Les auteurs opèrent alors un retour en arrière, en février 1916 donc. Arsène a écrit à sa future femme, employée dans une usine fabriquant des obus. Il lui raconte la violence des combats, dont il pensait avoir vécu le pire. À tort. On est étonné par la précision de la relation de ses sentiments, lui qui est de condition très modeste, et d’un niveau scolaire probablement élémentaire. Mais ce serait faire preuve d’un préjugé mal placé, et oublier ce qu’on a lu dans l’autobiographie d’Eugène Cotte, dans son Je n’irai pas ! Mémoires d’un insoumis.Au-delà de la brutalisation des hommes, bien restituée par un dessin précis, comme à l’habitude, le propos des auteurs s’attarde surtout sur les relations entre l’unité d’Arsène et celle de « coloniaux ». La présence de ces tirailleurs « sénégalais », pour reprendre le terme générique employé pour désigner les contingents de l’Afrique équatoriale et occidentale française, crée à la fois de la curiosité mais aussi des tensions, mais ne laisse pas indifférent. La confrontation à la différence n’est pas très simple. Cet Autre est incarné par Mamadou, venu de Dakar (un véritable Sénégalais), dont la conversation montre qu’il possède les codes culturels métropolitains. Mais on n’aura pas d’autre élément sur ses origines sociales, mais ce qu’on en devine suffit largement à notre compréhension des choses, qui ne sont donc pas assénées comme dans une leçon.
On ne dira rien des péripéties et des retournements de l’histoire, bien menée. Comme dans chaque volume de la série, on se surprend à être emporté par le récit. Au-delà du dessin et du travail de documentation, le choix de s’appuyer sur un homme en particulier permet de considérer les événements d’ «en-bas». Cela facilite l’identification, d’autant qu’on accède aux sentiments des personnages.——-
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes