « À travers l’histoire de la nation malécite, de sa participation aux traités, aux échanges, à travers ses revendications, ses protestations et ses manifestations culturelles (artisanat, langue, etc.), ses liens au territoire et aux ressources, nous cherchons à découvrir comment cette nation est entrée dans l’oubli et, surtout, comment elle a pu renaître à la suite d’une dispersion subie lors de la perte de leur terre en 1869. À travers l’histoire des Malécites du Saint-Laurent /Wolastoqiyik Wahsipekuk, c’est la parole de tous les peuples autochtones, de leur rapport à leur terre, le Wolastokuk, à leur culture, à leur dispersion à la suite de lois discriminatoires qui se profile. Cette histoire reste empêtrée dans un endocolonialisme que nous tentons, au meilleur de nos capacités, d’analyser pour mieux le critiquer et en montrer les aspects critiques et souvent négatifs. » (cité p. 6-7).

Dans ce préambule les auteurs définissent les buts et méthodes de leur recherche.

Le contexte de la recherche sur la Première Nation Malécite de Viger

Il sera peu aisé de reconstruire l’histoire d’une nation dispersée depuis le milieu du XIXe siècle (perte de leur village en 1869) et peu présente dans la mémoire collective. Le contexte de cette recherche est la reconnaissance des peuples autochtones dans la Constitution canadienne de 1982 qui suppose de les considérer comme acteurs et cofondateurs de la nation, de revoir la « relation » à partir des traités d’alliances de la Nouvelle-France, redécouvrir leur territoire traditionnel. C’est une thématique déjà abordée dans leur ouvrage, Reconnaissance et exclusion des peuples autochtones au Québec du traité d’alliance 1603 à nos jours, paru aux Presses de l’Université Laval, 2018.

Les auteurs posent une question : Peut-on parler de génocide ?, posée par Raphaël Loffreda dans son livre L’Empire face aux Renards – La conduite politique d’un conflit franco-amérindien, paru cette année aux éditions du Septentrion, 2021. Ici la question renvoie plutôt à la notion de génocide culturel. Les auteurs évoquent les débats récents pour concilier les lois canadiennes et la Déclaration de l’ONU visant à reconnaître, à l’intérieur des États-nations, les droits individuels et collectifs des peuples autochtones (2007).

De l’avant-contact aux premières rencontres maritimes

Les récentes découvertes archéologiques sont importantes pour écrire l’histoire avant l’arrivée des Européens Carte des sites archéologiques sur le territoire des Malécites (P. 22).

Les Malécites sont parmi les chasseurs-pêcheurs qui signent avec Champlain l’alliance de mai 1603 à Tadoussac. Ils sont aussi agriculteurs, ils cultivent la trilogie algonquienne : maïs, des courges, des fèves, à laquelle on peut ajouter le tabac. Les traditions orales rapportent la légende de l’origine du maïs.

La France a choisi un mode d’occupation du territoire qui ne nécessitait ni cession ou vente des terres, mais plutôt des alliances que les auteurs comparent à la situation des Tlaxcaltèques. Ces alliances, d’abord pour le commerce se basent sur le don et le contre-don. C’est dans ce contexte que se développent au XVIIe siècle des échanges de produits et la circulation des personnes. Les peuples autochtones ont participé à une économie qui se met en place avec la venue des nouveaux arrivants et qui est décrite ici. Les auteurs analysent les relations avec les pêcheurs de baleines et de morues dans le nord-est du Québec.

Les Etchemins et l’alliance des nations autochtones avec la France

Les auteurs rappellent le contact de 1603, le premier traité d’alliance entre les Etchemins [aujourd’hui nommés Malécites], Algonquins [ou Anichinabés] et Montagnais [aujourd’hui nommés Innus] et reproduisent la description faite par ChamplainCitée p. 40-41 et en font l’analyse. Ce premier traité définit la politique française : traiter, contracter et s’allier, faire la guerre si les traités et les alliances ne sont pas respectés. Le traité est complété de Lettres patentes qui précisent le territoire traditionnel des peuples autochtones, les lieux du commerce et le monopole des fourrures. Selon les auteurs cette politique s’inspire de celle de Philippe II (Ordonnances de pacification du 13 juillet 1573).

