Avant le 14 juillet
Le récit commence quelques mois avant la prise de la forteresse lorsqu’il évoque un autre épisode de soulèvement de la foule, celui de la manufacture Réveillon. Le dirigeant de cette entreprise voulait réduire le salaire de ses ouvriers au moment où la situation sociale de la France était déjà tendue. Le tout se termine dans le sang avec la mort de dix-huit ouvriers. Eric Vuillard dresse le portrait de certains d’entre eux de façon saisissante. Des membres de leur famille viennent identifier les corps et leur redonner ainsi une identité et non plus les cantonner à un simple numéro de cadavre.
Un contexte général tendu
L’auteur n’oublie pas de redonner quelques autres éléments de contexte plus attendus mais toujours sans lourdeur. A cet égard, il évoque Versailles. Sans céder aux images réductrices sur ce que représentait le château, il décrit cette « couronne de lumière » qui ne peut exister que par le travail souterrain et oublié des gens du peuple. Il soulève également la question de la dette aux étranges résonnances contemporaines. Eric Vuillard rappelle les hésitations des dernières années avec Necker ou Calonne. Les années passent jusqu’à l’ouverture des Etats généraux. C’est ensuite le temps du serment du jeu de Paume qu’Eric Vuillard évoque en quelques lignes mais qui font sentir son projet : « la volonté du peuple vient de faire son entrée dans l’histoire ».
Faire vivre l’événement
Eric Vuillard développe dans tout son livre un style puissant et convaincant. Il est difficile de passer à côté de la dimension proprement littéraire de cet ouvrage tant le fond et la forme s’articulent en un tout cohérent. Ainsi, pour décrire l’ambiance début juillet et notamment l’excitation qui prévaut, Eric Vuillard se livre à une énumération des sentiments des personnages avec leur nom, métier et sentiment. A d’autres reprises, on sent également la patte de l’auteur qui procède parfois par énumération, par répétition. A un autre endroit, il livre une description de Paris particulièrement envoûtante. Il faudrait citer en longueur plus qu’en extrait ce portrait de la capitale pour rendre compte du style de l’auteur.
Une autre histoire du 14 juillet
L’auteur choisit d’aborder différemment cette journée célèbre et pour cela il le fait sous un angle non héroïque, en l’écrivant en se situant à côté des assaillants de la forteresse. Il a ainsi recherché minutieusement l’identité de ceux qui ont pris la Bastille. On les mentionne souvent rapidement car ils sont comme submergés par l’événement qu’ils déclenchent. Peu à peu la tension monte jusqu’à l’assaut de la citadelle. On assiste alors à cette journée extraordinaire dans les moindres détails sans que cela ne soit jamais pesant. Tout bascule quand deux cadavres tombent depuis la Bastille. Les figures des assaillants se précisent avec Fournier ou Delorme. Le temps s’écoule et vers dix heures et demie « les émeutiers venant des Invalides déboulent par toutes les rues ». Le récit de la journée se poursuit et l’on retrouve alors le souvenir des événements de Réveillon. « On ne veut plus se laisser faire ». Eric Vuillard parle des pourparlers qui ponctuèrent la journée. Ensuite, « tout devient plus confus ». Le style de l’auteur fait alors merveille pour rendre compte de l’agitation, de la fureur et du bruit de cette prise de la Bastille.
Un point de vue engagé
Le point de vue de l’auteur est donc clair car il s’agit bien de décrire cette journée du point de vue des assaillants. Il tente de faire ressentir au lecteur ce qu’est une foule. Il se lance alors d’une façon assez étourdissante dans une énumération des gens présents à l’événement. Pourtant, comme il le précise, « un nom ce n’est pas grand chose. » Il n’hésite donc pas à livrer ses propres doutes sur la façon de rendre compte de cette masse. Il poursuit pourtant car pour lui « le bottin de la Bastille, c’est mieux que la liste des dieux dans Hésiode, ça nous ressemble davantage, ça nous rafraichit la cervelle ».
Le livre d’Eric Vuillard porte donc un projet : il restitue un pan d’histoire, avec un angle affirmé et porté par un style puissant. On a souvent l’impression d’être au milieu des assaillants. On perçoit les tensions, les doutes, ce qui nous détache utilement d’un récit déjà écrit. Il redonne une épaisseur à un événement qui, en dépassant ses protagonistes, les a comme engloutis dans le récit de l’histoire. Une lecture à conseiller au delà du cercle des amateurs d’histoire.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.