Les temps forts du conflit
On peut identifier deux types de temps forts, militaires ou politiques. L’auteur consacre souvent une double-page à chaque événement. Le temps fort militaire d’une guerre c’est la bataille, ici les batailles de Gallipoli, Verdun, Jutland, la Somme … Dessinateurs et illustrateurs montrent à travers ces combats l’adversaire, Français et Anglais pour les Allemands, Turcs et Autrichiens pour les Russes. Les pertes, aussi, celles de l’ennemi évidemment, servent à motiver les populations : faire défiler devant le Kaiser une armée de squelettes pendant la longue bataille de Verdun remonte le moral des populations alliées. L’issue de la bataille n’est bien sûr pas oubliée : alors que des images allemandes montrent la « défaite britannique » au Jutland symbolisée par un John Bull revenant dans un piteux état du Skagerrak ou les pertes franco-britanniques pendant la bataille des Dardanelles, on répond côté allié par la réussite que représente le blocus de l’Allemagne ou les victoires russes des premières semaines de conflit.
En politique, les entrées en guerre scandent le récit qui s’achève par la victoire alliée et le traité de Versailles. Au fil des pages, apparaissent les nouveaux belligérants et les images qui leur sont associées : les Turcs systématiquement affublés de leur fez, les Italiens en bersagliers ou l’Italie sous forme de botte, les Etats-Unis et l’oncle Sam… Des entrées en guerre oui mais aussi une sortie de guerre, celle de l’empire russe et la fin de la guerre, traité de Versailles et livraison de la flotte allemande en particulier. Une dernière image présente les chefs d’état alliés attirés par un bruit, celui d’un enfant que l’on devine allemand. Il est en train de pleurer la défaite et le diktat ; la touche finale apposée par l’auteur tient en ce court texte situé au-dessus de l’enfant « 1940 class ».
Les grandes figures
Le Kaiser, le Tsar, le président Wilson, Clémenceau, Orlando… pour les politiques, Pershing, Foch, Joffre, Hindenburg…pour les militaires et enfin une allégorie, John Bull constituent la galerie de personnages rencontrés au fil des pages. Guillaume II, John Bull et Nicolas II reviennent le plus souvent ; pour les souverains, peu d’images sont flatteuses ou positives si ce n’est celle montrant le tsar donnant la fessée à un soldat prussien. Pour le reste, dénigrer et ridiculiser sont les objectifs des auteurs.
Prenons la figure de Guillaume II la plus présente. Avant-guerre, la volonté expansionniste du kaiser est illustrée par le dessin de Jack Walker, du Daily Graphic, montrant un kaiser attablé en train de dévorer le monde à la sauce Bernhardi, l’auteur de « l’Allemagne et la prochaine guerre », publié en 1912 et dans lequel il exposait les options de l’Allemagne lors du futur conflit : conquérir ou périr. Peu après le début des hostilités, il est celui qui piétine la neutralité belge, déchirant violemment sous le crayon de G.A.Stevens le traité garantissant la tranquillité belge.
Côté français, Guillaume est accompagné, dans le dessin de Maurice Radiguet, de deux de ses alliés qu’il tient à bout de bras, l’empereur d’Autriche-Hongrie sous les traits d’un vieillard à canne et l’empire ottoman, un homme non pas malade mais à jambe de bois. Les illustrateurs russes se montrent plus féroces avec l’empereur d’Allemagne. Il est une fois l’antéchrist accompagné d’une horde de vampires et sur une autre affiche l’une des têtes d’un hydre attaqué par un chevalier russe.
Dénoncer, dénigrer, mobiliser
La propagande fut l’une des armes de la première guerre mondiale servant à dénoncer les agissements de l’ennemi, l’abaisser ou encore pour mobiliser, encourager une population à soutenir l’effort de guerre. Tout ce que les historiens de ce conflit ont démontré dans leurs travaux et ce que les enseignants enseignent à leurs élèves figurent dans ces 160 pages.
Dénoncer l’adversaire fut un des thèmes récurrents de la propagande dans les deux camps. Sa brutalité d’abord comme le fit Francisque Poulbot lorsqu’il mit entre les mains de deux prussiens enivrés une fillette qu’ils s’apprêtent à tuer. En 1917, une affiche de recrutement américaine n’utilise pas d’autre ficelle, faisant de l’Allemand un espèce de King-Kong, sortant d’une ville qu’il a ravagé, une femme aux vêtements déchirés dans les bras, monstre qu’il faut détruire dit le message de l’affiche.
La bêtise aussi. Une affiche hongroise se moque sans vergogne des alliés : l’ouverture d’un fût de bière par deux soldats, un allemand et un hongrois, fait se rendre en masse les troupes de la Triple entente désireuse de boire une bière.
Chaque pays va mobiliser l’arrière. Il faut alimenter le front en hommes : la fameuse affiche « Britons, Kitchener wants you » intime l’ordre à tout britannique de rejoindre les rangs de l’armée ; sur un autre ton, une autre affiche de 1915 joue sur la culpabilité ressentie par le père face à la question de sa petite fille : « Papa, qu’as-tu fait pendant la grande guerre ? ».
Aider le front c’est aussi donner son argent : les gouvernements encouragent leurs populations à investir dans des bons et des emprunts pour « écraser l’Allemagne », « en se rappelant de la Belgique » (de son invasion par l’Allemagne), pour mettre fin aux atrocités allemandes sur une affiche philippine, pour permettre la fabrication des armes indispensables au front.
Une guerre totale
Une guerre économique donc mais aussi une guerre technologique et industrielle. Aviation, gaz, tank constituent une partie des nouveaux équipements mis à l’essai puis utiliser à plus ou moins grande échelle. L’utilisation du gaz est dénoncé par un dessin de Léo Cheney se demandant s’il existe une limite à la « Kultur » allemande ; d’autres en rient tels ces soldats allemands, qui avertis d’une attaque au gaz, sont vite rassurés reconnaissant l’odeur très particulière de l’ersatz de tabac fumé dans une tranchée voisine. Autre innovation, le tank relevait d’un projet top-secret. Le peu d’informations dont disposa la presse britannique en 1916 l’amena à donner des formes étranges à cette nouvelle arme. Il faut attendre les premières opérations pour que des dessins réalistes paraissent dans la presse. Tout comme le gaz, cette arme est accusée des pires maux, ici par les journaux allemands lui attribuant la destruction de Cambrai.
Les colonies occupent une place non négligeable et leur apport est souligné par l’auteur et les illustrations qu’il a sélectionné. C’est avant tout la mobilisation de l’empire britannique qui est mise en avant : un soldat australien, lançant un appel à ses compatriotes, rappelle que les Dardanelles furent le premier engagement de grande envergure des Australiens et des Néo-zélandais, bientôt supportés par des Indiens, des Sud-Africains qu’une affiche questionne : « Allez-vous soutenir vos compagnons outre-mer pour la bataille finale ? » (1915).
Les troupes coloniales françaises ne sont pas en reste, une journée leur est même dédiée mais les soldats noirs n’échappent pas aux insinuations racistes les comparant à des singes, en faisant des soldats de seconde zone membre d’un 5ème régiment gorille, 1er bataillon ersatz du Sénégal.
La participation féminine n’est pas omise, elles furent infirmières, volontaires de corps auxiliaires au Royaume-Uni mais il est à noter que l’auteur ne s’appesantit pas plus que cela sur le sujet.
Vaste sujet que celui de la propagande. Ce livre ne l’épuisera pas mais il apportera sa petite pierre à l’édifice grâce à un corpus documentaire qui renouvellera avec bonheur le stock d’images des enseignants français.