Les auteurs décrivent la rencontre de 1604 et les nouveaux traités (1604, 1605). Ce sont ces textes qui sont aujourd’hui repris dans le cadre de la reconnaissance des droits des peuples autochtones au Canada (1982) et au Québec (1973 et 1985). Ils proposent une relecture des récits interculturelsNotamment le récit de la transmission du calumet par l’être supérieur. sur ces alliances. La tradition orale des Malécites permet, à partir des traités de préciser le territoire malécite de la rivière Saint-Jean, Wolastoqey et de rappeler leur rôle dans la remontée du Saint-Laurent par Champlain, ce sont eux qui ont décrit les routes et les portages. La tradition innue montre qu’ils vivaient aussi sur les espaces nommés au XVIIe siècle, le domaine du roiTerritoire actuel du Saguenay–Lac-Saint-Jean, d’une partie de la Côte-Nord et du Bas-Saint-Laurent (Carte des Nations autochtones et confédérations à l’est de l’île de la Tortue en 1585p. 80. Les études montrent que les territoires des différentes nations autochtones étaient imbriqués et en évolution. Les cartesDe nombreux extraits cartographiques figurent dans l’ouvrage établies par les Français, pour indiquer les portages, les villages et les campements contribuent à circonscrire l’étendue du territoire traditionnel malécite.

Les auteurs abordent les traités du XVIIIe siècle, comme la Grande Paix de Montréal en1701. Les buts en étaient de favoriser les échanges, explorer les pays d’en haut et assurer la paix avec les Autochtones, en particulier les Iroquois. Dans ce contexte les Malécites participent à la Confédération Wabanaki.

Les traités des nations des Malécites avec les Anglais, 1725-1760

Les traités entre les Anglais et les nations autochtones, signés entre 1725 et 1760, s’inscrivent dans le contexte des guerres entre la France et l’Angleterre. Ils visent à assurer la neutralité des peuples autochtones envers l’Angleterre et sont un parallèle aux traités signés par les Français avec les Iroquois. Ils affirment la liberté pour les Autochtones de chasser et de pêcher librement, « comme d’habitude » de commercer pour vendre des peaux, des plumes, des oiseaux, des poissons.

Gestion du territoire à des fins d’agriculture et de peuplement

L’étude porte sur la période 1534-1745, détaillée en cinq périodes.

Pendant la période française, le régime d’appropriation des terres à des fins privées est axé sur la seigneurie comme modèle de colonisation agricole.

Entre 1534 et 1627, il n’y a pas de véritable colonie. En 1627, est créée la Compagnie des Cent-Associés pour le commerce du Canada sur une première seigneurie en Nouvelle-France couvrant un immense territoire qui n’est pas contrôlé.

Entre 1627 et 1663, c’est le roi qui est « possesseur » de toute la terre par l’intermédiaire de la Compagnie des Cent-Associés. Il accorde des concessions en seigneurie sans tenir comte des traités. L’analyse par Marcel Trudel du terrier de 1663 montre neuf seigneuries situées à l’intérieur du territoire malécite.

Durant la période de 1663 à 1674, l’arrivée de nouveaux colons, de militaires intensifie la colonisation par l’ajout de nouvelles seigneuries dont la mise en valeur reste modeste. De 1670 à 1680, on compte 90 nouvelles seigneuries, sous l’intendant Jean Talon.

En 1723, l’intendant Bégon émet une ordonnance qui oblige chacun des seigneurs à présenter un aveu et dénombrement. Il y a 50 seigneuries présentes sur le territoire traditionnel des MalécitesCarte des Seigneuries accordées en 1745, p. 158.

Cependant plus on s’éloigne de Québec moins la mise en valeur est réelle. À la fin du Régime français, plus de la moitié du territoire traditionnel malécite n’est pas concédé en seigneurie.

Les seigneurs obtiennent aussi des droits d’exploitation sur des ressources naturelles (chasse et pêche) et la pratique du commerce et surtout la traite des fourrures, ce droit contribue à la libre circulation des personnes).

La Conquête, la Proclamation et la reconnaissance des nations autochtones

Le premier texte à retenir est celui de la Proclamation royale de 1763 qui fait suite à la conquête anglaise de la Nouvelle-France. Si les Anglais ont continué la politique française ils y ont ajouté de nouvelles notions liées à l’occupation et à la mise en valeur des terres et du territoire indien. Les auteurs font une analyse détaillée du texte de 1763 qui précise que les terres possédées par les Autochtones dans les colonies peuvent être cédée ou vendue à la couronne britannique.

