«1580. Carnaval sanglant à Romans» est un roman historique écrit par Christian WATERMETZ, qui est psychologue et élu de la ville de Romans. Son premier écrit du genre, « les grands goulets » paru en 2008 a été récompensé par des prix régionaux et la double sélection du prix du roman historique de Blois notamment. Au cours de ces quelques 250 pages, l’auteur nous plonge dans la France des années 1578-80 sous le règne d’ Henri III, dans un pays où ville et campagnes sont en pleine ébullition, en proie à la révolte: le Dauphiné. Cette précision géographique a son importance tant les charges, les droits et les coutumes sont différents d’un « pays » à l’autre, alors.
Là est d’ailleurs la raison essentielle de la révolte qui nous est relatée dans ce livre : il existe des paradis fiscaux. On peut considérer comme tels les régions de droit romain où l’impôt royal, notamment, est assis sur le cadastre; si on appartient aux roturiers, et plus encore au petit peuple; on peut aussi, alors, considérer, d’ailleurs, qu’habiter un pays de droit coutumier où l’impôt est reparti sur les feux roturiers c’est habiter dans un paradis fiscal pour la noblesse et le clergé et souhaiter que cela cesse comme les artisans, marchands… et le petit peuple de Romans et les paysans des campagnes alentours…
Une version de la révolte du Dauphiné et notamment de Romans.
L’impôt est inégalitaire, donc, dans le Dauphiné, pays de droit coutumier et la pression fiscale à la fin du XVI siècle y est de plus en plus lourde. Elle s’exerce notamment par le biais de la taille impôt dû au roi, qui est exigée, ce qui est contraire à la coutume héritée du XIVè siècle qui repose sur l’agrément par le pays du Dauphiné, et réclamée en ces temps de guerre. Elle est aussi le fait des villes, comme à Romans qui accroît l’octroi, le prix des produits alimentaires … pour pouvoir rembourser l’emprunt (60 000 livres), argent qui a peut-être été, en outre, détourné par les consuls comme le soupçonnent les insurgés. Enfin, dans les campagnes, c’est le fait des seigneurs dans les campagnes. Cette situation révolte les artisans, boutiquiers, et les paysans du pays : ils font connaître dès que faire ce peut leurs revendications (plus d’égalité et de libertés) aux Etats Provinciaux, à la reine mère C. de Médicis, en visite à Romans (juillet 1579) et se rebellent. Des seigneurs et seigneurie sont pris à partie et à Romans ils s’emparent pacifiquement du contrôle de la ville. Nobles et riches locaux, qui peuvent rêver d’anoblissement, voient dans ce mouvement populaire une remise en cause de leur prédominance et de leurs privilèges naturels, ils y sont formellement opposés et organisent la répression, la réaction. La tension entre les deux camps que l’auteur désigne par l’expression « classes sociales » dans le sous titre, est particulièrement sensible lors du carnaval qui donne lieux à des manifestations publiques (jeux, « scénettes »…) plus ou moins symboliques et explicites des antagonismes, des désirs de domination/soumission des deux camps. Le dernier jour du carnaval, elle est à son paroxysme. L’entrée dans le Carême sera un tournant chacun en est conscient, voire le prépare en secret . Ces préparatifs sont surtout le fait de la « réaction » , « des bourgeois », « des riches » : le juge royal Guérin qui rêve d’être anobli et autres nobles et notables de la ville, du pays. Aussi profitent –ils d’ une rixe mortelle, entre les pauméristes, c’est à dire les partisans de Paumier qui a pris le pouvoir de Romans avec d’autres artisans commerçants et qui représente le petit peuple, et les guérenistes, c’est à dire les partisans de Guerin, « les riches », « la réaction », pour prendre les armes contre les insurgés et reprendre le pouvoir. Ils sont passés par le fil de l’épée comme Paumier, ou arrêtes ou contraints de fuir la ville pour sauver leur vie. Roman très rapidement est reconquis (le 19 février 1580). Les principaux acteurs sont jugés pour infidélité au roi, révolte, et collusion avec l’ennemi c’est à dire les protestants. Malgré le plaidoyer de leur avocat, François Charvieux, gendre du juge Guérin, les principaux meneurs sont condamnés à la pendaison (Paumier étant mort on de déterre pour qui subisse sa peine), d’autres sont condamnés à des peines de galère, à la « flétrissure publique », à des amendes… Des biens sont confisqués et vont bientôt s’ajouter aux titres de propriétés de Guérin et de ses semblables.
Dans les villes et campagnes des alentours, les « insurgés » résistent plus longtemps mais ils sont mal armés, moins aguerris, dépourvus d‘unité et de « programme commun » et peu à peu, une par un ils sont matés dans un bain de sang … avant l’automne 1580, le Dauphiné est pacifié à l’exception de quelques enclaves montagnardes tenues par les protestants.
Un bon moment de lecture.
Ce roman comporte les « travers », les « classiques » du genre. On y trouve en effet : une histoire d’amour compromise entre Flora, la fille du juge Guérin promise par le père un riche bourgeois à et le jeune moine Jean de Caracas témoin essentiel des évènements ; un gendre, François Chervieux, avocat égalitariste, défenseur des pauvres, dénigré par son beau père, le juge Guérin ,agent du maintien de l’ordre et avide d’accéder aux privilèges de la noblesse ; et enfin des membres du clergé gourmands et/ou dépravés, entre autres : le père de Jean, cardinal en Italie, le moine, Jean lui même, plus épris de Flora que de religion … Cependant, palpitant , il présente divers et variés intérêts. En effet, il évoque de nombreux aspects de la société de l’époque moderne: la société d’ordres et de privilèges, les dangers, crises qui menacent les paysans, les fêtes notamment celle du carnaval avec ses cortèges, ses jeux décrits avec minutie et ses débordements (détails croustillants, crus d’une orgie populaire), mais aussi le goût pour l’astrologie ou les prédictions, le déclin des usages à la faveur de l’affirmation du pouvoir royal, la question, la confiscation du pouvoir par les bourgeois les plus aisés dans les villes …. Ainsi, il permet à chacun d’appréhender avec plaisir cette époque ceci est conforté par emploi fréquent d’un vocabulaire choisi (exemples parmi d’autres : « ribauds », «bamboche et traditionnelles ripailles » « guilleri». L’auteur jongle habilement entre les faits historiques et «son histoire», son écriture est limpide, agréable à lire. Les lecteurs qui désirent mieux connaître cette révolte pourront trouver quelques pistes dans la bibliographie ( page 219 & 220). Elle laisse à penser d’ailleurs que l’auteur s’est sérieusement documenté pour rédiger ce roman et qu’il a utilisé des sources diverses et variées (monographies, google… ). Néanmoins, on peut regretter qu’il n’ait pas pensé à joindre une carte de la région ce qui permettrait de localiser les diverses villes, villages cités au cours du récit et de mieux cerner l’étendue de la zone rebelle,… il a pourtant joint un très beau plan de la ville de Romans (page3).
Yveline Candas