Emmanuel Amaury, responsable de la bibliothèque du Palais Bourbon ressuscite ici le dernier propriétaire dudit palais. Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, est un personnage oublié de l’Histoire de France. Pourtant sa vie prend place aux heures les plus mouvementées du pays.
C’est le 13 avril 1756 qu’il naît, pendant le règne de Louis XV. Son père, Louis-Joseph de Bourbon, est un grand soldat qui quitte sa famille très tôt pour s’illustrer dans la Guerre de Sept Ans. Alors qu’il n’a que trois ans, Louis voit l’une de ses sœurs emportée par la petite vérole, sa mère affligée et à peine remise de sa propre maladie décède une dizaine de mois plus tard. Louis et la cadette, Louise-Adelaïde sont éduqués séparément en l’absence de leur père.
Adolescent, Louis découvre les plaisirs de la chair assez tôt. On lui prête déjà un bâtard lorsqu’il rencontre Bathilde d’Orléans en 1769. Il a treize ans, elle, dix-neuf. Il insiste tant que les familles et le roi acceptent. Le mariage ne sera cependant pas consommé, les époux étant jugés trop jeunes. Qu’à cela ne tienne, Louis se rend quelques temps plus tard au monastère où sa belle attend. Il l’enlève ! La situation est acceptée et c’est, amusé, que le père installe sa belle-fille à l’hôtel de Lassay, la palais Bourbon étant en travaux. Six mois plus tard Louis joue les maris volages et ce n’est pas la naissance du petit Louis-Antoine-Henri, nommé duc d’Enghien, qui le ramène au foyer. Bathilde se console ailleurs . Jalouse des maîtresses de son mari, elle s’emporte également contre celles qui courtisent ses prétendants. Ainsi le roi lui demande de s’éloigner de la cour après une dispute publique. Louis se bat tout de même en duel pour sauver l’honneur de Bathilde, calomniée par l’un de ses amants.
Louis devient père de deux filles illégitimes en 1780 et 1782. Si l’on peut dresser le parcours de la première, la vie de la seconde manque de sources. Bathilde aussi met au monde une fille hors mariage qu’elle parvient à protéger en la faisant passer pour la fille de son secrétaire. Cependant, le mariage éclate pour de bon fin 1780 lorsqu’elle fait représenter une pièce qu’elle a commanditée sur les amours de son beau père et son mari. Le scandale est tel que les portes de la famille Condé lui sont désormais closes. Elle ne peut voir son fils qu’une fois par semaine. Sa seule compensation est financière. Si elle ne paraît plus à la cour elle visite régulièrement Marie-Antoinette au Trianon.
Viennent ensuite le temps de la guerre franco-anglaise en 1778. Les Condé participent à la modernisation de l’armée et aux combats. Louis quitte Chantilly pour Gibraltar en juillet 1782. L’année suivante la paix est signée laissant un gouffre financier. Il faut trouver des solutions. Les notables, à l’invitation du roi se réunissent en plusieurs bureaux. Louis fait diverses propositions mais non suivies. La révolte gronde, le peuple a faim. Pendant ce temps, Bathilde s’est découvert une passion pour l’ésotérisme. Elle reçoit le magnétiseur Mesmer et tient salon dans son nouveau palais, l’hôtel d’Evreux, futur Élysée, racheté à Louis XVI.
La Révolution éclate. Le 10 juillet 1789, un serviteur des Condé se fait insulter par le peuple. Le 14, c’est la prise de la Bastille. L’inquiétude grandit à Chantilly. Le père prend tout de même des nouvelles à Paris contre l’avis de sa famille. Une dernière rencontre avec le roi et la certitude qu’il faut partir pour la Belgique. Il faut deux heures pour préparer l’essentiel et voici le grand-père accompagné de sa maîtresse ; Louis et sa sœur ; le dernier, le duc d’Enghien sur les routes. Emmanuel Maury accélère alors le rythme de son récit, nous sommes emportés par sa plume à travers l’Europe. Certaines villes sont accueillantes, d’autres voient d’un mauvais œil arriver ces émigrés qui menacent la sécurité du pays et forment une armée pour reprendre Paris. Les pays voisins se lancent dans les combats à contre cœur, encore faut-il la déclaration de guerre à l’Autriche ou la décapitation du roi pour que l’alliance se forme enfin. Les troupes émigrées sont peu utilisées voire remerciées. Les Condé négocient et parviennent à intégrer leurs 6400 hommes à l’armée impériale du Haut-Rhin. Les conditions de vie des soldats sont difficiles, mal ravitaillés, mal équipés, ils tiennent bon malgré tout.
Le château de Chantilly est pillé. Quant à Bathilde, devenue dévote, elle se range du côté des révolutionnaires et sauve sa tête. En juin 1795, la nouvelle de la mort de Louis XVII remobilise les émigrés autour du comte de Provence, devenu Louis XVIII. Le duc de Bourbon décide d’embarquer pour l’Angleterre. Le but est d’obtenir l’appui de ce pays pour organiser un débarquement en Vendée où les Chouans se tiennent près. C’est un échec.