« Avec le Régime britannique, le vocabulaire change. Les « nations et tribus d’Indiens » sont en « relation avec nous » et elles sont sous notre «  protection ».Cité p. 174 »; Ce vocabulaire, notamment le terme de tribu, renvoie à une vision des Amérindiens comme des primitifs, leurs territoires leur sont concédés comme territoires de chasse, ils n’en sont pas propriétaires. Dès 1765 les Malécites demandent que leur territoire soit protégé des empiétements des colons. En 1767 le gouverneur Murray reconnaît que le gouvernement britannique doit respecter les relations de nation à nation qu’il a avec les « Sauvages » du « Domaine du roiPar référence au domaine royal de l’époque française ».

Au cours du XIX e siècle, à plusieurs reprises et pour différentes nations indiennes, cette question du territoire est posée (Mohawks de Saint-Régis en 1839).

De la reconnaissance (1763) à l’oubli puis à la dispersion des Malécites (1869)

En 1774, par l’Acte de Québec le roi Georges reconnaît des droits aux Français, mais ne dit rien en ce qui concerne les droits des peuples autochtones qui sont peu à peu exclus de la fondation de la Confédération canadienne. En 179 l’Acte constitutionnel qui vise à satisfaire les demandes des sujets loyalistes qui ont quitté les États-Unis à la suite de la guerre de l’Indépendance amorce une municipalisation du territoire qui permettra la spoliation du territoire traditionnel des Malécites. Le rapport Bagot fixe les règles de la nouvelle politique indienne mise en place à partir de 1847. Dès 1850, les premières lois discriminatoires isolent « Indiens » dans les réserves, tout en définissant légalement leur statut. Les territoires de chasse, réservés issus de la période française disparaissent au profit de « réserves » dépendant uniquement du gouvernement fédéral (1867).

Les projets comme la construction du chemin de fer transcanadien, l’occupation des terres du Nord pour l’agriculture ou l’exploitation forestière favorisent les empiétements sur les territoires « indiens ».

Les enquêtes publiques sur les questions autochtones, entre1828 et 1858, qu’étudient l’ouvrage montre comment s’est mis en place et a été justifié un système d’exclusion des peuples autochtones ces « sauvages », assoiffés de guerre, qu’il faut à tout prix civiliser. Cette image de l’Indien comme un humain dégénéré proche de l’animal a été largement inscrite dans l’opinion, relayée, jusqu’à une époque très récente ; dans les manuels scolaires.

Les auteurs présentent les étapes de la spoliation du territoire traditionnel malécite de la demande de création du village de Viger en 1826 à sa perte en 1869 qui a conduit à la dispersion des Malécites.

De la dispersion à la renaissance de la Nation Wolastoqiyik du Saint-Laurent

Au cours du XXe siècle, la mise en valeur des ressources naturelles sur les terres publiques du Québec amène à un projet de loi qui permet de reconsidérer la politique et les droits des peuples autochtones. Ce projet est présenté en 1969 au Parlement fédéral : livre blanc sur la politique indienne.

Les auteurs montrent comment ces évolutions (Constitution de 1982 ) ont permis aux Autochtones de revendiquer leurs droits même si la « Loi sur les Indiens » de 1876 continue de s’appliquer. Cette période est à la fois celle d’un changement de mentalité et de l’émergence d’une demande par les Amérindiens, de réaffirmation de leur identité.

En 1987, on peut parler d’une renaissance de la Première Nation Malécite de Viger. 130 représentants de la Nation se réunissent les 27 et 28 juin dans la ville de la Rivière-du-Loup.

note A Cacouna, près de Rivière-du-Loup, se trouve la seule communauté malécite du Québec

Les auteurs montrent la reconstitution d’une communauté avec un conseil élu. L’Assemblée nationale du Québec reconnaît officiellement, le 30 mai 1989, la Nation malécite au même titre que les 10 autres Nations autochtones (déjà reconnues en 1985). Les Malécites pourront signer des ententes pour assurer l’exercice :

« – du droit à l’autonomie au sein du Québec ;

– du droit à leur culture, leur langue, leurs traditions ;

– du droit de posséder et de contrôler des terres ;

– du droit de chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques ;

– du droit de participer au développement économique du Québec et d’en bénéficier, de façon à leur permettre de se développer en tant que nation distincte ayant une identité propre et exerçant leurs droits au sein du Québec.»Cité p. 233-234

Les auteurs présentent leur recherche sur les familles malécites du XVIIIe siècle à nos jours. Le 6 juin 2019, une entente regroupant les représentants des Malécites, des Innus, des Abénaquis et des Attikameks est signée à Québec. Les chefs affirment dans le cadre d’un traité solennel leur droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale sur leur territoire ancestral.

Conclusion

Cette recherche montre que la nation des Malécites / Wolastoqiyik Wahsipekuk occupe son territoire depuis plusieurs millénaires.