L’observation d’un planisphère politique laisse à voir un monde ordonné où chaque parcelle de terre émergée est sous la souveraineté d’un Etat bien identifié. Derrière cet ordonnancement de surface se cache(nt) une (des) situation (s) bien plus complexes ; des espaces plus ou moins vastes échappent à leur Etat de référence illustrant « un symptôme de non-fonctionnement de l’Etat », « traduction d’un phénomène de crise » donnant naissance aux zones grises, objet défini et caractérisé par Gaïdz Minassian.
Les exemples sont nombreux et font l’objet de développements particuliers dans la seconde partie de l’ouvrage. Le pluriel utilisé ne renvoie pas uniquement à la multiplicité des espaces concernés mais aussi à l’existence de différences dans la structuration de ces zones grises. Voilà pourquoi, il est en premier lieu question de définition (s) pour permettre au lecteur de trouver son chemin dans les subtilités que recouvre cette notion. Celle-ci n’existe pas en droit international. L’auteur fait donc œuvre de pédagogie en tentant d’élaborer définition et typologie des zones grises.
Selon lui, trois principes doivent être pris en compte. La « concurrence d’autorité » dans ces espaces où l’autorité de l’Etat tutélaire est supplantée par une autorité de substitution définissant un « ordre nouveau », des règles nouvelles, remettant ou pas en cause l’Etat en place et usant de formes de violence inhérentes à son existence. La « dérégulation sociale » est la deuxième pierre à l’édifice d’une zone grise, le lien Etat/Société est rompu pour une frange de la population. Enfin, la privatisation du territoire achève de la constituer, celui-ci pouvant être perçu comme un marché (pour les mafias) ou une entité à décomposer pour permettre la sécession d’une partie dudit territoire.
Gaïdz Minassian s’attache par la suite à décomposer le process de fabrication de la zone grise. A l’origine est la « négation » d’une situation, du détenteur du pouvoir pouvant aller jusqu’à la lutte conte l’Etat. Cette dynamique interne peut être impulsée ou accélérée par des acteurs extérieurs, des Etats comme la Russie (en Ossétie du Sud), le Pakistan (les zones tribales) en seraient des exemples particulièrement éclairants. Enfin, les problématiques d’échelle mondiale telles que les flux migratoires ou les déséquilibres alimentaires participent de cette fabrication.
Viennent dans le seconde partie les cas particuliers au nombre de huit. Dix à trente pages, agrémentées d’une carte, mettent en lumière causes, enjeux et situation actuelle de zones sélectionnées représentant des échelles diverses allant des quartiers prioritaires en France aux territoires de la criminalité transnationale en passant par les Etats du Pakistan et de la Somalie. Pour l’essentiel, les situations abordées sont dans l’impasse, seules les FARC semblent être sur le reculoir. Ailleurs, dans le Haut-Karabagh, les zones tribales, Gaza ou en Somalie, les situations apparaissent, à divers degrés, bloquées alors que d’autres émergent, en mer(s) de Chine par exemple, où la République Populaire favorise selon l’auteur le développement d’activités illicites en attendant d’imposer sa domination.

Avec cet essai, Gaïdz Minassian lève un coin du voile sur des questions rarement abordées dans leur complexité et propose des pistes, certes générales, pour résorber ces zones où des Etats ont perdu le contrôle.