La récente séquence commémorative du centenaire de la Grande Guerre a donné lieu à une importante floraison éditoriale, balisée par de nombreuses productions locales d’envergure et d’intérêt variable. Il n’est donc pas malvenu de signaler la qualité et la singularité de cette monographie départementale, centrée sur la relation entre le monde scolaire et le conflit inaugural du XXe siècle. La fécondité de son approche tient au fait d’appréhender le monde éducatif poitevin comme un fait global, en considérant non seulement la contribution à la guerre des personnels, mais aussi celles des élèves et des structures. Le découpage chronologique adopté présente l’intérêt supplémentaire d’élargir la perception à la préparation patriotique préalable à 1914 menée par l’institution scolaire, ainsi qu’à la mise en mémoire et au retour à la normalité pédagogique qui ordonnent les premières années de l’après-guerre.
La part la plus substantielle du volume revient naturellement à la période des hostilités. L’évocation de l’expérience combattante des 500 enseignants du département de la Vienne appelés sous les drapeaux confirme la vocation d’encadrement subalterne assumée par les enseignants dans les rangs de l’armée, et souligne les implications qui en résultent en termes de sacrifice. Mais on découvre aussi la vigueur de la solidarité et de la sociabilité professionnelle, qui assure le maintien de liens consistants avec les enseignants combattants, hospitalisés ou prisonniers. Les canaux associatifs, syndicaux et pédagogiques y veillent en y associant les enfants des écoles, ce qui permet d’atténuer la coupure entre le front et l’arrière.
Moins bien connu et d’autant plus instructif est le tableau brossé de la mobilisation scolaire dans la Vienne. Le fonctionnement d’une continuité scolaire en mode dégradé pose la question du remplacement des personnels mobilisés. Dans la ruralité, le service de l’enseignement n’est pas seul en cause : les secrétariats de mairie sont également mis en difficulté par le départ aux armées de leurs titulaires. Il faut recourir aux services de retraités et d’intérimaires, en comptant là comme ailleurs sur les femmes pour assurer utilement la relève. Il faut également faire face à une crise des locaux, du fait de la réquisition d’une partie des établissements comme casernes ou hôpitaux. D’autant que les effectifs d’élèves et d’étudiants ne diminuent pas, en raison de l’afflux de réfugiés provenant des régions occupées de Belgique et de France. Les contenus pédagogiques sont mis eux aussi au service de l’effort de guerre, y compris de manière indirecte pour lever des fonds au profit des œuvres et emprunts de guerre. Après la Victoire, l’émergence des pratiques commémoratives, les actions d’aide aux enfants, et la remise en ordre du corps enseignant sont successivement considérées. On en retiendra la puissance de l’ombre portée du conflit, qui relativise l’émergence du sentiment pacifiste malgré la sincérité de ses quelques partisans.
Tous les ordres d’enseignement sont pris en compte, qu’il s’agisse du public comme du privé, du primaire, du secondaire et de l’université, sans négliger l’institution des sourds-muets et aveugles. Cette étude sérieuse et soignée, égayée de nombreuses illustrations et disposant d’un double index nominatif et topographique, s’appuie sur un dépouillement minutieux des archives administratives, des publications professionnelles et de la presse locale. La qualité du résultat final doit être mise au crédit du travail collectif d’une équipe de sept enseignants retraités de la Vienne : Jean-Louis Archambault, Jacques Arlaud, Guy Barot, Yves Delbos, André Sapin, Michel Sapin et Jean-Yves Vénien. Leur intimité avec le sujet nourrit une synthèse estimable, qui conviendra assurément aux Poitevins et mérite également d’être signalée à l’attention de la profession enseignante.
© Guillaume Lévêque