L’auteur, Frédéric Rousseau est professeur d’histoire contemporaine à l Université Paul-Valéry de Montpellier et spécialiste de la Première Guerre mondiale. Il précise dès l’introduction son propos : la célébration du centenaire a, selon lui, diffusé une interprétation du consentement patriotique qui par la brutalisation aurait conduit à la « prorogation de la haine de l’ennemi »1. Les sources choisies disent, selon la stratification sociale, une autre réalité, une variété de situations et de vécus. De nombreux témoignages sont appelés pour décrire ces réalités.
Choc, jeux de rôles et mises en guerre
Dans son premier chapitre Frédéric Rousseau analyse le moment de la mobilisation qui certes exprime le patriotisme, la réponse à la conscience d’un danger mais bien d’autres choses aussi selon les situations économiques, sociales, géographiques des mobilisés et de leurs familles.
Il étudie, de manière précise, des témoignages écrits. Il montre le rôle d’agent de la mobilisation assigné par exemple aux instituteurs et la place de l’émotion face au choc de l’annonce de la guerre qui a fait des mobilisés des soldats, un « rôle endossé au départ »2, entre faire son devoir et brevet de masculinité. L’auteur met en évidence une forme de conditionnement. Notons qu’il s’appuie sur la correspondance de quelques mobilisés plus ou moins célèbres comme les historiens :Marc Bloch et Jules Isaac, l’avocat Abel Ferry3 ou l’anthropologue Robert Hertz.
Mises en guerre des inégales
Pour traiter des femmes, des inégales ce sont encore les correspondances familiales qui sont étudiées. Ces correspondances représentent comme un « devoir d’écriture » pour maintenir le lien, une démarche souvent nouvelle pour les couches populaires qui entrent dans l’écrit, une forme de « mise en guerre » pour les paysannes, les ouvrières appelées à jouer un nouveau rôle dans la famille comme dans l’économie. La correspondance du couple de cultivateurs Paul et Marie Loubet en est un bon exemple. L’auteur montre dans les déplacements des familles liés à l’avancée du front une forme de participation à la guerre. Il rapporte les sentiments lors des visites aux blessés et les écarts sociaux dans ce domaine comme dans celui des permissions.
L’engagement des femmes est présenté : au quotidien (tricot, charpie, aide aux orphelins), celui des infirmières issues de la bourgeoisie comme des couches populaires. La place des femmes dans cette guerre se situe entre opportunité et hantise du nivellement social.
Tuer les ennemis de la patrie
Ce troisième chapitre est consacré aux violences de guerre, plus ou moins proches de l’ennemi. L’usage généralisé de l’artillerie, la mort infligée de loin dominent. Elle est synonyme d’abstraction comme le montre les lettres des poilus. L’auteur aborde ensuite les combats en situation plus rapprochée où les tirs se situent entre performance sportive et mission de sécurité.
Le poids de l’émotion après la perte d’un ami et le sentiment de vengeance sont souvent exprimés. Le paragraphe concernant les combats rapprochés dans les tranchées montre la rencontre de deux peurs (Front d’Orient et textes de Genevoix et de Jünger). Une question sans réponse : Peut-on parler de crimes de guerre ou de crimes dans la guerre ?
L’auteur achève ce chapitre par un témoignage longitudinal, on suit Lucien Laby d’août 1914 à février 1918.
La conclusion, Penser le monde social (en guerre), est reprise d’une précédente publication 14-18, La Grande Guerre des Sciences sociales (Athéna éditions, 2014), Frédéric Rousseau y évoque la figure du consentant et celle du dissident.
1p. 13
2p. 50
3Neveu de Jules Ferry