« Le voyage sur la Lune était l’oeuvre du Diable ». Par cette formule, inspirée d’une question de Norman Mailer en 1970, Laurent Thierry, docteur en histoire qui préface cette bande dessinée, veut souligner l’importance de faire connaître le rôle de Von Braun.
En effet, cet ingénieur qu’on associe au premier voyage de l’homme sur la Lune est aussi un ingénieur qui avait mis son savoir et ses connaissances au service des nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Robin Walter, qui a déjà publié plusieurs albums dont « KZ DORA » ou « Maria et Salazar », a choisi un récit avec plusieurs flash-back qui permettent de suivre en parallèle l’ascension de Von Braun dans l’Allemagne des années 30 et l’Amérique des années 50. En fin d’ouvrage, on peut signaler trois pages très pratiques qui présentent les principaux personnages. On dispose également d’une chronologie très détaillée.
Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale
L’ouvrage commence en mai 1945 au moment où Von Braun passe du côté des États-Unis en compagnie de son frère Magnus et de quelques autres proches. On est frappé dès le départ par le magnétisme que Wernher Von Braun dégage. Il possède indéniablement une grande capacité à éblouir ses différents auditoires. C’est notamment pour cela qu’il réussit à faire venir avec lui une grande partie de ses collaborateurs. En 1947, Von Braun se retrouve témoin dans le procès du camp de Dora. Exempt de toute condamnation, il commence une série de conférences publiques où il brille. Lorsque les États-Unis apprennent que l’URSS possède la bombe, ils décident cette fois de confier un projet de fusée à Von Braun.
L’ascension de Von Braun
On suit Wernher Von Braun dans sa nouvelle vie à Huntsville en Alabama. A l’époque, il est encore concurrence avec la Navy. Walt Disney joua un rôle important dans la promotion de Von Braun. Il réalisa en effet en 1955 une émission sur le thème de l’homme dans l’espace où le charisme de Von Braun fit merveille. Ce programme fut projeté au début des séances du film « Davy Crockett et les pirates de la rivière » et fut même nommé aux Oscars dans la catégorie « courts métrages documentaires ». A partir de là, Von Braun est célèbre à travers les États-Unis et apparaît bientôt comme l’homme providentiel. En 1955, il prête serment à la Constitution des États-Unis. Après plusieurs mois d’attente, le projet porté par Von Braun n’est pas choisi car le gouvernement considère alors que ce serait un mauvais signe d’associer son image à celle de ce scientifique allemand. Il décroche peu après un contrat pour un autre programme, à savoir la construction du missile Jupiter en coopération avec la Marine. Il est désormais responsable de 3 000 personnes, son salaire augmente mais il reste sous les ordres du général Medaris. Le soir, lors de l’un de ses rares moments en famille, Von Braun raconte à sa fille l’histoire des fusées. A cette occasion, on voit l’importance de Tsiolkovski qui énonça le principe de l’étagement des fusées, condition pour permettre d’atteindre des vitesses qui permettent d’échapper à la gravitation terrestre.
Von Braun incontournable
En 1957, Spoutnik apparaît comme un coup de tonnerre dans la course à l’espace que se livrent Américains et Soviétiques. On mesure bien qu’à cette époque ce sont les Soviétiques qui sont devant. Le président des Etats-Unis décide cette fois que Von Braun est le recours. Après un premier succès, il est alors de plus en plus sollicité. On se rend compte de son incroyable force de travail. L’auteur insiste ensuite sur la fondation de la Nasa en précisant bien qu’il s’agit là d’un organisme civil. Régulièrement, Von Braun est interpellé lors de ses conférences de presse sur son passé nazi, mais il parvient toujours, au prix de pirouettes et d’un indéniable talent oratoire, à se sortir des situations embarrassantes. Pourtant les faits sont là : en 1943, Von Braun se rend à plusieurs reprises sur le site de production des V2 à Dora. Le nouveau site de construction exploite très clairement la main d’œuvre concentrationnaire. En 1944, le premier exemplaire de V2 est au point. Robin Walter montre aussi les luttes d’influence qui existaient chez les nazis selon les options militaires privilégiées. C’est pour cela que, parfois, Von Braun est écarté avant de revenir en grâce.
Un objectif : la Lune
En janvier 1961, Kennedy et les Américains ne peuvent que constater que les Soviétiques sont toujours devant. Ils engrangent enfin des succès avec l’envoi d’un astronaute dans l’espace et avec le vol de Scott Glenn en 1962. Le climat de l’époque est bien précisé car on est alors en pleine crise de Cuba. Malgré la mort de Kennedy, Von Braun est toujours en grâce auprès des autorités américaines. Il apprend alors qu’un livre à paraître s’apprête à faire des révélations sur son passé. On a vraiment l’impression que Von Braun est inoxydable car rien n’y fait, tout comme cette autre enquête de Paris-Match en 1965. Dans cette course à l’espace que se livre les deux Grands, on apprend en 1966 à la fois la mort de Korolev et le fait qu’il était le père du programme soviétique. Parfois, Von Braun connaît quand même des coups d’arrêt comme lors de la mort des astronautes en 1967. Cependant, de nouveaux succès se profilent, comme en 1968, où pour la première fois l’homme quitta l’orbite terrestre.
Mission accomplie
Le moment culminant, c’est évidemment les premiers pas de l’homme sur la Lune. Von Braun assure le show autour de cet évènement. Il est une nouvelle fois interrogé sur son passé et n’est toujours pas désarçonné par les interrogations soulevées à son encontre. Si on devait résumer le sentiment des Américains à l’égard de Von Braun, on pourrait s’appuyer sur la déclaration de Buzz Aldrin, reprise dans l’ouvrage : « Von Braun est une personnalité dotée d’un grand charisme. Sans lui, sans sa ténacité à poursuivre son but, sans son talent de manager, nous ne serions alors pas arrivés sur la Lune. »
Fin de carrière
En février 1970, il quitte son bureau de Huntsville puis démissionne deux ans plus tard de la Nasa et meurt en 1977 à l’âge de 65 ans. L’auteur s’interroge pour savoir si c’est bien là la fin de cette histoire. En effet, il faut attendre le milieu des années 80 pour que soit révélée l’opération Paperclip, opération qui permit aux Etats-Unis d’attirer chez eux plus de 1 600 scientifiques, ingénieurs et techniciens allemands dont de nombreux nazis comme Von Braun.
En postface, Robin Walter explique son intérêt pour cette période. Il raconte que son grand-père lui avait remis un cahier où évoquant ses souvenirs de déportation, il mentionnait le rôle de Von Braun. Cet ouvrage relate avec brio l’itinéraire de cet ingénieur allemand prêt à se vendre à qui lui offrait les moyens de réaliser ses ambitions.
Jean-Pierre Costille pour les Clionautes