Louis décide malgré tout de rester en Angleterre. Il obtient un logement et une rente pour l’aider à tenir son rang. La vie des émigrés est faite de débrouille : cours particuliers, couture, tout est bon pour gagner quelque argent. En 1796, Louis reçoit des nouvelles d’une ancienne maitresse qui lui demande de l’aide pour élever leur fille Adélaïde. Il accepte, la place en pension, et lui donne plus tard un rang en la mariant au comte de Rully. Entre temps, Condé, qui ne pouvait plus assurer le maintien de son armée a rejoint son fils à Londres. C’est là qu’ils apprennent l’arrestation du duc d’Enghien le 3 avril 1804. Les demandes diplomatiques n’y font rien, l’exécution avait déjà eu lieu et l’annonce de sa mort arrive le 10 avril. Louis perd un fils et comprend également que c’est la fin des Condé, qu’il est le dernier de la lignée à porter ce nom.
Louis se console dans la chasse et les sorties . Il rencontre des filles dont Sophie Dawes qui s’impose à lui en 1811. Elle n’a qu’une vingtaine d’années quand il en a 55. Il lui apporte des moyens financiers et lui fournit des maîtres pour faire son éducation. Ainsi Sophie, ambitieuse, acquiert-elle les moyens de fréquenter le beau monde.
Avec la chute de Napoléon, Louis rentre à Paris le 3 mai 1814. Tout a changé jusqu’au palais Bourbon devenu le lieu de réunion du pouvoir législatif. Si les Condé peuvent le réintégrer une partie reste louée à la Chambre des députés. Le Grand Château de Chantilly a été rasé et le Petit est très abîmé. Ayant retrouvé leurs subsides, les Condé organisent les travaux. Avec les Cent Jours c’est en Espagne que Louis trouve refuge. Malgré Waterloo, Louis ne veut plus rester en France. Il regagne Londres le 28 août 1815. Il rencontre alors Sophie Harris sont il s’éprend. Elle tombe même enceinte mais l’enfant meurt en bas âge. Sophie Dawes n’a pas dit son dernier mot. Venue à Paris, elle rencontre le fils d un bourgeois de Paris, officier d’infanterie de la Garde royale. Elle se fait passer pour la fille du duc de Bourbon dans l’espoir de se marier. Louis accepte de fournir les moyens financiers à cette union.
Cependant c’est la mort de son père, en mai 1818, qui le ramène à Paris. Sophie Dawes en profite pour refermer son emprise sur lui. Louis a désormais 62 ans et est le dernier Condé encore vivant bien qu’il en refuse le titre de prince, préférant rester le duc de Bourbon. En 1824 la relation avec Sophie Harris, déjà étiolée, prend fin. C’est désormais l’autre Sophie, devenue de Feuchères, qui règne sur Chantilly. Les événements malheureux se succèdent avec la mort de Bathilde puis de la sœur de Louis. Adrien de Feuchères, de son côté, excédé, fait tomber l’opprobre sur sa femme ; Sophie doit se retirer. Louis finit par la rappeler et lui organise une succession la mettant à l’abri du besoin.
Se jouent les dernières pages de la vie du duc de Bourbon. Il devient important de lui trouver un héritier. Sophie est la principale instigatrice du testament qui lègue toute la fortune des Condé aux Orléans à travers la personne du duc d’Aumale. D’abord réticent, Louis cède aux caprices de sa maîtresse qui y trouve un intérêt personnel. Elle se place auprès de la future monarchie et obtient beaucoup de ce testament. Et c’est justement en 1830, avec les Trois Glorieuses, que le drame se joue. Louis reste fidèle à Charles X. S’il avait accepté de doter les Orléans c’était car ils ne devaient pas monter sur le trône. La succession est renversée par la nouvelle révolution, les souvenirs reviennent, Louis hésite à retourner en Angleterre comme l’a fait Charles X. L’inquiétude est grande, et s’il changeait son testament ? Le 27 août 1830, Louis est retrouvé pendu dans sa chambre.
La thèse du suicide est écartée par l’auteur lui-même. Louis ne pouvait lever le bras suite à une blessure et donc nouer les mouchoirs qui ont servi à le tuer. Les rumeurs de l’époque vont bon train accusant Sophie et éclaboussant les Orléans. La lecture du testament y invite. Plusieurs hypothèses sont proposées, de l’accident au meurtre déguisés en suicide. Le mystère demeure.
Grâce à des recherches pointues et des détails passionnants, Emmanuel Maury nous fait rentrer dans l’intimité du dernier des Condé. On se prend d’affection pour le personnage et l’on parcourt les pages avec plaisir au rythme d’une belle écriture, elle-même pleine de tendresse.